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« Line of fire » de Joseph Kosinski

« LINE OF FIRE » VS PROCRASTINATION

Lorsque j’ai appris la nomination de Joseph Kosinski au poste de réalisateur pour la suite de Top Gun, j’ai plus vu cela comme une faveur de Tom Cruise. Ce dernier à l’art de travailler avec les mêmes collaborateurs lorsqu’un premier essai s’est bien passé. C’est notamment le cas pour Christopher McQuarrie qui, après avoir dirigé Tom Cruise dans Jack Reacher, est le premier réalisateur à enchainer les opus de Mission Impossible, chose qui n’était jamais arrivée dans cette saga d’espionnage. Joseph Kosinski se voit donc ainsi octroyer le privilège de remettre le couvert avec la star pour Top Gun: Maverick, la suite du film de feu Tony Scott.

Hormis cette affinité née sur le tournage de Oblivion, et qui s’est surement transformée en amitié depuis, il n’y avait pour moi aucune autre raison à ce qu’un réalisateur de la trempe de Kosinski accepte ce projet. J’ai vu cela pour lui comme un moyen de renouer avec les plateaux de tournage depuis son deuxième film qui date de 2013. Une longue absence durant laquelle son nom aura été rattaché à la suite de son propre film Tron Legacy intitulé Ascension et qui n’aura jamais atteint les sommets que lui prédisait son sous-titre. C’est donc lorsque cette suite sur Top Gun a été officialisée que je me suis penché sur le CV de ce réalisateur et j’ai eu la surprise d’y trouver un film inédit à mes yeux: Line of Fire.

Une bande-annonce plus tard et j’ai alors pu constater que ce film ne s’intégrer pas dans la filmographie de son auteur. Car oui, Joseph Kosinski en est indéniablement un. Il a des thèmes de prédilection pour qui sait où regarder et ce n’est qu’après avoir eu l’occasion de voir le film dans son ensemble que j’ai pu juger son oeuvre dans sa globalité. Jusque là, il était surtout connu pour avoir réalisé Tron Legacy et Oblivion, deux films de science-fiction amenés à être réévalués à la hausse avec les années même si pour ma part ils sont déjà cultes. Cette médiatisation autour de son nom est essentiellement due à ces deux oeuvres qui pour la première avait déjà une base de fans nostalgiques, celle de Tron, tandis que la seconde avait l’une des stars les plus connues au monde: Tom Cruise.

Ces deux longs-métrages ont en commun le genre de la science-fiction et notamment un attrait pour les jeux vidéo. Au-delà même du sujet central de Tron Legacy qui lui a permis de faire ses premiers pas sur un format long, il a aussi derrière lui des publicités pour promouvoir des jeux vidéo qui sont dans cette même veine, avec rien de moins que Halo 3 & 4, Gear of War ou encore Destiny. Ce dernier trailer était d’ailleurs autant une bande-annonce de son talent que de son plan de carrière. De la science-fiction et rien d’autre. Une destinée toute tracée que vient donc contredire ce film. Aucun vaisseau à l’horizon, pas de technologie avant-gardiste ou de star à l’égo surdimensionné en tête d’affiche.

Pour ma part, j’en étais donc resté à Oblivion qui est sortie en 2013 et Jospeh Kosinski semble lui aussi être resté bloquer à cette époque puisqu’il y relate un fait réel tiré de cette même année. L’histoire prend donc place en Arizona et a pour sujet les Granite Mountain Hotshots, une unité de pompiers d’élite qui ont trouvé la mort dans un gigantesque incendie. Pour le suspense, on repassera donc même si la notion de sacrifice est au coeur de la filmographie de Kosinski que ce soit avec Flynn ou Jack Harper. En deux films à son actif, il aura réussi à imposer son identité et ce n’est pas la seule récurrence comme va le prouver ce troisième effort.

Dans l’ordre de succession de ses productions, on ne peut pas faire plus éloigner d’un film à un autre. Et pourtant ce virage naturaliste, qui a pour cadre les plaines de l’Arizona, était annoncé avec Oblivion tout comme ce dernier était à l’opposé de Tron Legacy en termes de négatif visuel. Les paysages naturels étaient alors une bouffée d’oxygène face à la noirceur de Tron (dont l’ultime plan aux abords d’une rangée d’arbres annonçait l’orientation de Oblivion) et c’est ce que l’on retrouve ici à perte de vue. La nature et ses éléments se déchainent dans des décors composés en grande majorité de terres arides, de végétations sur le point de succomber, de feu destructeur, de vent toujours prêt à attiser les flammes et l’eau comme dernier rempart.

Architecte de formation, la caméra de Kosinski était tout à fait appropriée pour filmer des lignes et des courbes résultantes de constructions humaines, ici c’est un tout autre défi puisqu’elle s’adapte à la nature sans pour autant renier le style qu’il avait imposé auparavant. Là où le sujet aurait été l’occasion d’user et d’abuser d’une caméra à l’épaule pour être au plus proche de l’action, Kosinski reste dans la continuité de ses travaux précédents. Ce n’est pas pour autant de la fainéantise ou une solution de facilité pour rester sur ses acquis, c’est le contraire qui aurait été de se conformer à ce qu’attendait le public en donnant au film un aspect documentaire ou reportage, avec prise de vue sur le vif pour renforcer l’aspect du réel.

Au contraire, sa réalisation reste toujours aussi propre, la composition de ses cadres est travaillée et la symétrie est souvent de mise dans ses plans. Le point de vue zénithal est également utilisé à de multiples reprises afin de donner de l’ampleur à la situation. Les personnages sont alors des fourmis prises au piège dans un brasier où ce n’est plus seulement la chaleur qui est écrasante, mais aussi cette perspective. Ainsi Joseph Kosinski troque donc les fonds verts de ses productions précédentes pour de la verdure environnante à filmer en direct. C’est d’ailleurs surement le film avec le moins d’effets spéciaux de sa jeune carrière. À peine peut-on recenser quelques flammes numériques et bien sûr cette fabuleuse modélisation d’un ours fait de feu pour une séquence onirique.

À ce niveau-là, le réalisateur n’a plus rien à prouver. Line of Fire semble par contre le projet idéal pour se concentrer sur l’aspect humain. On peut ainsi voir à son service une sacrée distribution pour une histoire qui met plus en avant la direction d’acteur que les prouesses visuelles dont il s’est fait l’expert. Tout comme Tom Cruise s’est constitué au fil du temps une sorte de famille de cinéma, dont Kosinski fait désormais partie comme je le disais en introduction, il en est de même pour ce dernier qui le prend en exemple en faisant appel à un de ces acteurs fétiches. Jeph Bridges est donc de retour après Tron Legacy et il sera entouré d’un casting assez prestigieux.

Ce projet a donc tout d’un film choral ce qui est nouveau pour Kosinski après Tron où les interactions entre les personnages étaient peu nombreuses et Oblivion et son casting minimaliste, l’égo de Tom Cruise prenant déjà assez de place. Là, il n’y a personne d’aussi bankable pour porter le film sur ses épaules, mais plutôt une flopée de comédiens tous plus talentueux les uns que les autres. En tête Miles Teller qui avait démontré tout son potentiel dans Wilplash et qui sera à l’affiche de Top Gun: Maverick, tout comme Jennifer Connelly. Une réutilisation des mêmes comédiens d’un métrage à un autre qui est souvent bon signe et cela promet le meilleur pour la suite de la carrière du cinéaste en suivant cette stratégie.

Habituée au film d’auteur dans différents registres, que ce soit dans Requiem for a dream ou Dark City, Jennifer Connelly est la seule présence féminine notable autour de ce groupe d’hommes. Et il fallait bien une actrice de son calibre pour tenir tête à Josh Brolin qui incarne son mari. C’est un acteur très éclectique dans ces choix de rôle puisqu’il a aussi bien pu jouer dans des comics book movie sous les traits de Thanos ou Cable, mais aussi dans Old Boy. C’est typiquement le genre d’acteur à la stature un peu bourrine mais qui peut vite devenir une personne sérieuse et réfléchie dès qu’on lui met une paire de lunettes sur le nez. C’est donc à lui que revient la direction de ce groupe de pompiers qui compte dans ses rangs Taylor Kitsch ou encore James Badge Dale. Deux acteurs parmi la dizaine qu’il a sous ses ordres et qui sont capables de briller dans leur jeu sans pour autant voler la vedette à leurs partenaires. 

Pas plus que ne vient le faire la musique. Composante marquante dans ces deux premiers films, ici elle se retrouve reléguée au second plan afin de ne pas surcharger les images en émotion. Surement une façon de ne pas tomber dans le pathos pour une histoire qui se veut comme un point de vue sur un fait réel. Cette dernière donnée est déjà suffisante pour se prendre d’empathie pour les personnages sans que l’on ait besoin de le souligner par le son. C’est en cela que l’on a du mal à reconnaitre la patte de Kosinski, car pour chacun de ses travaux il s’était appliqué à faire fusionner l’environnement sonore avec des images époustouflantes. Même si ces dernières sont au rendez-vous dans une moindre mesure, la partie réservée à la composition est clairement négligée.

C’est en deçà du niveau de cohésion qu’il avait réussi à atteindre avec les Daft Punk. Pourtant il fait ici appel à Joseph Trapanese qui était déjà présent sur Oblivion pour s’être occupé de la bande originale en collaboration avec Anthony Gonzalez du groupe M83. Le voir de retour était donc logique puisque sur le deuxième film de Kosinski se jouait une sorte de dualité entre la nature meurtrie de la Terre et la technologie d’origine extraterrestre du Tet. Mais cette musique électronique que le metteur en scène affectionne tant est hors de propos par rapport au sujet qu’il a choisi de traiter ici. De cette opposition, le metteur en scène ne gardera que le côté naturaliste que Trapanese avait insufflé aux symphonies.

Pourtant, comme une hallucination auditive, ce sont bien des notes de Tron Legacy que l’on retrouve parsemer çà et là. Rien de notable, mais suffisamment dissonant avec le reste pour être remarqué. Comme si ce passionné de musique électro qu’est Joseph Kosinski ne pouvait s’empêcher de laisser libre cours à ses gouts musicaux. Il y avait pourtant bien des manières pour s’y prendre autrement et les trailers dont il s’est occupé sont des exemples en la matière avec l’utilisation de tubes. Le spot de Destiny était rythmé par The immigrant song de Led Zeppelin ou celui pour Assassin’s Creed Unity avec The Greatest View de Flume. Et à l’image d’une musique qui sert à lier plusieurs plans entre eux pour en assurer la cohésion au sein d’un clip, une thématique sous-jacente semble émerger ces travaux, aussi différents soient-ils: le rapport au passé.

Qu’il s’agisse de publicités, de clips promotionnels, de courts ou longs-métrages, chacune de ces oeuvres que Kosinski a eues sous sa direction on en commun cette temporalité. Et malgré le caractère récent et contemporain de la tragédie qui a frappé ces soldats du feu, cela reste un événement du passé. Ce fil directeur est visible dans Tron Legacy qui joue énormément sur la nostalgie, le titre Oblivion est suffisamment explicite et l’utilisation des flashbacks vient renforcer cette thématique. Le trio de mercenaire dans Destiny se plaignent que les extraterrestres n’ont aucun « respect pour le passé » lorsqu’ils mettent les pieds sur la Lune et se proposent de les éliminer sur fond de ce qu’ils considèrent comme un « bon vieux classique » à leur époque.

Même la démonstration de son savoir-faire sur Assassin’s Creed Unity (au-delà d’un certain amour pour la France puisque cet opus a pour cadre la Révolution française, qu’Ubisoft est le studio derrière cette franchise ou qu’il ait collaboré avec des groupes français comme les Daft Punk et M83) est emprunte de cette notion en une minute top chrono. Outre le passif historique que Unity prend pour cadre, c’est les gènes de la saga qu’il faut chercher. En effet, les allés et retours entre deux époques sont fréquents dans les phases de jeu d’Assassin’s Creed et cela n’est qu’une raison de plus pour voir en lui la personne idéale en vue d’une nouvelle adaptation.

Mais avant d’avoir l’annonce de son prochain projet, il faudra d’abord passer par Top Gun: Maverick qui, comme Tron Legacy, est lui aussi une suite tardive d’un classique des années 80. Le passé semble donc être quelque chose de très présent chez Kosinski et voilà que ce Line of Fire prend des tournures de devoir de mémoire. Sortie en 2017 sans forcément faire grand bruit, cette tragédie n’aura pas eu autant de recul que ça par rapport à la source de cet événement et c’est peut-être ce qui lui fait défaut. Cette spontanéité face à un événement survenu en 2013, tourné en 2015 et sorti deux ans plus tard n’a pas forcément réussi au réalisateur. Au regard du délai accordé à ses autres oeuvres, on remarque qu’il est beaucoup plus habitué aux longues périodes de préproduction.

Tributaire de l’héritage du film de Steven Lisberger, Kosinski avait eu pour lui un temps de gestation de 28 ans avant de faire une suite à Tron. Oblivion devait être le premier film du réalisateur avant qu’il ne le transforme en Graphic Novel pour pouvoir mieux le vendre au studio. Presque 35 années séparent Top Gun de sa suite qui est donc son dernier fait d’arme et cette façon de murir les choses semble être dans le processus créatif du cinéaste. Line of fire n’a pas pu bénéficier de ce temps de latence avant de passer à l’action ce qui fait qu’il dénote dans sa filmographie. Même la durée accuse le coup en étant le plus long de ces films en affichant deux heures quinze au compteur. Cela se ressent dans un montage qui a du mal à gérer la temporalité. 

La faute à un scénario qui s’étale sur plusieurs mois, avant d’en arriver au climax fatidique, là où par le passé il n’avait traité que des récits se déroulant dans un timing plutôt serré. Il s’agissait d’une décision nécessaire afin de mieux connaitre les différents protagonistes et leur évolution au sein du groupe pour rendre leur perte plus grande encore. Par ailleurs, le titre original s’intitule Only the Brave ce qui en dit long sur la dévotion de ces hommes. Ce titre troqué pour Line of Fire met quant à lui plus en avant la façon dont ils ont lutté contre le feu par le feu. Cela faisait d’eux des pyromanes professionnels afin d’empêcher un incendie de se répandre pour une stratégie qui s’est finalement retournée contre eux.

Cette rétrospective était nécessaire afin de pouvoir mieux comprendre ce film dans son ensemble et sa place dans la carrière de Kosinski. Chacun de ses films est conçu pour être le contraire du précédent. Une sorte d’antithèse et si Tron Legacy et Oblivion sont les deux faces d’une même pièce alors il en sera de même pour Line of Fire et Top Gun: Maverick. D’après les trailers de ce dernier, les porte-avions avec les étendues d’eau à perte de vue sont déjà à l’opposé de ce film où le feu domine les vallées. Des têtes brulées et un esprit de groupe semblent également être en commun avec les Granites Montains. En espérant que cela ne soit pas juste une nouvelle version de Oblivion où Tom Cruise y était déjà un pilote réfractaire à l’autorité et face à des drones.

Line of Fire reste une occasion manquée pour révéler le savoir-faire du réalisateur au monde. Son premier film était une suite estampillée Disney ce qui ne lui laissait que peu de place pour s’exprimer. La popularité de Tom Cruise avait eu raison de son projet personnel de fable futuriste à ses dépends. Mélange de ces deux expériences, entre suite et star légendaire au premier plan, son quatrième long-métrage ne sera pas encore le moment pour lui de se mettre en avant. Gageons qu’il saura trouver le projet apte à le libérer des commandes de producteur, il mérite amplement sa place au sein des grands de la profession. Son statut d’auteur est palpable et ce film est vraiment le chainon manquant pour mieux appréhender le travail de Kosinski qui fait partie des grands de demain.

« LINE OF FIRE » WINS!

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