« UNCHARTED 3: L’ILLUSION DE DRAKE » VS PROCRASTINATION
Il y a des personnages de fiction qui construisent leur succès avec de grands artistes pour leur donner vie, et d’autres qui semblent s’être faits tout seul. Sorte de self-made-man, l’un des cas les plus flagrants reste sans conteste James Bond qui, après être né sous la plume de Ian Flemming, s’est vu octroyer toute une saga au cinéma qui perdure encore de nos jours. Pourtant, cette longévité n’est pas forcément du fait de cinéastes renommés ayant une vision précise derrière la caméra, et ce n’est pas faute d’avoir du monde qui se bouscule pour avoir la chance de mettre en scène cette icône.
Parmi les prétendants au service secret de Sa Majesté, rien de moins que Christopher Nolan qui ne cesse de clamer son amour pour le personnage à chaque nouveau film. Il faut dire que ses réalisations empruntent beaucoup à l’imagerie et à l’esprit du célèbre agent secret. Autre choix, un peu plus inattendu de par sa filmographie aux forts accents de nostalgie et de série Z, Quentin Tarantino se révélera lui aussi très intéressé pour revenir aux sources: le premier roman dans lequel apparait James Bond. Réalisée depuis avec Daniel Craig, sa version de Casino royale aurait vu le retour de Pierce Brosnan dans le rôle-titre et Uma Thurman en Vesper. Rien que ça.
Son enthousiasme communicatif sur les plateaux télé n’aura pas suffi à matérialiser sa vision si singulière. Cette américanisation du personnage ne verra donc jamais le jour et l’agent 007 restera entre des mains britanniques avec Sam Mendès qui reste l’un des seuls cinéastes à être reconnu pour son statut d’auteur. Et cela se ressent, plus sur Skyfall que sur Spectre, tant et si bien que Dany Boyle tentera de lui emboiter le pas avant de quitter la production du 25ème opus pour divergences artistiques. Derrière la caméra, les deux célèbres producteurs, que sont Albert R. Broccoli et Harry Saltzman, ne semblent pas vouloir bénéficier de l’expertise de véritables passionnés.
Ces réticences peuvent trouver leurs racines dans les refus successifs d’Alfred Hitchcock après avoir été courtisé à deux reprises. Le maitre du suspense n’en avait alors pas eu à leurs égards en déclinant l’offre des détenteurs des droits du personnage. Un point commun que partage Steven Spielberg puisqu’il subira lui aussi le même sort en se voyant refuser une simple entrevue avec Hitchcock, mais aussi de la part des producteurs de James Bond qu’il avait approché pour en réaliser un épisode. Il est difficile de croire que des noms aussi prestigieux les uns que les autres se sont vus fermer les portes d’une telle franchise, qui aurait pu être celle qui alignait le plus de talents, mais Spielberg va tout de même trouver une solution.
Celle-ci lui viendra de son ami George Lucas qui lui conseillera de créer son propre personnage plutôt que de dépendre d’un cahier des charges auquel il devra se conformer pour raconter son histoire. Et il parle en connaissance de cause puisqu’à l’époque, il vient de terminer le premier épisode de Star Wars, le quatrième dans l’ordre chronologique, faute d’avoir pu adapter les aventures de Flash Gordon. Cette proposition tombe à point nommé puisque le créateur de Luke Skywalker et de Han Solo a une idée derrière la tête, et elle s’appelle Indiana Smith. À l’explication du concept, Spielberg contribuera au changement du nom de famille en Jones et en puisant son inspiration du côté de Tintin pour l’aspect globe-trotter.
Si l’on s’en tient au fait que le célèbre agent secret a bien failli s’appeler James Secretan, ce changement de patronyme pour Indy a été tout autant bénéfique pour la suite de sa carrière. Mais l’aventurier / archéologue, né de la frustration de ne pouvoir mettre en scène la création de Ian Fleming (au point de faire des clins d’oeil discrets, allant d’une séquence d’ouverture à un méchant charismatique, jusqu’au troisième épisode où Spielberg va carrément faire de Sean Connery le père d’Indy!), va lui aussi faire des émules. C’est avec la saga Uncharted et sur un support vidéoludique que Nathan Drake se révélera être le digne héritier de ces deux icônes de la pop culture.
Si la ressemblance avec Indiana Jones n’est plus à prouver depuis le premier Uncharted: Drake’s fortune, la filiation avec James Bond n’apparait vraiment qu’avec le troisième opus intitulé L’illusion de Drake. Entre le costume proche du smoking, le pistolet silencieux, les rues de Londres ou encore le matricule 007 en guise de signature sur une carte: il est difficile de se dire que l’ancêtre de Nathan est bien Francis Drake. Pourtant c’est le cas et c’est à nouveau lui qui sera l’élément déclencheur d’une nouvelle aventure. Et pour la première fois, cette dernière ne s’ouvrira pas sur une scène nous plongeant au coeur de l’action dans la plus pure des traditions des James Bond, mais aussi d’Uncharted qui lui avait emprunté cette marque de fabrique.
En même temps, il était difficile de faire mieux que l’embuscade sur un bateau au milieu de l’océan pour Drake’s Fortune ou de s’échapper d’un train sur le point de tomber d’une colline dans Among Thief. Pas de débuts explosifs donc, mais une mise en situation dans un pub crasseux que n’aurait pas renié Guy Ritchie. Bien sûr, cela débouchera naturellement sur une bagarre, mais pas de quoi impressionner le joueur qui est rodé aux QTE depuis le premier jeu. Mais à l’égard du sous-titre, tout ceci n’est qu’une illusion puisque le jeu s’offre une structure en crescendo. Le meilleur est à venir et malgré des hommages appuyés à l’agent secret britannique, Indiana Jones n’est pas non plus en reste, même s’il est déjà bien installé dans le concept que représente Uncharted.
Plus que ça, ce jeu de citations va même plus loin en étant complètement méta grâce à la citation de Lawrence d’Arabie, film préféré de Spielberg, en ouverture de ce dernier opus sur Playstation 3. C’est là le signe que les développeurs connaissent leur sujet sur le bout des doigts en remontant à la source de ce qui les a inspirés, et qui a maintenant la forme d’une trilogie. Dans le cadre du jeu, cela se produit de manière littérale par un retour en arrière. Ainsi la véritable scène d’introduction est un flashback où l’on peut prendre, pour la première fois, les commandes d’un jeune Nathan.
C’est là que les développeurs payent leur tribut à ce qui les a influencés et vont notamment piocher dans La dernière croisade qui s’ouvrait aussi sur un Indy alors en pleine adolescence. Et au coeur des ennuis. On reconnait là assez vite la capacité de Nathan à attirer les problèmes, mais aussi a favorisé les bonnes rencontres en la personne de Sully, qui l’aidera dans sa quête au terme d’une course poursuite sur des toits. Ce dernier retournera d’ailleurs sa veste pour s’allier avec ce qui n’est qu’un gamin dans les années 90, tandis que son ex-employeur décidera de refaire surface dans la trame principale pour faire office de méchant. Ou plutôt de méchante en la personne de Katherine Marlowe, dont le physique semble calquer sur celui de l’actrice Helen Mirren.
Elle mettra toutes ses ressources en oeuvre pour retrouver la bague de Nathan, ce qu’elle croira avoir obtenu lors d’une transaction, avant de se rendre compte qu’il s’agissait d’un faux. Combiné à l’astrolabe ayant appartenu à Francis Drake, et dont dispose Marlowe, cette relique que Nathan porte autour du cou est nécessaire pour découvrir l’emplacement de l’Atlantide des sables. Mais avant d’arriver à cette destination, une course va s’engager entre les deux camps (qui verra Elena et Chloé se joindre à la partie) pour en mettre à jour les coordonnées manquantes. S’en suit un dépaysement des plus total, on passe des sous-terrains londoniens à un château abandonné en proie aux flammes dans l’est de la France.
On pourra toutefois voir cet incendie de manière bénéfique puisque la lumière permettra de repousser les centaines d’araignées qui grouillent de part et d’autre. Bien sûr, il faudra en même temps composer avec le décor qui s’effondre autour de nous tandis que l’on cherche une échappatoire, autre qu’un game over. Des obstacles qui permettent d’apporter de la diversité là où les hommes de main de Marlowe, également au rendez-vous pour profiter de la situation, ne sont pas très originaux en termes de look. Pour la plupart, on les croirait tous sorties du jeu vidéo Hitman, costard et cravate rouge à l’appui.
Mais ces cibles sont bien moins importantes que l’architecture à couper le souffle qu’ils tentent de transformer en scène de crime. Alors que j’étais persuadé d’avoir fait le tour des environnements susceptibles de servir de cadre à des scènes grandioses, les développeurs de Naughty Dog m’ont une fois de plus prouver le contraire. Alors qu’il s’agissait jusque là de revisiter les standards du film d’action, le milieu du jeu propose de l’inédit en s’offrant un détour dans un cimetière de bateaux. Un lieu que l’on n’a pas l’habitude de voir dans la fiction et qui sert ici de terrain de jeu face à des pirates des mers.
On a ainsi tout le loisir d’arpenter les carcasses de navires à l’intérieur comme à l’extérieur, et à des hauteurs inespérées jusque sous le niveau de la mer pour se cacher de nos agresseurs. Bien sûr, la mer sur laquelle se trouve tout ce petit monde est loin d’être calme ce qui rendra difficile le fait d’ajuster ses tirs. La suite des événements reviendra à quelque chose de plus convenu, mais non moins spectaculaire avec une porte de sortie à cet enfer marin sous la forme d’un gigantesque paquebot voguant sur un océan tourmenté. Une fois accosté, notre penchant pour la destruction, aidé par une tempête qui se déchaine à l’extérieur, fera que cette embarcation va vite se mettre à chavirer au point d’en changer la gravité.
Ainsi, Nathan devra le parcourir de fond en comble, de long en large et de l’horizontal à la verticale lorsqu’il commencera à sombrer. L’urgence est à son maximum pour s’extraire de ce piège où l’eau ne fait que grimper. On se retrouve d’ailleurs dans le même cas de figure où Indy est poursuivi par une pierre géante sauf que là c’est remplacé par des trombes d’eau. Ce déluge pourrait largement faire office de climax, une impression surement due à cette sensation d’être dans une version jouable du Titanic de James Cameron. Mais il n’en est rien puisque ce troisième opus a encore bien d’autres arguments en réserve. Cette illusion de Drake va même jusqu’à contraster avec le deuxième volet dans sa seconde partie.
En opposition à la glace et aux paysages enneigés menant jusqu’à la cité de Shamballa, la température grimpe en s’aventurant du côté d’un panorama en grande partie désertique. On passe donc d’un extrême à l’autre par l’intermédiaire d’une piste de décollage sur laquelle on circule à l’intérieur d’une jeep, dans l’espoir de pouvoir s’accrocher à un avion sur le point de décoller. Un passage vu et revu dans bien des films, mais y prendre part à quelque chose de réellement grisant. C’est exactement la même chose pour la séquence suivante qui voit notre statut de passager clandestin compromis et qui amène à un combat dans la soute de l’appareil.
C’est là une véritable leçon de mise en scène ainsi qu’une utilisation des décors à bon escient. Le tout reste parfaitement lisible tout en étant spectaculaire à souhait, même La momie version 2017 (soit 6 ans plus tard) avec Tom Cruise n’aura pas réussi à faire mieux en termes de crash d’avion. Ce film n’avait déjà pas réussi à surpasser le long-métrage de Stephen Sommers datant de 1998 donc bon, cela n’a rien d’étonnant. Par contre, Uncharted 3 s’en inspire grandement, ne serait-ce que pour l’attitude de Nathan proche de celle de Rick O’Connel. Qui était déjà inspiré de l’attitude et de l’humour d’Indiana Jones.
L’environnement y est également propice avec des dunes à perte de vue lorsque l’on entame notre traversée du désert. Un moment certes inattendu, mais plutôt bienvenu dans le sens où il propose quelque chose de différent dans l’aventure. Il n’y a rien d’autre à faire que de marcher et l’on peut voir cela comme une sorte d’intermède jouable plutôt que d’assister à une énième cinématique. Dans la même veine, il y a aussi cette phase où Drake déambule dans les rues sous l’influence d’une drogue ce qui a pour effet de déformer le décor en temps réel. C’est tout bonnement bluffant d’assister à ce genre de trip hallucinatoire digne du film Doctor Strange en ce qui concerne l’avant-dernier niveau.
Même si le fantastique a déjà été abordé frontalement dans Uncharted 2, ici une substance hallucinogène permet de justifier le fait de se battre contre des ennemis en mode Ghost Rider. Cet aspect est aussi l’occasion d’un superbe retournement de situation lié à Sully. Ce mentor est un peu plus développé qu’à l’accoutumer et son arc narratif n’en fait plus un personnage-fonction (même s’il nous assiste durant une bonne partie). Je ne pourrais pas en dire autant du nouveau méchant et plus précisément de Talbot qui est l’associé de Marlowe. L’affrontement avec ce dernier boss sera moins difficile qu’avec les précédents que Nathan aura croisé dans ses aventures.
On appréciera tout de même la référence à Mission impossible 2 puisqu’à l’occasion d’un combat à l’arme blanche, Talbot essayera de nous faire pleurer des larmes de sang. Au-delà de ça, l’Atlantide des sables est un remake de la cité de Shamballa d’où il faudra s’extirper lors d’un sprint final à base de plates-formes mouvantes, tandis que tout s’effondre. On avait déjà pu exploiter ce type de gameplay lors du volet précédent, mais cette fois-ci, poussé à l’extrême au niveau des réflexes et de la précision. À ce propos, la panoplie de mouvements du personnage s’est étoffée avec quelques nouvelles actions à l’encontre de nos ennemis.
Entre autres, il est désormais possible de retirer la goupille d’une grenade sur un ennemi, et le pousser pour qu’il explose un peu plus loin, ou encore de retourner un explosif à l’envoyeur. En ce qui concerne le reste de la gestuelle, on ne sait pas toujours avec quelle partie du décor il est possible d’interagir ce qui occasionne parfois des pertes de temps. Toutefois, ça ne sera jamais aussi frustrant que lorsque Drake se met à marcher sans que l’on ne puisse accélérer sa cadence. Mais cela reste bien peu de choses lorsque l’on se retrouve en pleine fusillade, agrippé à une corde lors de l’ascension de la façade d’un château. L’action s’invite littéralement partout.
Pour varier un peu les plaisirs entre les habituelles phases de plates-formes, les gunfights, les Quick Time Event et les énigmes (à base de mécanismes à bouger, d’engrenages et de jeux de lumière), Naughty Dog a également renouvelé les poursuites à bord d’engins en tous genres. Si certains d’entre eux ont plusieurs chevaux sous le capot, on aura aussi l’occasion de monter sur la selle d’un pur-sang pour rattraper un convoi. Cette chevauchée sauvage prend alors vite des airs de western moderne en remplaçant les diligences par des camions sur lesquels on va sauter de l’un à l’autre, avant de regagner notre monture.
Avec autant de cascades sur cascades, Uncharted c’est tout simplement l’art de faire des jeux estampillés Indiana Jones et James Bond sans en avoir la licence. Cette dernière étant la propriété de Lucas Art en ce qui concerne l’archéologue aventurier, les détenteurs des droits vidéoludiques à propos de l’agent au permis de tuer feraient bien d’en prendre de la graine. Cette trilogie pourrait même faire office d’épisodes non officiels tel qu’il en existe au cinéma comme Jamais plus jamais. Mais même avec ces deux ancêtres communs, Nathan Drake a réussi à se construire une véritable identité (symbolisée par une mise à l’épreuve dans une séquence où il faut suivre son reflet au bord d’une piscine avant de se confronter à son double) tout en rendant hommage à ces références.
Cela grâce au savoir-faire de Naughty Dog à tel point que l’on n’imagine pas un autre studio aux commandes de la franchise. Et pourtant, le passé a déjà prouvé aux développeurs qu’ils n’étaient pas à l’abri d’un tel revirement de situation. Pour cause, le personnage de Crash Bandicoot, qu’ils ont contribué à ériger au rang de mascotte de Sony du temps de la première Playstation, est désormais entre d’autres mains. Un coup dur, surtout lorsque le fruit de leur travail se voit repris par des studios moins compétents qui détériorent l’image du marsupial. Ce changement d’écurie ne semble pas à l’ordre du jour pour Uncharted dont le potentiel est immense, malgré la recette qui reste inchangée épisode après épisode.
Que ce soit au cinéma, ou ici en l’occurrence dans les jeux vidéo, ces quêtes initiatiques se terminent bien souvent par une cité ensevelie et un trésor oublié. Uncharted 3 n’échappe pas à la règle, mais la morale de l’histoire est bien plus profonde. Le personnage a beau partir bredouille, ou en tout cas pas avec de quoi faire fortune, le joueur lui quitte la partie en étant riche de souvenirs inoubliables. C’est avec ce genre de sensation que l’on se rend compte à quel point les artistes de chez Naughty Dog ont poussé la console dans ses derniers retranchements. En attendant un quatrième opus sur la Playstation 4, territoire inexploré vers lequel se dirige Nathan Drake.
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