« BATMAN FOREVER » VS PROCRASTINATION
Devinette: Je suis un film de la saga Batman, mon pire ennemi n’est pas en tête d’affiche mais dans les coulisses, qui suis-je? Le studio. Une énigme digne du niveau de celle de l’homme mystère qui se voit en tant qu’opposant au chevalier noir, et par extension à Tim Burton. Ecarté de la production après le chef d’oeuvre crépusculaire que fut Batman le défi, le défi en question était tout autre pour la production en charge de ce troisième opus. En effet, l’initiateur de cette saga envisageait rien de moins que Johnny Depp dans le rôle de l’épouvantail prêt à répandre son gaz de terreur. Autant dire que c’est les responsables de chez Warner qui ont du inhaler des effluves de ce gaz au point de prendre peur et de mettre sur la touche le cinéaste. Il subsiste néanmoins quelques réminiscences de sa touche comme une séquence se déroulant à Halloween, une scène à l’asile d’Arkham (avec un docteur portant son nom) que l’on voit pour la première fois (faute d’avoir un endroit où enfermé les criminels dans les premiers opus puisque Burton s’est évertué à tous les tuer),…
Tim Burton n’officie donc qu’en tant que producteur sur cette suite et se révélera peu loquace sur cette mise à l’écart mis à part son avis sur le titre qu’il qualifie de digne d’un tatouage. Et quelques part il n’a pas eu tort car depuis ce diptyque colle à la peau de Joel Schumacher qui le remplace au poste de réalisateur. Le petit génie de Burbank ne fut pas le seul à quitter le navire, Michael Keaton a suivie le même chemin lorsqu’il a vu l’orientation qu’a pris le projet pour se voir remplacer par Val Kilmer. Quelque part, heureusement que Keaton n’est plus de la partie parce qu’avec son physique de Julien Lepers, le voir répondre aux devinettes de l’homme mystère aurait eu un arrière goût de « Questions pour un champion ». Bref on dirait que la plupart des choix artistiques de ce film se sont décidés avec la pièce fétiche de pile ou face. Cette production reste une énigme et à chaque instant on se demande si le film est plombé par la présence de Jim Carrey au casting ou si il sauve le film en lui insufflant une dose de folie?
Le duo de méchants qu’il forme avec Tommy Lee Jones, remplaçant au passage Billy Dee Williams en Harvey Dent, semble plutôt bien choisi et complémentaire. Nygma est en quelques sorte une question ambulante là où Harvey est une réponse hésitant entre oui et non, le bien et le mal, chargeant sa pièce de trouver une réponse. Loin de moi l’idée de vouloir intellectualiser un contenu qui vire au parodique et qui atteindra son point culminant dans le prochain et dernier épisode, mais cela mérité d’être soulevé. Du reste il s’agit d’un bête concours de cabotinage entre les deux acteurs dont Jim Carrey sort vainqueur. Retrouvant sa couleur préférée après The Mask, il se contorsionne comme Gollum sans pour autant l’égaler au jeu de devinettes dans Bilbo.
Dans l’excès en permanence, et donc fidèle à lui même, il aurait été plus judicieux d’assumer cette nouvelle direction artistique, et par la même occasion ce reboot, en faisant de lui la nouvelle incarnation du Joker. Un rôle à sa mesure et tellement évident que l’on ne peut voir qu’une erreur de casting lorsque l’on analyse son jeu peu approprié au personnage qu’il incarne. Le vert lui va bien au teint depuis The Mask, certes, mais il aurait pu exprimer tout son talent pour les expressions faciale délirante avec le rôle du clown prince du crime. Sans parler des cheveux vert qui lui aurait été beaucoup plus profitable que le roux qu’il arbore. D’ailleurs on en parle des différentes coupes de cheveux qu’il porte tout au long du film? Non, il y a bien trop à dire sur les autres aspect du long-métrage.
À commencer par les tétons sur le costume de Batman qui, à l’époque, semble avoir pris autant d’ampleur et d’impact que le nipplegate de Janet Jackson dans la même catégorie. Ajoutez à cela des plans sur les fesses totalement gratuits et on obtient une bonne polémique pour l’Amérique puritaine conservatrice. Pourtant le traitement des personnages est bien plus choquant dans la façon qu’ils ont de mettre les deux sexes sur un même pied d’égalité. En effet, la parité homme / femme s’en trouve respecter en mettant tout le monde au même niveau de médiocrité: l’image de la femme est dégradée au profit d’une imagerie gay pour le moins douteuse. Pour exemple: Drew Barrymore écope d’un second rôle complètement soumise à un Tommy Lee Jones, bigame pour l’occasion, là où Nicole Kidman fait du rentre dedans à Batman, vêtue de latex de la tête au pied, en chaudasse de service. Féministe comme homosexuel, l’image des deux communautés en prennent pour leurs grades.
L’orientation sexuel clairement assumée du réalisateur aurait pu permettre de s’intéresser à cette thématique sous jacente concernant Batman et le Joker, cet amour / répulsion qui unis le chevalier noir avec sa némésis. Ce partie pris gay aurait donc pu être totalement justifié mais encore une fois aurait-il fallu assumé ce reboot jusqu’au bout en réintroduisant le clown. En un sens Tim Burton avait déjà évoqué le fait que Batman Returns était un reboot du premier Batman, n’ayant pas eu les coudées franches pour faire ce qu’il voulait vraiment sur le film original. Mis à part quelques allusions, ce troisième opus est donc aussi différent que le deuxième à pu l’être du premier, seul Gordon et Alfred semble être des rescapés. La relation homosexuel entre Batman et le Joker, et pourquoi pas instaurer un triangle amoureux en introduisant Harley Quinn, aurait pu être l’occasion pour Schumacher d’explorer cette facette inédite et faire de ses films quelque chose qui se détache vraiment des opus de son prédécesseur: un film d’auteur. Je maintiens mes propos, Jim Carrey aurait fait un excellent Joker, d’autant plus que l’expérience semble avoir été bonne, lui qui reviendra sous la direction de Joel Schumacher pour le nombre 23. Un rôle un peu plus sombre et torturé, preuve que l’acteur peut jouer dans plusieurs registres.
Il est d’ailleurs interessant de se pencher sur les bonus qui mettent en avant des scènes coupées d’un tout autre ton. En effet, cette débauche carnavalesque ce justifie comme étant un hommage à la série télé des années 60, et en soit c’est une excellente adaptation au regard de cette note d’intention, mais cela n’empêche pas le film d’explorer la psyché de Bruce. C’est d’autant plus flagrant lors d’une scène, n’ayant pas survécu au montage original mais pourtant visible dans le trailer, rappelant pour une énième fois le meurtre de ses parents sous forme de flashback. Replacée au sein de la version cinéma, ce passage dans une Batcave complètement détruite voit Bruce se confronter au journal intime de son père et notamment au passage mentionnant la culpabilité de son fils dans la fameuse sortie au cinéma qui conduira à leurs décès. Cette révélation se conclura par l’apparition d’une chauve-souris géante qui l’amènera à enfiler de nouveau la défroque du Dark Knight.
Un nouveau costume plutôt classe qui se passe du logo jaune (et des tétons! La faute à un Bat symbole bien trop grand), de toute façon niveau couleur on a notre dose: lumière fluo à outrance à coup de projecteurs, de néons ou de peinture phosphorescente omniprésents dans presque chaque plan. Ce feu d’artifice de couleur arc-en-ciel qui explose la rétine est également l’occasion d’introduire Robin après deux refus successifs de la part de Tim Burton de l’inclure. On comprend pourquoi maintenant tant Batman est un personnage solitaire par essence. Mais bon cela fait toujours de nouvelles figurines à vendre en plus de nouveaux véhicules totalement redesignés pour l’occasion. Si la Batmobile subit un relooking total plutôt original et réussi, le Batwing révèle un design vraiment stupéfiant, moins en courbe que le précédent, et plus tranchant lorsqu’il pulvérise le Bat-signal en plein vol.
Et oui, derrière ce film mal aimé se cache quand même de bonnes choses et notamment de petites révolutions technologiques comme l’utilisation d’une doublure numérique lors des sauts en chute libre de Batman, assez impressionnant même encore à l’heure actuelle. La ville dans laquelle il évolue subit elle aussi un lifting numérique qui permet à la caméra de virevolter dans une Gotham City où Lady Gotham est loin d’être la seule statue. Cela donne un cachet et une identité à cette ville malfamée véritablement dantesque, à défaut de vouloir y vivre, en plus d’offrir de véritable ballet aérien à la caméra qui se faufile entre les buildings en image de synthèse. Des images qui sont accompagnés par la musique d’Elliot Goldenthal, qui remplace donc Danny Elfman sans souffrir de la comparaison, avec une composition oscillant entre le chevaleresque et le kitsch de la série dont il s’inspire.
Car oui, on en revient toujours à ça: la série des années 60 qui elle même adaptait les comics de l’époque. Comme beaucoup d’entre nous qui ont eu des périodes plus ou moins glorieuses dans leur adolescence (phase gothique, punk, grunge et j’en passe), le chevalier noir à eu les siennes et si l’on tient compte de ce point de vue ce film en est une excellente adaptation. Coloré, fun, dans la démesure à chaque instant, acidulé… Bref, pour avoir regardé cette série, c’est entièrement raccord avec le matériel d’origine. Les onomatopées en moins. L’exemple le plus parlant de cette influence de la série télé, qui a débuté en 66, reste cette Batmobile roulant sur un mur à l’aide d’un grappin et évoquant l’ascension des personnages sur un mur à l’horizontale et filmée à la verticale. Même si je lui préfère la vision de Tim Burton et ses influences remontant aux origines du personnage créé par Bob Kane (sombre, solitaire et n’hésitant pas à tuer), Joel Schumacher a choisi le contre pied total en prenant une autre direction et c’est tout à son honneur. Il faut avoir des couilles pour imposer sa vision et de la part d’un réalisateur homosexuel, il en a bien plus que certains l’ayant critiqué pour ce parti pris.
« BATMAN FOREVER » WINS!