
« BATMAN VS PREDATOR » VS PROCRASTINATION
Bruce Wayne, et Batman par extension, c’est la représentation même du développement personnel. Grâce à sa fortune, et ce que cela implique en termes de liberté, il est devenu la meilleure version de lui-même en se forgeant un mental d’acier. Mais comme beaucoup de personnes désireuses d’entreprendre un changement intérieur, cela s’est fait à partir d’un événement fondateur: la mort de ses parents dans une ruelle.
C’est à partir de cette tragédie que l’orphelin a quitté Gotham pour explorer le monde. Sur son chemin, il a rencontré bien des parents de substitution qui se sont transformés en mentors. Ainsi, ils lui ont appris à maitriser sa colère en lui montrant la voie de la méditation. Ses pulsions sous contrôle, Bruce deviendra plus réceptif à toutes les formes d’apprentissage. Et bien sûr, ces dernières n’ont rien de pacifique.
Sa musculature sera sculptée à travers toutes les techniques existantes de combat au corps à corps pour en faire une arme à part entière. Son physique sera poussé dans ses retranchements pour lui permettre de se déboiter un pouce ou une épaule en cas de besoin pour se libérer de ses entraves. Bien qu’il se refuse à en faire usage, le maniement des armes à feu n’aura plus aucun secret pour lui. Au caractère bruyant de ces engins de mort, il privilégiera le silence et l’art de la dissimulation des ninjas.
Une capacité qui ne lui sera pas d’une grande aide lors de son séjour à Las Vegas. Il ne se rendra pas dans la ville du péché pour dépenser son héritage dans les machines à sous, mais pour s’adjoindre les services d’un prestidigitateur. Le spectacle et la mise en scène y sont pour beaucoup dans la création de ce qui deviendra Batman. Une double identité qui fait également de lui un bon comédien lorsqu’il incarne un Bruce Wayne insouciant, pour mieux dissiper les soupçons.
Cette schizophrénie ne l’empêche pas d’avoir un intellect supérieur. Au contraire, c’est un expert en psychologie. Son esprit de déduction, pour mener à bien ses enquêtes, fait de lui un véritable mentaliste. Il est capable de décoder l’esprit humain pour mieux le manipuler, ou pour en deviner les secrets les plus intimes. Une compétence qu’il exploite également en tant que pirate du cyber-espace grâce à des programmes qu’il a lui-même conçus.

Le chevalier noir parle donc couramment le dialecte informatique, au même titre que les autres langues vivantes, ou mortes. Une notion qu’il doit à son tour du monde et qui l’a amené à se déplacer aussi bien en voiture, en moto, en avion ou en bateau. C’est donc un pilote hors pair sur n’importe quel engin motorisé dont il connait la mécanique dans les moindres détails. Il sait comment la réparer, tout comme il sait comment se réparer.
Son instinct de survie l’a amené à se soigner lui-même de dommages corporels comme des poisons. Sa connaissance des plantes médicinales n’a d’égale que son maniement à la perfection des différents ustensiles de médecine. Cela, il le doit à son excellente capacité de mémorisation inconcevable sans de bonnes nuits de sommeil. Et pourtant, Bruce paye le prix de cette double vie en s’acquittant de micro-siestes.
Avec tout cela, Batman est loin d’avoir usurpé son surnom de détective. Mais avant d’enquêter sur les autres, il lui a fallu enquêter sur lui-même. Se découvrir. Repousser ses limites. Surmonter ses peurs. Tout ce qu’une personne est humainement capable d’accomplir, il le peut. Pour toutes les autres tâches, il les délègue à Alfred. Son fidèle majordome qui n’est pas bon qu’à faire le ménage ou la cuisine, mais aussi à le guérir de ses blessures lorsque c’est nécessaire. Qu’elles soient visibles, ou invisibles.
Cette rétrospective de l’origine du Dark Knight pourrait faire office de documentaire animalier pour quelqu’un qui s’intéresserait à la faune de Gotham. Mais sa juridiction ne se limite pas qu’à cette ville corrompue, ce qui en fait le meilleur spécimen de la race humaine. Une sorte de super prédateur, parmi les prédateurs. Pourtant, s’il y en a bien un qui est susceptible de le voir comme une proie, c’est bien le Predator. Pour lui, la chauve-souris représente le gibier idéal à traquer.
Il était nécessaire de revenir sur les capacités hors du commun de Bruce afin de comprendre pourquoi cette rencontre, avec ce monstre du septième art, n’est pas incongrue. En effet, au premier abord, et bien qu’il ne fasse pas partie du même univers, les deux personnages n’ont rien en commun. Batman, de par son apparence et en apparence, a tendance à évoluer dans les sphères du surnaturel, tandis que le Predator est un pur produit de la science-fiction.

Mais si l’on se réfère au Silver Age, Batman a bel et bien rencontré des extraterrestres. La faute au Comic Code Authority alors en vigueur à l’époque et qui aura poussé les auteurs à produire des récits mettant en scène des menaces venues de l’espace pour contrer le genre horrifique. Cet aspect culminera avec le Batman de Zur-en-arrh originaire de la planète X. Le super-héros de chez DC Comics fera alors la rencontre de bien des formes de vie dans des planches toujours plus colorées. Ce qui n’est plus le cas ici. Du moins, si l’on fait abstraction de la vision thermique du Predator.
En association avec Dark Horse Comics, détenteur des droits du Predator, Batman VS Predator sort en 1992. À cette époque, le Comic Code Authority perd de son influence grâce à des éditeurs qui décident de ne pas se soumettre à cette dictature du politiquement correct. Dark Horse Comics est né de cette envie et ce crossover est totalement en phase avec la réinvention de Batman par Frank Miller. D’abord, avec The Dark Knight Returns puis avec Year One, l’ambiance de cet affrontement s’inscrit totalement dans cette veine.

Cette influence se ressent dès les premières cases avec un match de boxe, annonciateur de ce que l’on verra par la suite entre les deux têtes d’affiche de ce comics. Le vainqueur ne le sera que durant un court instant puisque le Predator ira se mesurer à lui dans l’intimité de sa chambre. Pour lui, cela n’a rien de personnel, peu importe si ce boxeur à des liens avec la pègre de Gotham. Par contre, c’est ce qui va attirer l’attention de Batman et le mettre sur la piste de ce chasseur.
D’un point de vue extérieur, en tant que lecteur, il est évident que cette histoire s’inspire grandement de Predator 2. Le monstre y évolue dans une jungle urbaine, il utilise une sorte de filet qui resserre son emprise sur ses proies avant de les achever, tandis que la police semble impuissante face à ce déchainement de barbarie. Le fait de voir évoluer le personnage dans une cité, de building en building, m’a toujours fait penser à un film de super-héros. Ou plutôt une sorte d’anti-héros exerçant une justice implacable.

Batman est loin d’être aussi extrême dans sa manière de procéder, mais Tim Burton a participé à rendre cette icône plus sombre. Le cinéaste a atteint son apogée, autant dans sa carrière que sur le personnage, avec Batman le défi. Sorti en 1992, soit 2 ans après le deuxième opus de Predator, il est intéressant de voir à quel point les deux suites sont proches dans leur univers visuel. Ainsi, je n’ai pas pu m’empêcher de voir en Burton le réalisateur idéal si une telle histoire devait être adaptée à l’écran.
Ce n’est pas qu’un artiste de l’épouvante, il a aussi oeuvré dans le domaine de la science-fiction, genre pour lequel il a beaucoup d’affection. Mars Attack n’est pas forcément le meilleur exemple, mais sa version de La planète des singes se rapproche déjà plus d’une vision sérieuse. Et s’il fallait choisir du côté de la saga Predator, j’opterais pour John McTiernan, réalisateur du film original, avec Schwarzy dans le rôle de Batman. À bien y regarder, c’est peut-être même la source d’inspiration d’Andy Kubert.

Le dessinateur propose un Bruce Wayne massif, tout en muscle et à la mâchoire carrée. Impression accentuée par l’encreur, son frère, Adam Kubert, qui en accentue les reliefs. Cette carrure de body-builder n’est pas sans rappeler celle du célèbre culturiste autrichien. Mais le seul rapprochement que l’on puisse faire avec le Dark Knight, c’est son interprétation de Mister Freeze dans Batman et Robin. D’ailleurs, il est dommage de ne pas avoir incorporé la technologie réfrigérante de ce personnage à l’intrigue, sachant que cela aurait pu rendre invisible Batman à son ennemi.
Mais ça aurait été lui facilité la tâche, taches que l’on retrouve au sens propre sous la forme de couleur pour représenter la vision thermique. Comme dans les films, le Predator met du temps avant de se dévoiler totalement. Que ce soit par le biais de sa vue subjective, ou juste de sa silhouette transparente, l’iconisation est totale. Plus encore lorsque l’on voit les fameux triples viseurs laser se superposer sur le logo de la chauve-souris. Une case simple, mais évocatrice du combat à venir.

Ça fait son petit effet, mais c’est surtout une prise de conscience quant au fait que le Predator se soit fait une place de choix dans le paysage de la pop culture. En l’espace de deux films à peine, à l’époque de la sortie de ce comics, il devient l’égal de Batman qui a construit sa légende depuis 1939. Une prouesse qui va au-delà du simple effet de mode pour faire des ventes autour de ces deux noms. Ce qui a tout de même était le cas, en plus du prix Eisner pour le meilleur encrage.
Cette histoire de Dave Gibbons va surtout influencer une grande saga du chevalier noir qui paraitra peu de temps après: Knightfall. Publier entre 1993 et 1994, ce récit mettra en scène Bane comme étant le seul à avoir réussi à briser la chauve-souris, physiquement et psychologiquement. Son dos s’en était retrouvé briser, tout comme son moral. Pour l’un comme pour l’autre, une longue période de rééducation fut nécessaire avant de revenir sur le devant de la scène.

Pour pallier à cette absence, Azrael avait été nommé comme remplaçant en titre. On retrouve ce même schéma dans Batman vs Predator, puisque le premier succombera aux attaques du second, jusqu’à se retrouver clouer sur un lit avec Alfred à son chevet. La ville restera ainsi sans sa protection durant quelque temps avant qu’il ne fasse son comeback. Entre-temps, personne ne l’aura remplacé, Azrael n’ayant été créé qu’un peu plus tard, mais Bruce reviendra avec un design qui partage de nombreux points communs avec celui de l’ange de la mort.
Il s’agit d’une sorte de blindage équipée d’un sonar, ce qui donne un look épuré au masque. Dommage que cette fonction, typique des chiroptères, ne soit pas utilisée lors de l’affrontement pour la mettre en parallèle avec les différents modes de vision du Predator. Cela lui aurait permis de repérer son ennemi malgré son invisibilité et ce grâce aux ondes sonores. À la place, ce sont les chauves-souris qui remplissent ce rôle lorsque Batman les appelle avec un système rappelant celui de Année 1, et repris dans Batman Begins.

Toujours est-il que cette armure ne sera pas de trop pour combattre cet extraterrestre. À croire qu’il s’agit du protocole en vigueur, comme cela avait été le cas face à Superman dans The Dark Knight Returns. Et on ne va pas s’en plaindre vu la magnifique illustration en pleine page qui nous révèle Batman, dos au Bat-signal. Le reste du combat final est lui aussi riche en cases de folies et en poses iconiques. Le corps à corps et les armes blanches sont privilégiés pour cet affrontement qui part du toit du commissariat jusqu’à la Batcave, pour se conclure dans la forêt qui jouxte le manoir Wayne.
Mais, dans cet échange de coups à la violence exacerbée, il aurait été intéressant de mettre en opposition les armes de chacun. Ne serait-ce qu’avec le disque tranchant du Predator et le Batarang qui sert à désarmer, il y avait de quoi montrer deux philosophies différentes. Une divergence qui aurait pu trouver son point culminant dans cette reprise de la fin de Predator 2. Comme dans le film de Stephen Hopkins, d’autres Predators débarquent pour rapatrier leur combattant.
Le climax de Alien Vs Predator récupèrera cette mise en scène avec le vaisseau en arrière plan. C’est là que l’on verra jusqu’à quel point s’applique le code d’honneur des Yautjas lors d’une traque. Et de l’échec de celle-ci. Le Predator se verra contraint par les siens de se faire Hara-Kiri avant que le sabre ayant servi à l’exécution de la sentence ne soit remis à Bruce qui assiste à la mise à mort. Un trophée qui aurait pu être tout autre en reflétant à son tour le code d’honneur du chevalier noir.

Au lieu d’un sabre, cela aurait pu être un pistolet, comme dans Predator 2 encore une fois. Pourquoi pas celui qui a tué ses parents et qui a fait de lui l’homme qu’il est aujourd’hui. Après tout, ce crossover n’a pas la prétention de s’inscrire dans la chronologie de Batman. C’est plus une sorte de hors-série. Il était donc permis de prendre quelques distances en supposant que cette arme avait été subtilisée sur le corps de Joe Chill, meurtrier des Wayne.
Avoir cet objet symbolique entre les mains aurait à coup sûr provoqué une forme de rejet de la part du dernier survivant de cette famille. Et qui sait comment auraient réagi les Predator face à cet affront? De quoi avoir des pistes pour les tomes suivants, plus intéressantes que ce qui a été publié. Les possibilités étaient également nombreuses concernant les easter eggs. Bien que cauchemardesque, le vaisseau du Predator est l’endroit rêvé pour ce genre d’exercice.
Entre une bague du Corps des Green Lantern dans un coin, une Mother Box dans un autre, les allusions à l’univers DC auraient pu susciter l’imagination des fans, comme avait pu le faire le crâne d’Alien en son temps. Ou inversement dans la Batcave en y plaçant une référence à Alien (un Facehugger peut-être?), puisque Batman s’est déjà retrouvé face au Xénormorphe en 1997. Ce lieu souterrain et ses reliques étaient également l’occasion d’enrichir la mythologie des Predators.

Ça n’était pas grand-chose de lui faire avoir une réaction devant le T-Rex mécanique entreposé. Cela aurait pu sous-entendre que ces chasseurs avaient déjà fait une halte sur Terre pour un safari contre des dinosaures. Voir peut-être même les rendre responsables de leur extinction. Il aurait suffi de quelques mots, parmi tous ceux qu’il a enregistrés depuis le début de cette histoire, pour suggérer bien des choses. D’ailleurs, en ce qui concerne son moyen de communication, on sent une forme d’auto-censure.
Jamais il n’ira au bout de ses insultes, s’arrêtant toujours à « fils de… ». Pourtant, ce ne sont pas les gerbes de sang, verdâtres certes, qui manquent pour se permettre ce type d’écarts. Des ellipses que l’on retrouve parfois d’une case à une autre, voire d’une planche à une autre. En effet, la narration est parfois bizarre dans son découpage. Quelques numéros de plus n’auraient pas été de trop, comparer aux trois issues qui composent ce recueil. Ce n’était pas la matière qui manquait pour s’étaler un peu plus sur la durée.
Puisque le Predator s’applique à remonter la chaine alimentaire de Gotham, il aurait été judicieux de le voir s’attaquer aux pensionnaires de l’asile d’Arkham, ainsi qu’aux membres de la Bat-family. Une montée en tension avant sa rencontre fatidique avec le boss de fin qu’est l’homme chauve-souris. Dave Gibbons préférera concentrer son récit pour aller à l’essentiel, mais non sans prendre quelques détours inutiles. C’est notamment visible à travers des flashs infos dans le style de Frank Miller.

Ces commentaires du journal télévisé, concernant les crimes du Predator, sont une bonne chose, mais cela fait plus office de remplissage. La moindre action est décortiquée par les médias quelques cases plus tard alors que l’on vient d’assister à ces scènes de sauvagerie en direct. Cela n’en redouble pas pour autant leur effet, au contraire, le rythme de l’histoire en ressort alourdi. Néanmoins, malgré ces quelques défauts, l’essence du Predator est respectée.
Ce croquemitaine intergalactique est fidèle à ses apparitions cinématographiques. Son tableau de chasse ne se limite qu’à des proies qu’il juge dignes d’intérêt. Si l’une d’entre elle ne représente aucun danger, il ne la tuera pas pour le plaisir. Je ne suis même pas sûr qu’il éprouve cette sensation. C’est un challenger dont l’orgueil le pousse à se mesurer à un adversaire à sa hauteur. Et plus dure est la chute lorsque l’on se croit supérieur aux autres.
En jetant son dévolu sur Batman, un des plus grands spécimens de la Terre, il a trouvé un ennemi capable de le surpasser. Pour en avoir dressé toutes les compétences, Bruce Wayne est loin d’être un gibier à sous-estimer. Il excelle dans tous les domaines et cette aventure lui a fait gagner en compétences. Des skills loin d’être gagnées tout en demeurant fidèle à ses valeurs, et face à un chasseur adepte du kill à tout bout de champ.
« BATMAN VS PREDATOR » WINS!