« BLANCHE-NEIGE ET LA CHASSEUR » VS PROCRASTINATION
Miroir, mon beau miroir, dis-moi quelle est la meilleure adaptation de Blanche-neige? Il est légitime de se poser la question au regard du choix qui nous est proposé depuis que les producteurs se sont lancés dans une adaptation en masse des contes libres de droits. 2012 verra donc deux productions américaines s’affrontaient avec Mirror Mirror et Snow White and the Huntsman. Cette concurrence n’aura pourtant pas d’incidence sur le public puisque les deux films sont très différents dans leurs tonalités et leurs genres.
A titre comparatif, Mirror Mirror, qui est un jolie titre au demeurant, est trop éloigné des expérimentations passées de son réalisateur. Tarsem Singh a d’abord été révélé par le magnifique The Cell puis a enchainé avec le chef d’oeuvre The Fall. Un titre plutôt prophétique au regard du reste de sa carrière, jusqu’à cette adaptation, qui n’aura cessé de décliné film après film. Vu la teneur de Blanche neige et le chasseur il aurait été plus interessant de lui confier les reines de ce projet où il aurait pu y injecter toute la noirceur qui a fait sa renommé.
Mais sans cela nous n’aurions pas pu faire la rencontre d’un nouveau cinéaste plutôt prometteur. En effet, autant Mirror Mirror a été le début du déclin de Tarsem Singh en tant qu’auteur, autant cette relecture de Blanche neige a révélé un réalisateur de talent en la personne de Rupert Sanders. A la barre de son premier film après avoir réalisé des court-métrages, il impose d’emblée un imaginaire issue de la japanimation qui sied plutôt bien au conte allemand qu’il se propose de réinventer visuellement.
Sous la houlette d’Universal et non de Disney, il puise son inspiration dans un film d’animation, autre que celui qui hante notre inconscient collectif: Princesse Mononoké. De la sourie Mickey au studio Ghibli, Sanders impose une imagerie que l’on ne s’attendait pas à voir ici. Du look de l’archer aux créatures de la foret enchanté, tout rappelle l’oeuvre de Miyazaki. Cette influence japonaise n’aurait surement pas été de mise si Tarsem Singh avait eu entre les mains ce scénario, sa culture d’origine ayant toujours été mise à l’honneur d’une façon ou d’une autre à travers son cinéma, parfois très Bollywoodien.
L’enchantement est donc au rendez-vous mais les thématiques de Princesse Mononoké sont également présentes. On peut y voir une multitude de correspondances avec cette princesse qu’est Blanche neige marchant sur les pas de celle inventée par Miyazaki, plus guerrière. Cette inspiration d’origine japonaise se poursuivra avec le deuxième film de Rupert Sanders: Ghost in the Shell. Même si là on ne peut plus parler d’inspiration mais d’adaptation littérale d’une oeuvre, le cinéaste semble se faire le garant des femmes fortes.
Des traits communs qu’il partage avec le cinéma de James Cameron, d’une part pour l’adoration qu’il voue à la japanim et tout particulièrement au chef d’oeuvre de Mamoru Osshi qu’il a participé à popularisé en occident, mais aussi pour ses nombreuses héroïnes qu’il met en scène. Toutes proportions gardées, Blanche neige n’a rien à envier à Ripley ou Sarah Connor. Ce parallèle est d’autant plus flagrant lorsque le miroir au centre de l’intrigue est le reflet du T1000 de Terminator 2. A aucun moment elle n’affronte cette entité maléfique et pourtant elle sera trompée de la même manière que la mère de John Connor.
En effet, Ravenna a la capacité de changer d’apparence selon son bon vouloir, ce qui donnera lieu à une revisite de la fameuse scène de la pomme. Un péché commis par Eve qui mangea le fruit défendu mais qui ici donne lieu à un baiser lesbien en préambule, venant donner un nouvel éclairage à cet acte. L’histoire est d’ailleurs chargée de féminisme sans pour autant assumer ce parti pris jusqu’au bout puisque ce baiser lui est donné sous les traits de William, son ami d’enfance totalement épris d’elle. Une façon comme une autre de ne pas choquer les bons c(h)réti(e)ns.
Même si elles ne sont pas assumées, ces allusions sont plutôt équivoques et auraient mérité d’être développées sur la longueur. Je pense notamment à ce village où les femmes se mutilent elles-mêmes afin de ne pas représenter une menace pour la reine. Symboliquement, c’est très fort et osé puisque l’imagerie fait ici appel à une autre religion: l’Islam. Elles sont voilées autant pour ne pas tenter le diable que pour cacher leurs balafres. Cet aspect aurait mérité d’être porté jusqu’au grand final à l’assaut de la forteresse plutôt que de n’être qu’un point de passage pour les protagonistes.
En l’état, cet arc narratif s’en trouve donc inachevé là où il aurait pu mener à une scène d’un symbolisme fort. Voir ces femmes, qui dès leur plus jeune âge se font des cicatrices en guise de rides, chevaucher aux cotés de Blanche Neige aurait pu être des grands temps fort pour conclure l’histoire. Agitant leur voile comme des étendards de leur liberté face à l’adversité. Elles ont déjà suffisamment enduré les lames de leur scarification pour ne pas craindre celle des ennemis qui se dressent devant elles. J’ignore si c’est l’imagination des scénaristes ou le politiquement correct qui nous a privé d’un climax aussi dantesque.
Cette armée de femme est donc remplacée par des hommes mais c’est bien Blanche Neige qui mène la charge dans son armure. Très inspirée par Jeanne d’Arc, le personnage se voit toutefois un peu américanisé en mode Jeanne Dark. Blockbuster oblige, cette noirceur dénote forcément avec le dessin animée de Disney tout en restant assez soft pour un jeune public. Même le titre évacue d’emblée le potentiel comique de la version de Disney pour remplacer les nains par quelque chose de plus guerrier: le chasseur.
Incarné par Chris Hemworth, son allure général n’aide pas à oublier la comparaison avec Thor. Pour autant il n’est pas la tête d’affiche de ce film, pas plus qu’il n’est le love interest de la belle, deuil de sa femme oblige. Un élément non négligeable qui apporte un peu plus de nuance au personnage et permet à l’acteur de développer un peu plus sa palette de jeu. Désirant rejoindre sa femme plus que tout, il adoptera parfois un comportement suicidaire qui relèguera l’héroïsme au second plan.
Eux-mêmes relégué à l’état de personnages secondaires, le film aurait pu tout aussi bien être titré « Blanche Neige et les chasseurs » puisque les nains sont fait du même bois que le personnage de Chris Hemsworth. Ce dernier se fait d’ailleurs capturer en compagnie de Blanche Neige se qui mènera à la formation de ce groupe. Une communauté que l’on peut rapprocher de celle du Seigneur des anneaux dont ce film s’inspire en partie: des nains, un archer, un chasseur, une femme forte,… Toutefois nous sommes loin de la démesure de la super production de Peter Jackson, Rupert Sanders optant pour un ton plus intimiste.
Le hasard verra ces deux univers de Fantasy arriver la même année avec le retour de Peter Jackson pour le premier film visant à adapter le Hobbit. Et malgré le nombre de mois qui sépare les deux sorties, le traitement des nains est assez similaire. C’est assez flagrant lors d’une scène de veillée funèbre où le groupe se met à chanter, proche de ce que l’on a pu voir de la part des treize nains. Ici au nombre de sept, ils sont vraiment badass et vont même jusqu’à parodier leurs versions animées en adressant une pique aux chansons de Disney qui parsèment leur version.
Leurs tailles d’enfant n’est pas pour autant l’occasion de leur affliger un traitement similaire puisque l’on a ici un regard plus adulte sur cette race légendaire. Pour se faire, ils sont un mélange de différentes techniques: rapetissement numérique, fausse perspective (où les acteurs en tailles réels évoluent sur une passerelle tandis que ceux sensés jouer les nains sont à coté pour créer une différence d’échelle), des doublures plus petites pour les plans larges,… Les techniciens des effets spéciaux ont vraiment fait preuve d’ingéniosité.
Mais l’oeuvre de Tolkien n’est pas la seule à se voir réapproprier puisque nombre d’autres références hantent le film sans pour autant atteindre le même degré de qualité. Ainsi le film de Rupert Sanders brasse du coté de l’histoire sans fin sans en conservé l’émotion en reproduisant la scène du cheval qui se noie dans la boue, l’obscure forêt donne lieu à des visions cauchemardesques que l’on croirait tout droit de Sleepy Hollow. Pour rester chez Tim Burton, son adaptation de Lewis Carrol se voit également mise à contribution avec son héroïne qui se voit affublée d’une armure comme celle d’Alice lorsqu’elle doit combattre le Jabberwookie.
Game of Thrones n’est pas loin non plus dans la personnification de Ravenna qui pourrait être de la même famille que Cercei tant elle entretient des liens tout aussi bizarre avec son frère et une colère qu’elle a du mal à réprimer. Une ambiguïté et une folie qui sont explorer le temps d’un seul et unique plan venant mettre le doute quant à la santé mentale de la reine lorsqu’elle est devant son miroir. De son point de vue elle y voit un être doré lui adressant la parole tandis que son frère l’espionne et n’y voit absolument rien. Une piste qui ne sera pas explorer par la suite surtout qu’il n’y a pas à mettre en doute les pouvoirs surnaturels dont elle fait la démonstration tout au long de l’histoire.
Son introduction et sa prise de pouvoir montre l’étendue de son intelligence avec un plan parfait rappelant le cheval de Troie. A ceci près que sa beauté fait d’elle une Hélène de Troie et au lieu d’être le prix de la victoire, elle est ce cheval dont les entrailles sont une armée. Outre la mythologie Grec, l’histoire puise aussi allègrement dans des personnages loin d’être fictif comme la Princesse Elisabeth Bathory dont la manie était de prendre des bains de sang pour rester jeune. Et du sang de vierge si possible. Film tout public oblige, ce rouge écarlate sera remplacé par un blanc laiteux du plus bel effet.
Mais tout ce background, aussi interessant soit-il, ne serait rien sans Charlize Theron pour lui donner vie. Elle et les jeunes prisonnières dont elle absorbe l’essence vitale. Sa beauté en prend un sérieux coup lorsqu’elle est en manque et cela rappel immédiatement sa performance dans Monster. Méconnaissable et misant tout sur son jeu dans le biopic de cette tueuse en série, elle donne également beaucoup de sa personne pour ce conte. En l’absence de cure de jouvence, son corps amaigri laisse transparaitre ses cotes et sa colonne vertébrale quant à son visage il est ridé au possible par le temps qui la rattrape.
Ces plans installent un certain malaise chez le spectateur en comparaison à ceux où elle est au meilleur de sa forme. Car contrairement à Monster où elle avait été enlaidie au possible, là c’est l’inverse. Mais cela n’en fait pas moins d’elle un monstre. Agréable à regarder certes, mais monstrueuse dans ses actes de tueuse en série de jeune vierge. Finalement c’est un rôle pas si éloigné de celui de Aileen Wuornos qui lui a valu un oscar. D’ailleurs lorsque le miroir apparait on a l’impression qu’elle parle à son oscar géant, à sa récompense. Et pour s’infiltrer dans le château elle a du bien jouer la comédie en mettant en scène sa captivité par ce qui se révélera être sa propre armée.
Paradoxalement cette armée noire a beau avoir un design assez flou, elle n’en demeure pas moins vraiment superbe visuellement lorsqu’elle est en action. Ou plutôt lorsqu’elle la subit. Cette désintégration sous les coups donne lieu à une pluie de débris, noirs comme du charbon et brillants comme du cristal, du plus bel effet lors de leur introduction. Cette armée des ténèbres refait une dernière apparition dans le climax et là pour le coup on ne peut pas dire que la production est puisée son inspiration dans quelque chose de très identifiable. C’est plutôt l’inverse puisque cela rappel fortement le jeu Dishonored 2 qui sortira en 2016.
Ce coté jeu vidéo donne lieu à une scène d’action plutôt bien rythmée et on a immédiatement envie d’en voir plus. La suite du jeu d’Arkane Studios ira largement puiser dans cette imagerie mais aussi dans le déroulé du récit puisqu’il est question d’une reine nommée Delilah venue s’accaparer le pouvoir dans un royaume. Emily Caldwin légitime au trône sera alors pourchassée et décidera de revenir, armée de tout un éventail de pouvoir à sa disposition, pour reprendre ce qui lui revient de droit. Ici c’est Kristen Stewart qui occupe le premier rôle. Son jeu d’actrice est toujours aussi effacé depuis Twilight mais heureusement certaines scènes permettent de faire ressortir un peu de colère.
Elle s’émancipe un peu de son rôle d’amoureuse transie et hésitante. Et même le baiser qui est sensé la ramené à la vie ne débouche en rien sur une histoire d’amour. Les autres acteurs choisis pour lui donner la réplique sont tout autant dans la lignée de leurs précédents rôles comme Sam Clafin, son ami d’enfance et prétendant, puisqu’il sort de Pirate des Caraïbes: la fontaine de jouvence. Au moins il reste dans la même thématique autour de la jeunesse éternelle même si il n’en fait pas sa quête, idem pour le Barbe Noire de cet épisode alias Ian McShane qui se voit confier le rôle d’un des sept nains.
Mais Kristen Stewart partage son rôle de Blanche neige avec une autre actrice, plus jeune, au début du film. On peut l’apercevoir à plusieurs reprise lors d’un montage en ellipse permettant de restituer son enfance et les rencontres qu’elle a pu faire jusqu’à son emprisonnement et sa séquestration des années durant. Elle ne doit sa liberté qu’à un simple clou qu’elle a réussi à déloger de sa cellule pour s’en servir contre son geôlier. L’explosion de colère de la reine suite à cette évasion sera l’objet d’une autre référence que l’on pourrait presque voir comme christique vu l’ustensile en question.
La reine réprimande son frère en prétextant qu’elle a réussi à s’évader avec un vulgaire clou et que si elle avait eu une épée elle aurait pris le royaume. Une réplique sous forme de foreshadowing pour la suite de l’intrigue mais également une allusion à une citation de Benjamin Franklin qui est la plus connue:
Faute d’un clou, le fer fut perdu,
Faute d’un fer, le cheval fut perdu,
Faute d’un cheval, le cavalier fut perdu,
Faute d’un cavalier, la bataille fut perdue,
Faute d’une bataille, le royaume fut perdu,
Et tout cela, faute d’un clou de fer à cheval.
Cet effet domino, il en existe plusieurs variantes avec toujours la même morale à la fin et notamment dans un poème des frères Grimm à qui l’on doit la popularisation de Blanche Neige. Car oui, contrairement à ce que l’on peut penser, les frères Grimm ne sont pas plus les auteurs de Blanche Neige que Disney. Pour l’un comme pour l’autre, il s’agit à l’origine d’un mythe germanique qu’ils ont repris jusqu’à le faire leur.
Le succès de la version animée de Mickey a eu beau faire de l’ombre à celle des frères Grimm dont la multinationale s’est inspiré, la fratrie à également réussi ce tour de force puisqu’ils ont eux même puisé dans différentes versions du mythe. La talent de leurs écritures leurs à permis de s’octroyer le mérite au point d’en éclipser la source d’origine mais apparemment une certaine Marie Hassempflug semble en être le point de départ. Sans elle, il n’y aurait pas de mythe puisqu’il s’agit ni plus ni moins que de son histoire personnelle. Doté d’une grande beauté elle aurait eu à faire face à une belle mère tyrannique et les 7 nains ne sont rien d’autres que des enfants sous alimentés. Les éléments fantastiques se sont rajoutés au fur et à mesure que ce récit s’est transmis jusqu’aux célèbres frères.
Si la firme aux grands oreilles a du attendre l’expiration des droits d’auteurs des frères Grimm, eux n’ont pas eu à s’embarrasser de la paperasse à une époque où ça n’était pas aussi réglementé en terme de propriété intellectuelle. Au fil des versions la nature même de ce conte s’en est retrouvée modifier tout en gardant l’essence principale. Ils ont puisé dans autant de matériaux comme à pu le faire Rupert Sanders en multipliant les sources d’inspiration allant de Miyazaki à Tolkien en passant par James Cameron. Plutôt éclectique me cela forme un tout cohérent en plus d’apporter une vision originale et inédite à cette histoire.
Ce conte, comme tout les autres, et destiné à évoluer. A être raconté et modifié par son conteur qui y apportera sa modeste contribution. Ce téléphone arabe à déformer certains faits et notamment le groupe Téléphone qui s’est chargé de réinterpréter le conte de Cendrillon. Nous sommes encore à des lieux de voir Blanche Neige trainer dans les bars et faire le trottoir pour se faire un peu d’argent, son histoire rapporte encore suffisamment même en étant dans le domaine public. Du moins tant que les raconteurs seront fidèles au conte de base afin de ne pas parler de l’infidélité du prince charmant. Toutefois, nous ne sommes pas à l’abri d’une nouvelle version et si les contes arabes comptent mille et une nuit, il y aura surement mille et une versions de ce conte. Remake sur remake. Il était une fois, et encore une fois, et encore une fois…
« BLANCHE-NEIGE ET LE CHASSEUR » WINS!