« THE DARKEST HOUR » VS PROCRASTINATION
J’ignore si l’on peut parler de privilège dans ce cas précis, mais les Américains ont toujours eu les honneurs d’être en ligne de mire lorsqu’une invasion était planifiée par des extraterrestres. Pour une nation d’immigrés, c’est assez ironique de les voir pris d’assaut pour défendre une parcelle de terre qu’ils ont eux-mêmes envahie par le passé. Ainsi, la fiction en a souvent fait la cible comme si ces hommes et ces femmes avaient été victimes d’une malédiction jetée par les autochtones, les condamnant à vivre ce qu’ils leurs avaient fait endurer pour mériter de rester sur place.
L’industrie hollywoodienne est tellement consciente de son Histoire qu’elle n’hésite pas à la détourner afin de l’appuyer, quitte à en changer les événements. Les Indiens laissent ainsi leur place d’éternels souffre-douleur aux cowboys face à des extraterrestres dans Cowboys et Envahisseurs. De quoi les faire passer pour des victimes, même si ce long-métrage de Jon Favreau est bien meilleur que ne le laisse présager son titre. Son personnage principal, incarné par Daniel Craig, a beau être amnésique, ce n’est pas pour autant que l’on en oublie cette inversion des rôles.
L’aspect migratoire et population cosmopolite est également abordé dans le chef d’oeuvre Men in black. Bien que cela soit tourné sous la forme d’une comédie, cette adaptation d’un comics (tout comme l’était Cowboys et envahisseur) aborde la question de laisser entrer sur le territoire des étrangers venus d’ailleurs. Sauf qu’ici, c’est de manière littérale. Et pour rendre les choses encore plus drôles, cette agence gouvernementale ultra-secrète recrute Will Smith pour s’assurer de son bon fonctionnement. Acteur noir américain, c’est toute une communauté de l’Amérique qui était jadis opprimée, qui est ici représentée en guise de réparation.
Plus tard, et toujours sous la direction de Barry Sonnenfeld, la star tentera de réécrire l’Histoire en étant au casting du Western Wild Wild West sans grand succès, les spectateurs étant plus propice à croire à une invasion extraterrestre durant cette période qu’à un black en cowboy. Toujours est-il que c’est avec ce rôle de l’agent J qu’il est catalogué à l’époque comme étant l’alien guy puisqu’il avait précédemment été révélé grâce au Blockbuster Independance Day. Là encore, les États-Unis se posent en tant que dernier rempart pour contrer cette menace venue de l’espace.
À grand renfort de patriotisme, cette super production de Roland Emmerich propose un spectacle de tous les instants en plus de jouer à fond la carte du symbolisme. Le titre est suffisamment explicite, et pour le coup sans aucun double sens, pour assister à un feu d’artifice sans précédent. La fête nationale du 4 juillet en toile de fond rappelle que cette indépendance n’est pas seulement celle des treize colonies anglaises, mais surtout celle des États-Unis sur le reste du monde. Ce n’est pas la première puissance mondiale pour rien et bien que cet affrontement soit complètement imaginaire, il s’agit là d’une belle démonstration de force de frappe.
On en prend tellement plein les yeux dans ce déferlement pyrotechnique que l’on en oublie qu’il s’agit là d’une relecture officieuse de La guerre des mondes. Voulue par son auteur H.G. Wells comme une métaphore du colonialisme, au point d’en réduire Londres en cendres, son adaptation radiophonique par Orson Welles avait su marquer les esprits par son réalisme au point de devenir une légende urbaine. Mais c’est surtout la modernisation opérée par Steven Spielberg, sur un script de David Koepp, qui fera entrer ce récit dans le 21ème siècle.
Vu par le prisme de 11 septembre, vécu comme une véritable invasion de leurs valeurs, ce souvenir traumatique hante ici chaque plan de cette bobine. Et contrairement à tous les exemples cités précédemment, le célèbre cinéaste ramène le récit à un point de vue non seulement humain, mais aussi quotidien. Difficile de voir en Tom Cruise un personnage lambda, lui qui a toujours incarné des rôles toujours hauts gradés ou ayant accès à des privilèges que le commun des mortels ne pourrait se procurer. Il n’empêche qu’il reste un excellent acteur et c’est sur cette base très terre à terre que s’aventure The Darkest Hour.
Par là, j’entends le fait de ne pas avoir de liens avec le gouvernement qui permettrait de vivre la situation d’un point de vue militaire, ou en tout cas en ayant accès à une puissance de feu hors norme pour contre-attaquer. Mais comme les personnages sont d’origine américaine, c’est un peu dans leurs gènes de tout savoir sur tout. Sauf que pour une fois, ce groupe se retrouve en dehors de leur zone de confort: la Russie. Ça change de voir une autre ville que Los Angeles ou New York se faire envahir. Un simple changement de géographie qui permet de renouveler un peu le concept en tant que spectateur d’une histoire que l’on a déjà vu 100 fois.
La recette de ce type de film s’en trouve ainsi modifié comme une sorte de mise en abime. En effet, des Américains de passage à Moscou c’est déjà une invasion en soit, mais alors des Américains de passage dans la ville de Moscou qui elle-même est victime d’une invasion Alien, là c’est déjà beaucoup plus intéressant. On se retrouve donc à suivre Sean et son collaborateur Ben, sur le sol russe uniquement pour affaire, qui ne tardent pas à se mêler au mode de vie local. Tout comme les extraterrestres, qui eux ne sont pas de passage, au contraire, et encore moins décidés à se fondre dans la foule.
Heureusement, la présence de Émile Hirsch au casting permet d’avoir sous la main un expert en survivalisme depuis qu’il a joué le rôle principal dans Into the wild. C’est bête, mais parfois certains acteurs sont tellement identifiés à d’anciens personnages, que les compétences acquises précédemment ressortent instantanément. Comme une image qui leur colle à la peau et Max Minghella n’y échappe pas non plus en tant qu’intello de service et personne responsable. Des qualités qu’il doit à sa participation aux Marches du pouvoir de George Clooney, mais surtout à The social network de David Fincher.
Le duo est d’ailleurs un peu calqué sur ce stéréotype de jeunes entrepreneurs mettant au point une application révolutionnaire. Mais ne connaissant pas les rouages du business, ils vont se faire doubler par l’un de leur collaborateur incarné par Joël Kinnaman. Et comme il n’y avait pas assez d’Américains, cette fameuse application de rencontres va les mettre en relation avec Natalie et Anny en escale avant de partir pour le Népal. Leur point commun c’est la barrière de la langue que représente l’alphabet cyrillique, mais jusqu’à preuve du contraire, on crie tous de la même façon lorsque l’on se retrouve face à des Aliens.
Du moins quand on peut les voir. En effet, il s’agit dans un premier temps d’une menace invisible, mais non moins mortelle. Non content d’être une autre adaptation non officielle de La guerre des mondes, le livre étant libre de droits, le récit va aussi puiser dans Predator. Les créatures disposent donc d’un camouflage optique de forme sphérique, ce qui ne permet pas de deviner leur anatomie au-delà de cette bulle. Des contours que l’on devine lorsque les personnes qui s’en approchent trop se font réduire en cendre dans un ballet plutôt bien exécuté. Les victimes tourbillonnent alors en se désintégrant pour ce qui n’est pas sans rappeler les tripodes chez Spielberg.
Le parallèle est évident, mais cela reste une manière de maintenir le suspense en passant par différentes étapes avant d’en voir plus, et la suivante sera d’apercevoir les événements depuis leur point de vue si particulier. Contrairement au film de John McTiernan qui a initié toute une franchise ainsi qu’un crossover avec les Xénomorphes, ici il n’est pas question de différents modes (infrarouge, thermique…) pour détecter ses proies, mais d’un seul qui se révèle assez perfectible. Un point faible à exploiter puisque cette vision, en noir et blanc brouillée comme par des interférences et agrémentée de touches d’oranges pour simuler les formes de vie, se révèle inefficace à travers les surfaces transparentes.
Une aubaine pour le groupe qui va faire cette découverte au détour d’une scène alors que ce concept, pourtant astucieux, avait été contredit un peu plus tôt. En effet, alors qu’ils sont cachés sous une voiture en plein milieu de la place rouge, une créature passe par-dessus et nous offre son regard. C’est là que l’on peut clairement distinguer le véhicule comme étant scanné dans son ensemble jusqu’à voir le moteur sous le capot ou ce qu’il y a dans le coffre. Dommage qu’une telle incohérence n’ait pas été évitée ou que les règles n’aient pas été clairement expliquées plutôt que de jouer sur la subtilité entre ce qui est opaque et ce qui ne l’est pas.
Autre avantage pour les humains, à chaque fois que les créatures passent à proximité d’un objet nécessitant une source d’énergie pour fonctionner, celui-ci se met en marche. Qu’il s’agisse de l’alarme ou des phares d’une voiture, cela reste un indicateur pour repérer ces monstres fantomatiques. Ils vont alors faire le plein d’ampoule afin d’avoir un signal lumineux qui les avertira lorsque leur vie sera en danger. C’est dans cette idée toute simple, mais véritablement géniale, que The Darkest Hour trouve tout son intérêt. Et surtout son identité.
Là où la majorité des films ont rendu la nuit inquiétante et source de mauvaises rencontres, notamment dans le fantastique et l’horreur avec les figures surnaturelles, ici c’est tout l’inverse: le jour est beaucoup plus dangereux que l’obscurité. Cette dernière a pour elle de faire ressortir la lueur de toutes les sources de lumière et ainsi de rester à bonne distance de cette menace. De toute façon, puisqu’ils sont invisibles, le fait d’évoluer la nuit ne change pas grand-chose quant à leur visibilité. Il est juste dommage de ne pas avoir poussé l’idée jusqu’au bout en faisant des humains résistants des sortes de vampires pour la symbolique.
Surtout que le producteur Timur Beckmanbetov en connait un rayon sur les suceurs de sang après avoir réalisé le diptyque Night Watch / Day Watch. Toujours est-il que de voir des lumières s’allumer n’a jamais été aussi inquiétant alors que la logique voudrait que cela soit rassurant. Une bonne manière de rompre avec les conventions du genre pour mieux retourner ces idées reçues contre le spectateur. Si l’on s’en tient à cela, le film tire parti de son petit budget d’à peine 40 millions de dollars d’une manière astucieuse pour compenser le manque de moyen que nécessite un Alien movie.
Chacun de ces aspects joue plus sur la suggestion qu’autre chose. Sachant que les victimes sont réduites en cendre, le fait d’en répandre sur le sol est une idée à moindre cout qui veut dire beaucoup dans un plan. Filmer de nuit est gage d’une plus grande liberté pour tourner et surtout dissimuler dans le noir des éléments du décor pas très aboutis. Les ennemis sont invisibles ce qui est l’occasion non seulement de ne pas s’embarrasser avec un design déjà vu et revu, mais surtout de susciter la curiosité du public. En lieu et place, leur vision subjective est suffisamment évocatrice sans pour autant être un gouffre en termes d’effets spéciaux. Quant aux lumières qui s’illuminent pour simuler leur avancée, il n’y a pas plus simple à mettre en oeuvre.
Le script avait donc été conçu pour contourner les faiblesses de son budget, jusqu’à ce que les monstres soient révélés. On dit qu’il est toujours bon de laisser une part de mystère, de laisser des pans de l’intrigue à l’imagination du spectateur et ces extraterrestres auraient dû en faire partie au vu du résultat. Autant pour le bien du récit que pour l’aspect visuel, la découverte de leur look est une déception. Pas parce que le design n’est pas à mon gout, mais tout simplement parce qu’il n’y en a pas. Ou en tout cas, je n’ai pas réussi à le distinguer parmi les différents effets qui gravitent autour de ces êtres.
Même à l’état de cadavre, il est impossible de voir l’intention d’origine derrière ce brouillon en action. Les concepts arts ne m’en diront pas plus sur l’orientation voulue et qui n’a pas du franchir le stade de l’esquisse. Tout ce que l’on peut voir lorsque l’un d’entre eux se révèle suite à une décharge de micro-ondes, c’est une sorte de combinaison d’anneaux qui gravitent pour faire office de champ de force, et en son centre se trouve une silhouette avec deux yeux. Au-delà de cette description, il est quasiment impossible d’en voir plus et il aurait été plus intelligent de ne rien montrer du tout.
Moi qui croyais que les Mimics de Edge of Tomorrow étaient beaucoup trop rapides pour en discerner quoi que ce soit, je suis donc tombé sur bien pire. Au passage, ce film avec Tom Cruise, encore, est aussi un Alien movie prônant les valeurs américaines, mais cette fois-ci sur le sol français et sous couvert de boucle temporelle. Le titre The Darkest Hour aurait d’ailleurs tout à fait pu lui convenir (lui qui a tellement changé au cours de sa production en étant d’abord appelé All you need is kill puis Live. Die. Repeat. avant de devenir Edge of tomorrow) puisqu’il implique une temporalité que l’on a un peu de mal à discerner ici.
Outre cette thématique, ce titre évoque surtout les mots de Winston Churchill pour décrire le conflit de la Seconde Guerre mondiale, et plus précisément la situation de la France face à l’envahisseur. Le Premier ministre britannique y évoquait alors des heures sombres, et Edge of tomorrow a su tirer parti de cette page de l’histoire pour nous rappeler que les Américains ont débarqué pour nous prêter main forte. A contrario, le film de Chris Gorak ne dresse aucun parallèle entre les deux nations malgré la guerre froide qui les a vues s’opposer. Pourtant, tous les deux se réclament du même type de divertissement.
Quitte à choisir, il aurait donc été beaucoup plus pertinent de situer cette même intrigue en France et plus précisément dans la capitale. Surnommée la Ville lumière, Paris se serait très bien prêtée au concept de ces Aliens qui activent les sources lumineuses sur leur passage. Et puis ce ne sont pas les monuments propices aux scènes d’action qui manquent pour fournir un terrain de jeu satisfaisant. Voir la tour Effeil s’illuminer progressivement à mesure que les extraterrestres la gravissent aurait pu faire office de tensiomètre pour les protagonistes se cachant à son sommet.
De plus, la dame de fer s’impose en tant que cage de faraday XXL, une notion scientifique que l’on retrouve lors d’une scène, mais réduite à l’échelle d’un logement dans un appartement. Du reste, tous ces plans post-destruction que l’on peut voir, comme cet avion qui a éventré un centre commercial ou un pont endommagé pas un bateau, auraient été tout à fait possible grâce à la géographie de Paris. L’ouverture aurait même pu bénéficier d’un faux semblant en montrant la statue de la liberté en contre-plongée avant de se rendre compte qu’il s’agit de sa reproduction modèle réduit sur les bords de seine.
Mais bon, je m’emballe et comme l’invasion est mondiale d’après le background du film, j’imagine que tout ce que je raconte s’est produit d’une certaine manière. Bien sûr, on n’aurait pas échappé aux clichés sur les Français et leur art de vivre tout comme The Darkest Hour ne se prive pas des stéréotypes sur la Russie. En témoigne cette introduction où les images de Moscou défilent sur une bande son débile pour nous présenter cette ville. Une fois sur place, les locaux seront représentés à l’image de ce montage épileptique, laissant toujours les visiteurs américains en position de supériorité.
Même lorsque cette petite troupe se fait sauver la mise par des survivants en mode Mad Max, ils trouvent encore le moyen de parler anglais avec un léger accent bien caractéristique. Une chance lorsque l’on sait que la Russie est l’un des pays qui est le plus à la traine en ce qui concerne l’apprentissage de l’anglais. Mais sans ce raccourci scénaristique, pas de récit, et on sent bien que celui-ci a été écrit pas un Américain. Il s’agit ici du premier scénario de Jon Spaights qui est porté à l’écran et qui a par la suite oeuvré sur Prometheus, Doctor Strange, Passengers, La momie et dernièrement Dune.
Une filmographie majoritairement issue de la science-fiction et c’est à se demander si ce récit n’aurait pas gagné à embrasser le genre plus frontalement. Avec un réalisateur ayant une véritable vision à la tête de ce projet, The Darkest Hour aurait pu se métamorphoser en digne suite spirituelle de Pitch Black qui lui aussi jouait beaucoup avec les notions de jour et de nuit. Et qui plus est avec un budget divisé par deux par rapport à celui-ci. Avec un seul film à son actif, Los Angeles: alerte maximum, Chris Gorak n’arrive jamais vraiment à filmer de scènes marquantes et encore moins des plans iconiques alors qu’il y avait de quoi faire.
Ce qui partait d’une bonne intention est donc une occasion manquée de renouveler un genre, que les Américains maitrisent parfaitement, pour le transposer ailleurs que dans leur contrée. On est tous l’étranger de quelqu’un d’autre et en cela, il ne faut pas oublier que l’une des traductions d’alien est étranger. Une précision que rappelle très justement le film Jupiter Ascending dont l’héroïne principale est une immigrée russe et dont l’origine s’intègre au coeur du récit. Chose que ne fait jamais The Darkest Hour. Mais de toute façon, lorsqu’il s’agit d’inverser les rôles entre les envahisseurs et les opprimés tout en évoquant la première puissance mondiale, Starship Troopers reste inégalé.
Que l’on ne s’y trompe donc pas, le véritable attrait de The Darkest Hour n’est pas dans sa délocalisation, mais dans bien son concept invitant à se sentir plus en sécurité dans l’obscurité. Une peur ancestrale qui aurait mérité d’être plus développée tout comme les intentions de ces extraterrestres. Au-delà du fait qu’ils sont là pour piller toute notre énergie, on ne sait rien d’eux. Des informations surement destinées à alimenter une suite qui ne verra jamais le jour. Reste cette petite heure et demie qui a tout du divertissement honnête et sans prétention, sans pour autant vous faire vivre l’heure la plus sombre de votre cinéphilie (surtout si vous vous mettez dans l’ambiance en buvant un shot de vodka à chaque cliché), pas plus que cela n’aura le temps de saper votre énergie à l’instar de ces êtres venus d’ailleurs.
« THE DARKEST HOUR » WINS!