« 38 MINI-WESTERNS (AVEC DES FANTÔMES) » VS PROCRASTINATION
C’est l’histoire d’une fée qui, euh, a besoin d’une transfusion de coeur et… Oh, et puis non. C’est un géant qui mâche de la pâte à bisous sur un longboard blue tout en… En fait, je crois plutôt qu’il s’agit d’un homme à la dyslexie magique qui fait partie de l’équipe de foot des bonhommes de neige en Islande, et au printemps aussi…
Des phrases que l’on croirait sorties tout droit de la bouche d’un enfant. Ne cessant d’accumuler les informations à mesure qu’il les réceptionne. Une impression qui n’est pas sans rappeler la publicité d’un célèbre fast food essayant de promouvoir des codes ciné dans leur menu.

L’enseigne propose également des menus enfants avec des contes en guise de cadeau. Ou un jouet. Le choix est vite fait pour la plupart, même si l’initiative est tout à fait louable. De mon temps, si j’avais eu le choix, j’aurais surement opté pour la figurine. C’était d’ailleurs ce qui me pousser à motiver mes parents à aller dans ce restaurant selon la surprise du moment. J’avais alors la possibilité d’avoir entre les mains un jouet qui allait me permettre de mettre en action mon imagination. Et non un livre qui allait juste l’effleurer.
Depuis, j’ai bien grandi et j’ai pris conscience de l’importance de la lecture. Tellement, qu’il m’arrive de relire ce que je considère comme des classiques. Il s’agit d’un investissement de temps bien plus conséquent que de juste regarder à nouveau un film. J’ai néanmoins franchi le pas avec le plus court d’entre eux. Mais je savais pertinemment qu’en me lançant dans une relecture de certains ouvrages qui ont bercé mon adolescence, que j’allais me heurter à des désillusions. 38 mini-westerns (avec des fantômes) en fait partie.
Un constat difficile à faire, d’autant que ce recueil de nouvelles m’a accompagné durant longtemps. Il a même réussi à se frayer une place dans ma bibliothèque, sur l’étagère de mes indispensables. Mais après cette redécouverte, rien n’est moins sûr quant au sort que je lui réserve. Avant même de le parcourir à nouveau, j’avais laissé libre cours à mes souvenirs. J’avais hâte de relire Le bracelet d’argent, La pâte à bisous ou encore le très court Poème insulte. Don Diégo 2000 est également ressorti de ce sommaire, pareil à la playlist d’un des albums de Mathias Malzieu, car étant également le titre d’une chanson qu’il a écrite.

On aurait même pu donner ce pseudonyme à l’auteur tant ce recueil donnait l’impression d’avoir été rédigé par l’individu fictif en question. Atteint de dyslexie magique, j’avais gardé en mémoire un style proche du roman Quand j’avais 5 ans, je m’ai tué d’Howard Buten. Un regroupement de nouvelles toutes plus expérimentales les unes que les autres. De quoi impressionner un jeune adolescent en quête de repères, en quête de modèles littéraires. J’étais donc curieux de voir ce que cela allait faire ressurgir en moi de cette période révolue.
Jusque là, j’avais toujours assimilé ce recueil à un assortiment de bonbons. Je crois que c’est l’allusion récurrente à des Kinder surprises dans ces textes qui a fait que j’ai assimilé ces nouvelles à des friandises. Il y en avait pour tous les gouts, tous les parfums, acidulés, doux, mous, élastiques ou piquants. Il suffisait de piocher pour en déguster. Parfois, certains étaient longs à finir, et laissaient un gout amer en bouche, quand d’autres fondaient directement sur le palais. C’était un peu comme si Lewis Carrol, auteur d’Alice au pays des merveilles, avait écrit Charlie et la chocolaterie.
En somme, j’aurais pu citer l’auteur lui-même pour définir ma nostalgie à l’égard de son oeuvre. Parmi l’une de ses nombreuses associations d’idées, Mathias Malzieu compare notamment une idée tellement persistante à un tatouage de cerveau. C’est tellement imagé et métaphorique qu’à l’époque j’aurais bien vu cette vision mise en scène par Michel Gondry. Lui qui a réalisé La science des rêves, il aurait été le candidat idéal pour adapter à l’écran l’oeuvre de l’écrivain. Toujours est-il que voilà ce qu’est 38 mini-westerns (avec des fantômes) pour moi: un tatouage de cerveau.

Un tatouage que je n’assume plus vraiment maintenant. De quoi regretter qu’il ne s’agisse pas juste d’une décalcomanie, de celle que l’on trouve dans les paquets de Malabar pour faire comme les grands. Là, j’ai beau frotter à l’eau avec du savon, ça ne part pas. Quant au chewing-gum issu de cet assortiment auquel j’assimile ce recueil, il a un arrière-gout. Désormais, les mots de Mathias Malzieu sonnent creux sous la dent. Il faut les mâcher encore et encore avant de pouvoir les avaler. De quoi choper des caries sur son propre style d’écriture lorsque l’on est soi-même auteur.
Il faut croire que la date de péremption de ces gourmandises est dépassée depuis bien longtemps. J’étais loin de me douter qu’il y aurait autant d’amertume. J’ignore donc si c’est parce que j’ai lu des tas de livres par la suite, ou si c’est parce que j’écris moi-même depuis des années, mais j’ai trouvé le style de Mathias très lourd. L’auteur n’a pas son pareil pour faire de belles métaphores, mais à force de les enchainer, aucune ne ressort vraiment. Comme l’impression de lire un incipit à chaque retour à la ligne. C’est épuisant, en plus d’être contre-productif. Car on reconnait une belle phrase lorsqu’elle sort du lot. Lorsqu’elle est mise en contraste avec d’autres, plus banales.
Tout dépend de nos standards, mais la beauté ne ressort vraiment que lorsqu’elle mise en opposition avec son contraire. Tout comme la lumière est mise en valeur dans l’obscurité, le silence dans le vacarme, la paix dans le chaos… Or si l’on accumule les effets de style, cela devient brouillon. Chaque envolée est en compétition avec les précédentes et la suivante, plutôt que d’en mettre une de temps en temps sur un piédestal. C’est le principal reproche que je pourrais faire à ce premier ouvrage du chanteur de Dionysos. Mais cela en fait aussi un défaut majeur dans le sens où il empêche la compréhension de certaines histoires.

À trop vouloir faire la démonstration de ses talents de conteur, on perd le fil du récit en cours. Du moins, quand on arrive à rentrer dedans. Dans cette propension à vouloir faire en sorte que chaque phrase compte, Malzieu perd ce qui fait tout son charme. Cette poésie, qui fonctionne si bien dans ses chansons, dont ce recueil accompagne l’album Western sous la neige, se dilue ici dans des textes mal agencés. Les paragraphes peinent à respirer, et le lecteur avec. Ce n’est pas parce que les textes sont courts qu’ils ne doivent pas être un minimum mis en page.
Le résultat est pareil à des briques de mot qui s’accumulent sur la page pour bâtir un mur d’incompréhension. Le fait d’ajouter des images de Polaroïds bizarroïdes ne change rien à cette sensation d’oppression. Pourtant, je pense que c’est ce mélange entre visuels et récits qui m’a attiré la première fois. Outre le fait que j’étais fan du groupe Dionysos bien sûr. Même s’il ne s’agit pas de collage à proprement parler, ce recueil a un côté fait maison. Comme mon agenda de lycéen dans lequel je collais des tickets ou des photos, et par-dessus lesquels je dessinais pour me les approprier.
Ces pages, où j’étais censé noter mes devoirs, ont également vu les prémisses de mon écriture. J’y ai griffonné ce que je croyais être des haïkus en mode poète maudit. Ma plume essayait alors de plagier celle de Mathias Malzieu, avant de s’en émanciper. Cela ne l’empêche pas d’avoir un style reconnaissable entre mille, et c’est là la marque des grands auteurs. Cette relecture n’aura donc pas été une perte de temps. Loin de là. Déjà parce que 38 mini westerns (avec des fantômes) est très court à lire, mais aussi parce que j’ai pu apprendre une grande leçon d’écriture.
Parmi les auteurs dont je suis réceptif aux conseils, Stephen King a dit que l’on apprend bien plus des mauvais romans que des bons. Sans aller jusqu’à dire qu’il s’agit d’un livre à éviter, bien au contraire, il m’a surtout enseigné le fait de ne pas en faire des tonnes. De ne pas chercher la phrase ultime en permanence. Ce premier ouvrage de Mathias Malzieu en est le parfait exemple. Et je le regrette. Si jusqu’à présent je le portais dans mon coeur pour les souvenirs qu’il faisait ressurgir en moi, désormais je le verrais comme un exemple à ne pas suivre. C’est pourquoi il conservera malgré tout sa place parmi les indispensables de ma bibliothèque.
Mais pas pour les mêmes raisons que ses voisins d’étagère.
PROCRASTINATION WINS!
