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« Charlie’s Angels » de Elizabeth Banks

« CHARLIE’S ANGELS » VS PROCRASTINATION

D’abord au nombre de quatre dans la nouvelle itération de SOS Fantômes, puis le double dans Ocean’s 8 et enfin toute une armée dans Charlie’s Angels, rien de tout cela n’aura suffi. Respectivement sortis en 2016, 2018 et 2019, même Men In Black International aura vainement tenté d’imposer son féminisme ambiant sans pour autant y parvenir, la subtilité étant loin d’être au rendez-vous. Cette mouvance légitime, afin de rétablir une certaine parité dans le paysage cinématographique, a pourtant tout de la recette gagnante tant recherchée par Hollywood.

La cible pour rameuter le public en salle est donc en toute logique les femmes en recherche de Girl Power. Par effet de ricochet, les hommes sont également censés faire partie de l’équation en misant sur leur libido sauf que la sauce ne prend pas. Le panel masculin tant attendu pour venir admirer les courbes des héroïnes est absent. Loin de leur rôle de faire valoir ou de love interest, ils ne semblent pas éprouver d’intérêt pour ces femmes libérées si elles ne sont pas mises en contraste avec un homme fort. Un mâle Alpha dans toute sa splendeur.

L’aventure en salle se tente donc généralement en couple, mais même cette définition n’a plus lieu d’être à notre époque. Le modèle homme / femme est maintenant dépassé et les orientations sexuelles ont ouvert la voie à un tout nouveau type de public. Et je ne parle pas des opinions politiques qui pèsent dans la balance lorsqu’un film traite de féminisme. Même nos politiciennes françaises ne sont pas d’accord entre elles sur ce que c’est que d’avoir une tenue adéquate à l’école. C’est d’ailleurs ce à quoi ressemble la nouvelle agence Townsend.

Une école doublée d’un centre d’entrainement pour former à la chaine des filles et le tout dirigé par le fameux Charlie. Bien que ne se limitant qu’à un trio de femmes, c’est un concept qui date de la série télé et qui a donc évolué de la petite agence de détectives à une entreprise. De quoi faire passer le fameux Charlie pour un proxénète de première et même si cela est désamorcé en fin de film par le fait qu’il s’agit ici d’un prénom mixte, ce retournement de situation ne fait que de cette femme une sorte de maquerelle.

Sans compter que cette révélation, qui n’a rien de surprenante tant c’était la moindre des choses dans un film de cette envergure, envoie un mauvais message. En effet, entretenir la supercherie quant au fait que Charlie soit un homme montre que les femmes sous sa direction ont besoin d’avoir cette image patriarcale pour obéir aux ordres. Des hommes sont tout de même présents et relégués au rang de Bosley. Les deux films précédents avaient déjà introduit l’idée qu’il s’agissait d’un grade dans cette organisation et c’est donc l’occasion de développer cette idée à plus grande échelle.

En effet, plus il y a d’anges à gérer plus il faut de superviseurs et c’est ainsi que l’on retrouve entre autres Djimon Housoun et Patrick Stewart dans cette fonction interchangeable. Ce dernier tente ici tant bien que mal de casser son image de professeur Xavier, mais cela ne fonctionne pas plus que Kristen Stewart. Aucun lien de parenté, mais un même problème auprès d’un public qui les a catalogués dans un rôle bien précis. Elle renoue ici avec les blockbusters depuis sa déconvenue en 2012 avec la fin de la saga Twilight et son aventure avec le réalisateur de Blanche-neige et le chasseur.

Elle fut chassée de la suite de cette nouvelle franchise pour finalement s’engouffrer, comme son ex-compagnon Robert Pattinson, dans le cinéma indépendant. Contrairement à ce dernier, cette cure ne semble pas avoir amélioré son jeu tant elle en fait des tonnes dans le stéréotype de la lesbienne. Cheveux courts et mèches colorées, elle reluque une autre fille lors d’une scène dans une salle de sport. C’est d’un mauvais gout plutôt surprenant lorsque l’on se renseigne sur la vie privée de l’actrice qui ne se cache pas pour afficher ouvertement sa bi-sexualité.

Un train de retard sur la vision de la femme et son personnage n’est guère plus ponctuel. L’écriture du scénario fait toujours en sorte de la tenir pour responsable de l’échec d’une mission. Le reste de cette trinité n’est pas mieux lotie en termes de profondeur et de caractérisation. Entre une qui a été recruté en pleine mission pour son potentiel de cliché geek à lunettes (Naomi Scott) et une autre qui rattrape les erreurs de ses partenaires à tel point qu’elle pourrait gérer le film à elle toute seule (Ella Balinska): difficile de prendre tout cela au sérieux.

Et cela n’aurait pas été un problème si le ton affichait était dans la lignée des deux premiers opus. Car oui, bien que le casting soit différent, ce long-métrage s’inscrit dans la continuité du diptyque réalisé par McG. Cette version 2019 s’appuie sur ce background, images à l’appui afin de faire une rétrospective au spectateur croyant avoir à faire ici à un reboot, mais cela ne fait que susciter de la nostalgie envers ces oeuvres. En effet cette pêche et cette bonne humeur qui caractériser les autres volets ne sont pas présentes ici.

Le ton employé était autrement plus parodique en utilisant les clichés chers aux films d’action et d’espionnage pour les détourner de manière comique. Là, les clichés sont bien présents, mais ils sont utilisés au sein du récit comme si ils venaient d’être inventés pour révolutionner les codes du cinéma. Évidemment ça ne prend pas puisque cela ressemble à n’importe quelle production évoluant dans le même genre. Pire encore, ce film ne rentre même pas en compétition avec les autres longs-métrages qui mettent en avant des hommes en tête d’affiche, mais juste avec sa propre lignée.

Pop, fun, coloré, drôle, dansant, énergique: voilà tout ce qu’étaient les précédents volets et ce que n’est pas celui-ci. On sent quand même la volonté de se conformer avec un certain cahier des charges instauré par cet héritage avec une timide scène de danse là où avant on avait carrément des passages de pure comédie musicale. L’homme de main incarné par Jonathan Tucker rappelle lui aussi « l’effroyable sac d’os » de Crispin Glover dans son physique atypique sans pour autant égaler l’original. Une pale copie à appliquer à l’ensemble de la production.

Au regard du résultat, il aurait été plus intéressant de faire un troisième opus avec les membres du casting original ainsi que McG à la barre pour faire son grand retour à la franchise qu’il a initiée. Sachant que le premier opus était centré sur Cameron Diaz et le second sur Drew Barrymore, Lucy Liu était toute désignée pour clore la trilogie de manière équitable. Sans compter que l’actrice a fait un retour en force dernièrement sur le petit écran avec « Why Women kill? ». Une série bien plus pertinente dans ses propos lorsqu’il s’agit de parler de féminisme.

Généralement le féminisme fonctionne dans les autres films car il est mis en contraste avec ce que les hommes représentent. La place qui leur est accordée dans le récit est tellement minime que cette différence avec les femmes ne se fait que peu ressentir. À peine a-t-on une remarque misogyne pour révolter une héroïne en devenir. Il est consternant de se rendre compte au final que le film ne met jamais vraiment en avant des femmes fortes, il se contente de faire le procès des hommes. Nuance. Et même eux ne sont pas forcément mieux servie en termes d’écriture.

À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire. C’est exactement ce qu’il en ressort de cette opposition des genres puisque les scénaristes, Evan Spiliotopoulos et David Auburn, n’ont rien trouvé de mieux que d’émasculer la gent masculine pour contrebalancer le côté garçons manqués des filles. Bravo messieurs d’avoir fait preuve d’autant d’originalité. Ainsi on a droit au cliché d’un gay qui s’agite dans tous les sens comme une folle dès qu’il est contrarié ou encore au cliché du mâle homo qui fait office de nounou pour les Anges. 

Accent et manières pour accentuer son appartenance, Luis Gerardo Méndez en fait des tonnes dans le gay de service alors que cela fait partie intégrante de son identité. Les scénaristes auraient mieux fait de lui demander conseil sur la communauté LGBT plutôt que de se satisfaire de ces éternels clichés qui ont la vie dure. Le jeu de Sam Claflin est celui qui souffre le plus de ce stéréotype, la faute à une direction d’acteur complètement à la ramasse. Pour cela, l’acteur, que l’on a également pu voir aux côtés de Kristen Stewart dans Blanche-neige, a été dirigé par sa partenaire de jeu dans Hunger Games: Elizabeth Banks.

Il s’agit ici de son troisième film en tant que réalisatrice et elle aurait dû se concentrer sur ce poste. En effet, l’actrice a également la vanité de vouloir être derrière et devant la caméra. En multipliant sa présence, Elizabeth Banks pirate le film à vouloir jouer sur les deux fronts comme elle le fait dans le récit en jouant un double jeu. Elle cannibalise sa propre production à vouloir imposer sa présence pour montrer qu’une femme peut être multi-taches. Aux dernières nouvelles, les femmes se battent pour l’égalité des taches il me semble et non pour se les approprier toutes.

En tout cas si c’était pour nous montrer un exemple d’une personne submergée par le travail au point de s’y trouver noyer, c’est réussi. Les incrustations sur les fonds verts sont du niveau des deux premiers Charlie’s Angels qui datent respectivement de 2000 et 2003, et en cela on est dans une certaine continuité graphique, je dois bien l’avouer. Les scènes d’action sont loin d’être dynamiques et seule une a retenu mon attention par son originalité, où du moins son décor qui prenait place dans une carrière pour extraire de la roche.

Pas de quoi sauver un film avec cette scène, qui ne sort juste du lot que parce que les autres sont d’une banalité affligeante, ni même relancer une carrière. Et des jeux de mots tout aussi pourris que celui que je viens de faire, le film en est parsemé et c’est surement une chose que nous devons à la réalisatrice / actrice / productrice. En effet, le don d’ubiquité d’Elizabeth Banks est loin de s’arrêter là puisqu’elle a aussi mis son empreinte sur le scénario. Rien que le fait de savoir qu’il a fallu trois personnes pour écrire quelque chose d’aussi vide de sens fait froid dans le dos.

D’autres femmes à ces postes clés, tant convoités dans l’industrie du cinéma, auraient été de l’argent mieux dépensé. Si le film est ce qu’il est, c’est entièrement du fait de cette femme-orchestre incapable de déléguer quoi que ce soit à ses collaborateurs. Surement par souci d’avoir une vision uniforme du projet là où l’entraide féminine que prône l’intrigue aurait été bien plus bénéfique dans les coulisses. Notre société patriarcale est un véritable problème en soi et il suffisait de se tenir un minimum informer pour avoir des pistes de réflexion bien plus intéressantes en guise de scénario.

Loin de moi l’intention de vouloir ranimer des débats qui n’ont pas lieu d’être dans un blockbuster estival, mais le divertissement n’est pas obligé d’être dénué de réflexion. Il y a toujours eu différents niveaux de lecture pour une oeuvre et il y avait là matière à évoquer plus d’un sujet d’actualité sous forme de métaphore. Par exemple, l’écart salarial entre les hommes et les femmes, qui fait que ces dernières travaillent gratuitement une partie de l’année, aurait pu être abordé si Elisabeth Banks ne s’était pas appropriée tous les postes les plus importants.

Les féministes extrémistes de type Femen auraient pu faire office d’adversaires à la hauteur du trio d’héroïne au lieu d’une opposition manichéenne bête et méchante entre homme et femme. Cela aurait pu être un message positif afin de montrer que les femmes veulent être l’égale de l’homme et ne réclament pas son asservissement. Même le second opus de McG avait eu l’intelligence de mettre une femme en guise de badguy tout en se servant de la mythologie installée précédemment. 

Et en parlant de mythologie, il y avait de quoi faire avec cette notion d’Ange qui aurait pu être l’occasion de parler de la place de la femme dans la religion: Eve et le serpent, les chasses aux sorcières, le port du voile,… Les artistes en général usent et abusent de ce genre de sous-textes et d’images symboliques afin de donner plus de substance à leurs oeuvres. Il ne suffit pas de mettre en tête d’affiche trois filles et d’avoir un discours féministe pour prétendre vouloir attirer un public du même sexe. Il faut le respecter aussi ce coeur de cible, qui n’est pas moins exigeant que celui des hommes, même si ce film va à son encontre.

C’est de bonne guerre compte tenu de l’ambiance qui règne à Hollywood ces derniers temps. Les exemples de sexisme sont légions là-bas, surtout depuis l’affaire Weinstein et le mouvement Me too a largement contribué à faire entendre la voix des femmes du milieu. De quoi rédiger un scénario avec une métaphore des dirigeants des studios qui sont des hommes en grande majorité là pour faire des profits sur une marque telle que Charlie’s Angels. 

Heureusement, il existe encore des gentlemen dans ce monde de faux semblant tel que Benedict Cumberbatch qui a déclaré ne vouloir jouer que dans des films où l’égalité salariale était respectée. Dommage de ne pas l’avoir casté pour s’assurer d’avoir dans ses rangs une personne résolument féministe et qui affiche clairement ses positions en public. À moins d’avoir vocation à vouloir révéler des talents, ce genre de rôle est plus efficace si ils sont incarnés par des femmes déjà aptes à susciter l’engouement.

Kristen Stewart est loin d’avoir les épaules pour gérer une telle cause, elle qui s’éloigne du star system dès qu’elle en a l’occasion. Naomi Scott et Ella Balinska ont quant à elles une carrière encore trop jeune pour avoir un quelconque pouvoir fédérateur auprès du public. Des erreurs de casting qui auraient pu être évitées de la part d’Elisabeth Banks si, de son passage sur la saga Hunger Games, elle avait ramené avec elle Jennifer Lawrence, Natalie Dormer et Jenna Malone. Trois femmes fortes sans pour autant être des superstars en puissance.

Toujours dans Hunger Games, visuellement le personnage d’Effie Trinket, que la réalisatrice a incarné, est également très proche de Lady Gaga. Cette dernière a eu un accueil plutôt chaleureux dans A star is Born et sa participation aurait été plus que bien perçu. Après tout, les chanteuses avaient contribué au succès des deux premiers films avec rien de moins que Beyoncé lorsqu’elle faisait encore partie du groupe Destiny’s Child ou encore Pink. La bande originale de ce troisième opus ne semble pas faire preuve d’autant d’ambition avec toutefois Ariana Grande sur quelques titres.

Solliciter des têtes connues pour faire un caméo n’aurait pas été du luxe non plus et les noms prestigieux ne manquent pas lorsqu’il s’agit de servir la cause du féminisme. Pour avoir incarné Lara Croft sur grand écran, Angelina Jolie aurait été un Guest de choix tout comme Michelle Rodriguez qui a fait ses preuves dans la saga Fast & Furious. Gal Gadot a elle aussi fait un passage dans la franchise de Vin Diesel avant de devenir la Wonder Woman de Pathy Jenkins: un film sur les femmes et fait par une femme bien plus réussit. Pour rester dans les super-héros, l’interprète de la défunte Black Widow aurait pu elle aussi apporter une petite touche Marvel qui est bien dans l’air du temps.

Mais ce dont se réclame le plus Charlie’s Angels en termes d’influence, c’est des films d’espionnages. Le film aurait pu être une réponse aux Mission Impossible et autres James Bond. À quelques écarts près, la franchise initiée par Tom Cruise a toujours eu une écriture respectueuse des femmes par contre on ne peut pas en dire autant de 007. Il aurait été intéressant et subtil de proposer des rôles (principaux ou secondaires) aux incarnations de ces Love Interest interchangeables d’un film à un autre pour les besoins de cet agent secret misogyne.

Recruté des James Bond Girl aurait été un sacré pied de nez à cette franchise qui n’a de cesse que de rabaisser l’image de la femme. De les résumer à des mensurations, de les réduire à des chiffres sur une balance, à un physique avantageux et des courbes dignes d’une statistique. Cela aurait été assurément un choix fort, pour peu qu’il soit assumé, afin de donner à ces femmes des personnages dignes de ce nom et non des faires valoir qui ne remplissent pas toutes les cases sur un test de Bechdel. On se serait ainsi éloigné de l’image de la femme soumise, surtout lorsque l’on connait la façon dont Sean Connery les traitait en dehors du tournage et plus particulièrement dans sa vie privée.

Au lieu de cela nous avons eu un casting qui respecte une forme de parité digne de ce qu’étaient les Spice Girls. Les personnalités, l’orientation sexuelle, la couleur de peau, de cheveux, les caractères et origines, tout y passe pour donner lieu à des personnages différents, mais pas forcément intéressants. Encore une fois, il s’agit là de faciliter le processus d’identification chez des filles en manques de figures sur lesquelles elles puissent prendre exemple. Il y a suffisamment de caractéristiques différentes pour que les femmes du monde entier puissent y trouver leur compte. Ou en somme la fameuse formule qui dit que l’on ne connait pas la clé du succès, mais par contre celle de l’échec est d’essayer de faire plaisir à tout le monde.

Au final, que d’occasions ratées pour cette nouvelle version d’un concept qui aura su traverser les années depuis sa première diffusion sous la forme d’une série télé. Il y avait là l’opportunité d’élever le niveau en abordant en sous-texte des thématiques comme la prostitution, le viol, le droit de vote, les violences conjugales et j’en passe. Des sujets sérieux qui auraient pu être utilisés et détournés afin de mesurer le chemin parcouru par les femmes jusqu’à nos jours. Récemment, si il y a bien un film qui a réussi à jouer sur ce tableau tout en étant une sorte d’héritière du Drôles de dames de McG, c’est bien Birds of Prey (et la fantabuleuse émancipation d’Harley Quinn).

PROCRASTINATION WINS!

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