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« Darth Maul: apprentice » de Shawn Bu

« DARTH MAUL: APPRENTICE » VS PROCRASTINATION

La création du personnage Darth Maul est presque aussi tragique que sa rapide disparition dans l’épisode 1 de la saga. Même si c’est George Lucas qui l’a imaginé, il a surtout fait appel à Ian McCaig pour lui donner vie. Selon les instructions qui lui avaient été données, l’artiste devait matérialiser son pire cauchemar. Un résultat au-delà des espérances de Lucas, qui orienta McCaig vers son deuxième pire cauchemar. Toujours trop terrifiant, ce design sera néanmoins réutilisé dans la série Clone Wars. Finalement, la troisième tentative fut la bonne, avec tout de même quelques ajustements avant d’arriver à la version que l’on connait.

C’est ainsi qu’est né Darth Maul, et il fallait bien cela pour succéder à Dark Vador en guise d’antagoniste pour la prélogie. Du moins pour ce qui en sera le premier volet puisque toute cette réflexion sera finalement expédiée dans la dernière bobine, point culminant d’un combat voyant le Sith trépasser des mains d’Obi-Wan Kenobi. Quel gâchis lorsque l’on voit le potentiel qu’avait ce personnage pour être le digne successeur de Vador en termes de présence et de design. Il se distingue de ce dernier par son absence de casque, un aspect avec lequel Ian McCaig était conscient de ne pouvoir rivaliser.

Même si depuis sa chute Darth Maul était revenue sur le devant de la scène à travers la série animée The Clones Wars ou encore lors d’un caméo dans Solo: a Star Wars Story, il en avait conservé les traumatismes, et les cicatrices, de sa rencontre avec Obi-Wan. Devenu beaucoup plus bavard qu’il ne l’était lors de sa première apparition, et beaucoup moins mystérieux, le seul moyen de retrouver ce personnage énigmatique était à travers son passé. On pouvait alors compter sur un comics et un roman exploitant son passif, mais rien qui ne puisse remplacer une incarnation live.

Fort heureusement, et à condition de n’en tirer aucun profit, les fans-films permettent de s’approprier un univers déjà existant, et la licence Star Wars a grandement contribué à démocratiser ce type de format. C’est alors l’occasion pour des cosplayers du monde entier d’unir leur moyen pour donner de l’envergure à une production amateur. Étant donné la débauche de matériel à disposition ainsi que le nombre de talents impliqués, on ne peut pas dire que le collectif T7 Productions puisse se revendiquer de cette catégorie. À l’oeuvre sur Darth Maul: apprentice, on pourrait tout aussi bien avoir affaire à une production made in Lucasfilm.

Que ce soit dans la maitrise de l’image ou du son, le professionnalisme est de mise durant une quinzaine de minutes. Ce qui est plus que le temps d’écran du seigneur Sith, même si sa présence plane sur tout l’épisode 1. Il est à l’honneur de cette histoire relativement simple, mais efficace, qui pourrait faire office de prologue à la prélogie. Comme son titre l’indique, ce court-métrage est donc entièrement dédié à la gloire de Darth Maul, durant sa période d’apprentissage, que l’on croirait tout droit sortie de La menace fantôme tant la ressemblance est frappante.

Cette imitation ne se situe pas seulement dans le maquillage facial, de bien meilleure facture par ailleurs, mais aussi dans les mimiques du visage ainsi que dans la gestuelle. Ben Schamma, qui lui prête ses traits, fait preuve d’un mimétisme assez extraordinaire et rappelle les interprétations de fans suite à la performance de Heath Ledger dans le rôle du Joker pour The Dark Knight. Ray Park n’est pas un acteur du même calibre, mais c’est ce cascadeur, devenu acteur, qui a donné vie pour la première fois à ce méchant et l’on retrouve beaucoup de son jeu ici.

C’est tout simplement bluffant et cela participe à l’immersion comme s’il s’agissait d’une histoire officielle. Mais ce segment n’est pas plus canonique que ce n’est qu’un prétexte pour enchainer les combats absolument dantesques. Les acteurs enchainent les postures iconiques avec une insolence hallucinante comparée à ce que l’on a pu voir sur grand écran. Une imagerie grandement aidée par la réalisation de Shawn Bu qui varie les plans larges et les plans rapprochés, avec un sens du cadre assez développé. Un défi lorsque l’action se situe sur un seul et unique lieu.

Pour autant, le terrain sur lequel s’affrontent les combattants ne dénote pas avec l’univers mis en place par George Lucas. Même si cette planète n’a pas de nom, c’est un environnement que l’on a déjà vu dans la saga, notamment la lune d’Endor ou sur Dagobah. Dans la logique d’un budget réduit au maximum, cet espace vert sert donc tout autant à amortir les couts de production sans que cela ne donne un aspect fauché à l’ensemble. Cette forêt n’est pas un alibi pour filmer des troncs d’arbres et apercevoir furtivement des combattants, au contraire ce décor naturel est ici utilisé intelligemment.

Preuve en est, certains effets spéciaux sont invisibles à l’oeil nu, car consistant à rajouter des arbres pour augmenter la densité de la forêt. Ce n’est pas forcément le genre d’effets spéciaux auxquels on pense lorsque l’on évoque Star Wars. À ce titre, le making of dévoile une quantité de trucages comme le fait d’effacer de l’image de petites erreurs tel que des projecteurs dans le champ, ou des câbles ayant servi à des cascades pour marcher sur des parois. Ces images des coulisses permettent de voir à quel point il est difficile de mener un projet à bien. 

Il faut notamment faire face aux aléas de la vie, l’organisation des participants, et accessoirement composer avec les passants qui s’arrêtent sur le set par curiosité. C’est là la réalité d’une production qui s’est étalée du 17 septembre 2014 au 24 mars 2015, soit plus que la durée d’un long-métrage, pour un total de seulement 18 jours de tournage. Ces derniers se sont donc éparpillés durant toute cette période et l’envers du décor permet de se rendre compte du casse-tête que cela représente en termes de planning.

L’occasion de remarquer que les plans ne sont, non seulement pas tournés dans l’ordre, mais qu’en plus il y a plusieurs jours ou semaines qui les sépare alors qu’ils sont à la suite dans le montage. C’est la magie du cinéma qui permet de faire en sorte que l’on ne voit aucune transition grâce à l’étalonnage, mais aussi la musique pour lier le tout. C’est Vincent Lee qui a eu la lourde responsabilité de passer après John Williams pour illustrer cette bande originale. Car Star Wars, c’est non seulement un univers visuel, mais aussi musical. Chaque thème est facilement identifiable même en dehors des scènes et s’en écarter est assez risqué.

Après avoir essayé d’imiter le maitre, en vain, le compositeur en titre a été puisé son inspiration chez Hans Zimmer ou encore chez Junkie XL. Contre toute attente, le résultat fonctionne à l’écran et apporte du sang neuf dans le circuit fermé qu’est Star Wars. On peut même y entendre une petite fantaisie avec quelques notes de western lorsque les deux adversaires se font face lors du combat final. Outre les bruitages des sabres laser et autres tirs de blaster, la bande sonore est assez sobre en répliques. De plus, comme la grande majorité des fans films, l’anglais est de mise tout en restant parfaitement compréhensible pour les anglophobes.

Ce qui pourrait passer pour de la facilité est en fait un effort pour l’équipe dont ce n’est pas la langue d’origine, ce qui indique clairement la volonté d’offrir le plus de visibilité à leur production. Cette internationalisation implique donc pour les comédiens de passer de l’allemand à l’anglais sans que cela ne se ressente dans l’intonation. De plus, comme pour la saga, certains personnages ont vu leurs lignes doublées par un autre en studio. C’était notamment le cas pour Dark Vador, incarné par David Prowse, mais avec la voix de James Earl Jones. Ici, c’est L’empereur qui subit cette modification vocale du plus bel effet.

Même s’il n’apparait que sous la forme d’hologramme, on peut tout de même remarquer un aspect incohérent par rapport à la période où est censée se situer cette histoire. En effet, ce court récit prend place avant l’épisode 1 tandis que cette figure du mal arbore déjà les cicatrices au visage que l’on ne verra que dans La revanche des Sith. Ce détail n’enlève rien à la soudaine apparition de Dark Sidious, qui aura dû nécessiter un travail supplémentaire à l’équipe qui n’aurait pu se contenter que de son timbre de voix si particulier. Son interlocuteur, Darth Maul, pour sa part n’aura en tout et pour tout que trois mots à déclamer en guise de réponse.

Contrairement à Ray Park, l’interprète officiel de Maul, qui avait été doublé par Peter Serafinowicz, ici il n’y a pas de quoi remplacer Ben Schamma. Peu loquace, on retrouve ce personnage quasi mutique, loin de son incarnation dans Clone Wars pleine de rancoeur, et qui ne laisse rien transparaitre lors des nombreux affrontements. Comme on vient de le voir, un tournage c’est un combat et ce fut le cas aussi bien derrière que devant la caméra. Cette dernière a même laissé sa place à quelques plans aériens avec l’utilisation d’un drone avant que cela ne se démocratise dans le commerce.

Cette perspective permet de donner de l’ampleur à la réalisation, qui reste assez minimaliste. Le cadre n’est jamais surchargé et laisse la part belle aux duels au sabre laser. Sur ce terrain, ce court métrage n’égale pas les chorégraphies de Ryan Vs Dorkman 1 et 2, bien plus inventive même si beaucoup plus éloigné visuellement de la galaxie lointaine, très lointaine. Néanmoins, la double lame de Maul permet de faire de beaux croisements et l’utilisation de la Force est aussi au rendez-vous. Bien qu’aider par des cascadeurs, les acteurs ont surtout été choisis pour leur capacité d’artiste martial.

Ils incarnent tous des Jedi et l’on a là un florilège de combattants assez éclectique, dont une apprentie qui donnera du fil à retordre au seigneur Sith. Physiquement, elle est assez proche de Rey qui faisait son entrée dans l’épisode 7, ce qui permet à ce fan film de mêler plusieurs influences. Cette ressemblance ne lui sera pas pour autant bénéfique puisque Darth Maul achèvera son apprentissage en même temps que sa cible. Pourtant, une scène coupée révèle que le sort de cette Jedi aurait pu être différent, mais l’équipe à choisi de ne pas aller dans cette direction afin de préserver la psychologie sans pitié du personnage titre.

Même si l’on peut ressentir une hésitation dans son geste à porter le coup de grâce, il s’exécute tout de même. Après tout, il aurait été dommage de s’en priver puisqu’il n’y a là aucun studio à satisfaire et désireux de préserver une classification tout public. Quand bien même, tout cela se fait hors champ et sans effusion de sang grâce aux sabres laser qui permettent de cautériser instantanément les plaies. Une autocensure qui n’empêche pas une sorte de fatilily sur un personnage que l’on croirait justement sortie d’un Mortal Kombat. Quoi qu’il en soit, c’est là une belle carte de visite pour Shawn Bu qui n’en est pas à son coup d’essai.

En effet, le réalisateur avait déjà mis en boite un autre court-métrage, beaucoup plus court et qui mettait déjà en scène Darth Maul. En moins de deux minutes au compteur, le Sith, toujours incarné par Ben Schamma, y affrontait un Jedi dans une ambiance très sombre, pour masquer le manque de moyens, mais aussi pour faire ressortir la luminosité des sabres. Il en ressort une bande démo annonçant ce fameux Darth Maul: apprentice, en espérant que ce dernier permette de passer à un format encore plus long. C’est dans la logique des choses et la prochaine étape serait de le voir à la barre d’un film à part entière. Si possible estampillé Star Wars. Il n’appartient qu’à Lucasfilm de faire passer ce cinéaste d’apprenti à réalisateur confirmé.

« DARTH MAUL: APPRENTICE » WINS!

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