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« Libre et assoupi » de Benjamin Guedj

« LIBRE ET ASSOUPI » VS PROCRASTINATION

Je n’ai jamais vraiment compris les personnes qui s’ennuient. En tant qu’hyperactif c’est quelque chose que j’ai rarement expérimenté et je dois avouer que les occasions sont rares de se retrouver dans cet état émotionnel de vide intense. Nous vivons dans une société où c’est un exploit d’être dans cet état de végétation, incapable de trouver une occupation à même de combler un manque. Et pourtant elles sont nombreuses. L’addiction aux réseaux sociaux, l’omniprésence de la publicité, la surproduction de contenus dans les médias, les plates-formes de streaming, les sorties culturelles… et bien sûr les films. 

Tout cela participe à être sollicité par un stimulus qu’il soit auditif ou visuel, afin de faire diversion. De rediriger notre attention vers quelque chose de divertissant pour faire passer le temps lorsque celui-ci nous semble trop long. Mon emploi du temps chargé me permet généralement d’éviter ces moments que je fuis et la plupart du temps si je me retrouve dans une sensation de mal-être c’est parce que je n’ai pas réussi à accomplir toutes les tâches que je m’étais attribué. Par contre si je devais choisir une sensation qui s’en rapproche le plus c’est bien la procrastination et c’est surement lors de l’un de ces moments de faiblesse que j’ai opté pour le visionnage de Libre et assoupi.

D’abord attiré par la présence de Baptiste Lecaplain au casting, que j’avais découvert dans le rôle du colocataire dans la série Bref puis dans son one man show en tant qu’humoriste, j’ai vite réalisé que j’étais devant une mise en abime de ma situation. Tout comme ce jeune se lançant dans la vie active, j’étais en train de fuir mes obligations pour me plonger dans de futiles distractions. A mes yeux cela n’en a jamais été puisqu’en tant qu’aspirant écrivain, je me suis toujours dit que le moindre divertissement était une source d’inspiration potentielle pour mes écrits.

Là c’est loin d’être le genre de film que je regarde d’habitude donc je n’ai même pas cette excuse. Je crois que je voulais juste me changer les idées lorsque j’ai appuyé sur le bouton lecture. Moi qui étais inconsciemment persuadé que j’étais devant une comédie française bien lourde pour me vider la tête, j’ai eu la surprise de voir celle-ci mise à contribution. Pas au point de remettre en question le genre du film mais suffisamment pour le faire sortir du lot des productions hexagonales ayant pour vedette Dany Boon, Kad Merad ou encore Franck Dubosc. Entre leurs mains ce projet n’aurait absolument pas été le même que sous la houlette de Benjamin Guedj. 

Il y a même ce petit côté film d’auteur populaire où les dialogues et les réparties font mouche dans la lignée D’un diner de cons ou Le prénom. Ces deux exemples ont pour eux d’avoir été des adaptations de pièce de théâtre avant d’être sacré au cinéma et lorsque l’on voit le peu de décors utilisés pour l’intrigue de libre & assoupi, on se dit que ce film pourrait aisément faire le chemin inverse pour aller jusqu’aux planches des scènes de théâtre. Un jour peut-être, mais avant d’en arriver là cette histoire a déjà subi quelques modifications pour transposer les mots de Romain Monnery, l’auteur du roman original.

Adaptation de libre, seul et assoupi, le titre perd d’emblée la solitude de l’objet littéraire afin de toucher plus de spectateurs. Et il y a de quoi se reconnaitre dans cette histoire d’un jeune se complaisant dans l’oisiveté. On a tous eu ce genre de passage à vide où l’on cherche un but à notre existence, le regard plongé dans le néant. Ou en regardant le plafond. Ce dernier est d’ailleurs un élément fondamental dans la vie de Sébastien Morin puisque c’est ce qu’il a le plus regardé dans sa vie. Dis comme ça ce personnage est loin d’être un violent et pourtant il va s’employer à briser le quatrième mur et ce dès le début du film.

Cette introduction est l’occasion pour un aparté face caméra sur les joies de la masturbation. Par cette entrée en matière, il y a de quoi être déstabilisé par les confidences de ce branleur jusqu’à ce que la mise en scène de Benjamin Guedj vienne doucement soustraire le spectateur à ce malaise pour le remplacer par Bruno. Incarné par Felix Moati, l’acteur qui a fait ses premiers pas dans Lol ne semble pas encore avoir quitté sa période BB Brunes dont il pourrait être l’un des membres au vu de sa coiffure. Pas de quoi lui en tenir rigueur puisqu’il est l’un des meilleurs personnages que sa coloc’ s’amuse à façonner par le biais de son journal intime à cause de sa curiosité mal placée.

En cela Bruno est un peu ce que Baptiste Lecaplain était dans Bref, un colocataire aux habitudes douteuses et au comportement exacerbé. De là à dire que dans ce film ce dernier est dans un rôle à contre-emploi n’a rien d’exagéré, lui qui l’est tellement dans ses spectacles. Dans le rôle de Sébastien ou « l’autre » selon son interlocuteur, Baptiste est tout en retenue par rapport aux démonstrations de folie dont il fait preuve dans ses one man show. « Origines » est un exemple flagrant de son talent et ici c’est encore une autre facette de ce comédien que l’on découvre.

Pour terminer les présentations de cette colocation, Charlotte Le Bon, qui d’ordinaire est pétillante et pleine de vie, joue ici un personnage que l’on a du mal à cerner. Pire, que l’on a parfois envie de détester. Elle manipule Bruno plutôt que de couper court à ses espérances quant à une future relation et a invité Sébastien à rejoindre ce groupe dans le seul but de pouvoir le séduire. Son stage dans une maison d’édition entre directement en résonnance avec le matériel original de cette adaptation qui a subi des modifications mais aussi des coupures.

L’esprit du roman de Romain Monnery demeure intact mais on aurait tout de même aimé avoir l’intégralité du parcours du personnage tant Baptiste Lecaplain l’incarne à la perfection. Exit donc le poste d’hôtesse à l’occasion d’un salon automobile mais on a tout de même son stage dans une boite d’audiovisuel où il est payé pour regarder la télévision. Une tâche ingrate au regard de son parcours scolaire mais qui lui permettra de tomber enfin amoureux de Valentine Cailloux. On dit qu’une grande majorité des rencontres amoureuses se font sur le lieu de travail et pourtant cette fille n’est même pas une collègue de bureau. Ce n’est qu’une interview au journal télévisé datant de 2006 qu’il est chargé d’archiver.

Comme lui fera très justement remarquer Bruno, encore une fois il s’arrange pour esquiver la réalité en s’amourachant d’une fille qui vit des années en arrière. Pourtant après de multiples visionnages on remarque que cette Valentine est visible de dos dans le premier acte du film alors que Sébastien sort de pôle emploi et se met à divaguer en imaginant la vie des passants qui l’entourent. À ce moment, il y a ce côté rêveur chez le personnage que l’on peut retrouver chez Xavier dans Les poupées russes. Cette ambiance, voulue ou non, marque une grosse différence entre la génération Erasmus de la trilogie de Cédric Klapisch et celle actuelle qui est beaucoup plus statique.

Les musiques participent également à rythmer le film et notamment Blood du groupe The Middle East. Crazy Stupid Love, une autre de mes comédies préférées, et j’en ai peu, utilisait aussi ce titre pour son épilogue. La douceur de cette chanson et ses chants d’enfants se mêlent parfaitement à la réalisation de Benjamin Guedj qui ne tombe jamais dans le grotesque malgré son sujet. Il aurait été tellement tentant de tomber dans un humour à la Tuche pour rester dans la complaisance d’être sans emploi. Le passage en slip dans la scène du musée avait de quoi être aussi un monument de beauferie comme seul Frank Dubosc semble en être capable mais finalement ce moment est sauvé par l’interprétation de Felix Moati.

Cela a beau être le premier film de Benjamin Guedj, il fait preuve d’une certaine maturité avec un point de vue vraiment personnel. Ses plans sont toujours bien cadrés et ses mouvements de caméra ont l’intelligence d’évoquer un élément de l’histoire. Je pense notamment à ce plan récurrent qui adopte un point de vue zénithal lorsque Sébastien sort dans la rue et va à contre-courant de la foule de travailleurs. Sans en dire plus, on pense immédiatement à la vue plongeante depuis son balcon mais aussi à un contre champ avec son plafond. Cet élément récurrent se voit ici décliner d’une belle façon sans en faire des tonnes.

C’est suffisamment subtil pour être souligné et c’est avec ce genre de film que je me rends compte qu’il m’est difficile de l’analyser. Une histoire banale loin de mes classiques de prédilections par lesquels je ne jure que par eux. Et pourtant Libre et assoupi a réussi à s’y faire une place doucement mais surement d’où cette chronique. J’ai essayé de comprendre mon intérêt pour cette histoire au point d’y chercher des sens cachés. Ce n’est pas de la branlette intellectuelle, même si il y est question de beaucoup de réflexion sur la branlette. Pas au point de l’intellectualiser même si ce film se propose d’actualiser cette pratique solitaire dont le personnage se réclame en tant que grand pratiquant.

Puis finalement j’ai vraiment compris ce que représentait ce long-métrage pour moi lorsque j’ai perdu mon emploi. C’est là que j’ai compris que, à la manière dont on regarde des comédies romantiques lorsqu’on se sent triste sentimentalement, il devrait exister des films pour chaque situation. Le voir à nouveau alors que j’étais au chômage m’aura aidé à vivre un peu mieux cette période. C’était une véritable retranscription de ce que je vivais, des émotions que je ressentais face à ce vide qui s’empare de nous lorsque nos journées sont ponctuées de recherches de job en tout genre, de bilan de compétences, de rendez-vous aux quatre coins de la ville pour un entretien, de démarches administratives…

Perdre son CDI ou son compagnon suite à une rupture, de contrat, c’est un peu le même sentiment d’abandon. Le même combat intérieur, le même sentiment d’injustice, le même cheminement pour se reconstruire. C’est en cela que j’ai compris que c’était un film qui avait du coeur. Et tandis que j’étais plongé dans mes lettres de motivation à la recherche de celle-ci, j’y ai finalement trouvé un nouveau souffle dans l’écriture. Je me suis amusé à personnaliser chaque courrier pour les différents employeurs auquel j’ai postulé. Au final cette reconversion professionnelle m’aura permis de consolider ma passion envers cet art, cet amour de la littérature comme celui qui est décrit dans le film par Charlotte Le Bon.

Au détour d’un dialogue, son personnage avait accusé Sébastien de cacher son talent pour l’écriture en ne le mettant pas en pratique. C’est exactement ce que j’ai voulu faire et écrire sur ce film aura été un bon moyen de le comprendre. De comprendre ce qu’il représente pour moi. On a tous été comme lui un jour, on a tous été dans une période de remise en question, même si elles sont souvent rhétoriques. Au final, je ne sais toujours pas pourquoi j’aime ce film mais en tout cas je sais qu’il me rend libre et assoupi.

« LIBRE ET ASSOUPI » WINS!

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