
« KNOCK KNOCK » VS PROCRASTINATION
Keanu Reeves est un modèle d’humilité. Il suffit de taper son nom dans un moteur de recherches pour avoir un florilège de ses bonnes actions. Pas vantard pour un sou, il en a bien assez pour vivre jusqu’à la fin de ses jours, ce sont les personnes qui ont la chance de croiser sa route qui se chargent de propager sa légende. Des témoignages qui ne font que confirmer à quel point cette célébrité a su garder en simplicité malgré sa popularité.
Diminuer son salaire de 90% afin que la production puisse engager Gene Hackman: ✔️
Réduire son salaire à 2 millions de dollars afin qu’Al Pacino puisse lui donner la réplique dans L’avocat du diable: ✔️
Refuser 11 millions pour Speed et à la place jouer Hamlet dans un petit théâtre à 2000 dollars la semaine: ✔️
Offrir une Harley-Davidson aux personnes qui ont travaillé sur les effets spéciaux et les costumes des deux suites de Matrix: ✔️
Devenir un mème viral sur internet (Sad Keanu) et avoir suffisamment d’autodérision pour s’en moquer: ✔️
Venir en aide à une femme en panne de voiture et la raccompagner chez elle en faisant un détour de 80 kilomètres: ✔️
Rassurer les passagers d’un vol après un atterrissage d’urgence: ✔️
Passer du temps avec un sans-abri: ✔️
Offrir une Rolex à chacun des cascadeurs de John Wick 4: ✔️
Reverser 70% de son cachet pour Matrix: Ressurections à la recherche contre le cancer: ✔️
Mettre aux enchères un rendez-vous Zoom de 15 minutes avec lui pour ensuite reverser l’argent à un programme d’été pour les enfants d’Idaho atteints de cancer: ✔️
Acheter une glace dans un cinéma afin d’avoir un ticket de caisse et pouvoir y écrire un autographe pour un fan: ✔️
Des exemples parmi tant d’autres. La liste est longue et ne fait qu’augmenter avec le temps. Et c’est suite à la parution d’un article intitulé « Keanu Reeves est trop bon pour le monde » et publié dans The New-yorker, que d’autres personnes se sont manifestée pour faire part de leur rencontre avec l’acteur. Ils y décrivent une personne accessible, loin du star-système dans lequel il évolue. À titre de comparaison, ses bonnes actions sont aussi touchantes que les blagues sur Chuck Norris peuvent être hilarantes.
Pourtant, malgré cette générosité apparente, Keanu Reeves a eu son lot de malchances par le passé. Viré de toutes les écoles où il est inscrit, l’adolescent qu’il est est alors en échec scolaire à cause de sa dyslexie. Son père est incarcéré pour trafic d’héroïne et abandonne sa famille. Keanu connait alors de nombreux déménagements et autant de beaux-pères sans qu’aucun ne trouve grâce à ses yeux. Il rêve alors de devenir un joueur de hockey, mais une blessure avorte cette carrière prometteuse.

Il se tourne alors vers des études de comédie sans pour autant réussir à obtenir le diplôme. Au début des années 90, sa soeur est atteinte d’une leucémie et il mettra tout en oeuvre pour lui offrir les meilleurs soins. Même lorsque le bonheur se pointe, c’est pour finalement lui être retiré lorsque sa petite amie de l’époque perd leur enfant à huit mois de grossesse. Un an après leur séparation, celle-ci meurt dans un accident de voiture. Cette accumulation de malheurs est loin d’être l’équation idéale pour engendrer la personne que l’on connait aujourd’hui. Et pourtant.
L’artiste semble avoir une capacité à tirer du positif de toutes ces expériences négatives. C’est aussi sa boussole pour sélectionner les projets dans lesquels il apparait afin de nourrir ses personnages de la manière la plus authentique possible. Dès lors, sa participation à Knock Knock lui permet de puiser dans une mésaventure qui lui est arrivée. En effet, si la star se plait à faire le bonheur des gens sur son chemin, ceux-ci sont parfois trop intrusifs à son insu en retour.
Cela s’est notamment manifesté lors d’une intrusion en pleine nuit à son domicile par une fan. Cette dernière était alors dans la bibliothèque de la maison, confortablement installée dans un fauteuil. Keanu Reeves s’est joint à elle pour lui faire la conversation en attendant que les secours arrivent pour lui faire quitter les lieux. Cette irruption dans sa vie privée, autre que par des paparazzis, a dû faire écho à la lecture du script écrit par Guillermo Amoedo, Nicolas Lopez et Eli Roth, le réalisateur.

Ce dernier met en scène Evan Webber, père de famille et bien sous tous rapports. Heureux en amour, il décide toutefois de sacrifier du temps en famille le jour de la fête des Pères pour terminer un projet professionnel sur lequel il travaille. Seul à la maison, pendant que sa femme et ses filles sont à la plage pour le week-end, sa concentration va être mise à mal par une visite imprévue. À sa porte, deux jeunes inconnues demandent à rentrer chez lui pour se protéger de la pluie et passer un appel. Des loups déguisés en agneaux que le propriétaire des lieux va accueillir à bras ouverts.
Hormis le fait qu’il incarne ici un père de famille à l’écran, Keanu Reeves joue son propre rôle en tant que bon samaritain et homme modèle. Même son look ne diffère pas de celui qu’on lui connait dans la vie de tous les jours: cheveux mi-longs et barbe. Par contre, on peut y voir une sorte d’exutoire pour l’alter ego de l’acteur qui, en l’absence de sa femme dans le domicile conjugal, mais en charmante compagnie, va avoir l’occasion de céder à ses pulsions.
Ce ne sont pas les occasions qui ont dû manquer pour Keanu Reeves de se retrouver dans une telle situation et pourtant, rien de tel n’a fait surface à la Une de l’actualité depuis le mouvement Me too. Une affirmation guère surprenante lorsque l’on voit la manière dont l’acteur se comporte avec ses fans, et plus particulièrement avec la gent féminine. Il ne refuse jamais une photo avec elles, mais veille toujours à garder ses distances. Un respect qui se traduit par des mains ne touchant jamais la personne avec qui il pose.

Ce souci de ne pas empiéter sur l’espace vital d’autrui est largement franchi. Les mains flottantes se transforment en mains baladeuses et autres attouchements bien réels. Tout ceci est consenti, mais sera retenu contre lui lorsque les deux femmes, Genesis et Bel, se transformeront en tortionnaires. De coup d’un soir, la soirée s’éternisera avec des coups et blessures sur leur victime. Ce qui aurait pu être un thriller psychologique plutôt malin devient alors un déferlement insensé de violence gratuite.
Rien ne justifie ce que font ces deux jeunes femmes que l’on croirait sorties tout droit d’Orange mécanique. La faute à une écriture de leurs personnages loin d’être approfondie. Celui de Keanu Reeves n’est pas en reste et se repose un peu trop sur l’aura qui l’entoure. Avoir fait de lui un architecte est une chose qui pourrait correspondre à la sensibilité de sa personne, mais que cette profession soit le fruit de la reconversion d’un ancien DJ me parait hautement improbable.

Pas impossible, mais disons que j’ai dû mal à y croire et d’autant plus à m’investir dans ce personnage. Pourtant, il suffisait de puiser dans la vie de son interprète pour y trouver de quoi construire Evan Webber. En effet, Keanu Reeves a été bassiste dans le groupe de rock Dogstar et il aurait été tellement plus crédible d’y faire allusion plutôt que de le placer derrière des platines. Outre ce backgroud très particulier, on sent que l’acteur n’est pas à sa place dans le récit.
La faute à une filmographie où il prend part à l’action plus qu’il ne la subit. Souvent en position de force, il n’a clairement pas l’habitude d’être à la merci de quelqu’un d’autre. Et encore moins de deux jeunes femmes. Même si l’on peut parler de Keanu Reeves en des termes élogieux comme « L’homme, le mythe, la légende » au regard des anecdotes dont il est au centre, c’est surtout pour définir John Wick dans les films éponymes. L’idée d’un Keanu captif arborant un look similaire à celui du célèbre tueur à gages devient alors d’autant plus difficile à accepter en tant que spectateur.

Ce décalage est d’autant plus visible dans son jeu d’acteur qui sort ici de son registre habituel. Avec tout le respect que j’ai pour la star, c’est une véritable horreur, et s’il fallait une justification à Knock knock pour faire partie de ce genre codifié, ça serait malheureusement celle-ci. Eli Roth est loin d’être un grand directeur d’acteur, pas plus qu’il n’excelle dans la réalisation. Sa filmographie est en grande partie alimentée par des productions qui se veulent subversives et c’est essentiellement grâce à cela qu’il s’est fait connaitre.
Dans un premier temps avec Cabin Fever puis le dytique Hostel, Eli Roth s’est forgé une réputation dans l’industrie cinématographique avec l’appui de Quentin Tarantino. Il est d’ailleurs lui-même acteur pour avoir joué dans pas mal de long-métrage, dont Inglorious Basterds. Même s’il est difficile d’être devant et derrière la caméra, il aurait été plus logique pour lui de s’approprier le premier rôle. Surtout en sachant que l’une des deux tentatrices allait être incarnée par sa propre femme: Lorenza Izzo.

De quoi susciter un certain malaise lors des scènes torrides avec Keanu Reeves, et le mari de la principale concernée en train d’observer leurs ébats. Ce mélange entre professionnel et personnel est assez malsain et relève plus du voyeurisme qu’autre chose. Mais bon, chacun ses petits plaisirs, il y a bien des scénaristes / acteurs / réalisateurs, qui usent de leur statut pour localiser leur intrigue dans un endroit paradisiaque afin de se payer des vacances auprès de la production, alors pourquoi pas.
Déguisé en torture porn, relativement assez soft en comparaison aux précédentes productions du cinéaste, ce Funny Game US au féminin ne vaut que pour son duo d’actrices. La seconde menace a le visage de Ana de Armas et va user de son innocence apparente pour corrompre sa proie. Mais comme pour le film de Michael Haneke cité précédemment, Hard Candy a déjà exploité cette thématique avec brio. Knock knock perd donc en intérêt au fur et à mesure qu’il se déroule jusqu’à une fin dépourvue de toute morale.

La raison d’être de tous ces sévices n’est jamais réellement abordée, même si la raison est évidente. Cela aurait mérité quelques explications afin que tout ce qui a été développé en amont ne soit pas juste une succession de scènes perverses. En l’état, faute de réponses, c’est donc de cela qu’il est question. Dire de Knock knock qu’il est un thriller psychologique est un peu mensonger. C’est un film qui est gouverné par ses propres instincts primaires et se positionne en donneur de leçons de par son sujet.
Mais à trop vouloir s’éloigner du politiquement correct pour choquer son public, le film n’est ni politique vis-à-vis de l’image de la femme, ni même correct en tant que production cinématographique. Keanu Reeves a surement été attiré par ce projet dans l’intention de casser son image de gendre idéal, mais cela n’aura pas eu l’effet escompté. Son personnage est loin du séducteur qui profite de l’absence de sa femme pour aller voir ailleurs. On assiste même à plusieurs tentatives pour repousser les avances qui lui sont faites.

Il y a donc une réelle empathie pour lui face à ces femmes qui le manipulent et le poussent à la faute. Le seul moyen de résister à la tentation c’est d’y céder, et on peut dire que ce Evan Webber aura lutté avant de s’abandonner. Sans pour autant excuser son comportement, cet adultère ne fait que décrédibiliser les actes de Genesis et Bel. On ne les voit alors que comme deux personnes instables qui se complaisent à détruire des vies.
Ce rôle n’a pas pour autant entaché la réputation de Keanu Reeves. Elle demeure intacte et il est plus que jamais vu comme un saint par les médias. C’est un modèle de vertu en qui tout le monde peut avoir confiance malgré ce moment de faiblesse dans sa filmographie. Celle d’Eli Roth accueille quant à elle un long-métrage tout juste médiocre. Malgré quelques plans où la nudité s’affiche, il n’y a rien de suffisamment trash pour s’en offusquer et sortir du lot.

Quitte à vouloir réaliser ses fantasmes, le réalisateur aurait dû les assumer et s’orienter vers la pornographie. Là, il n’aurait pas eu à se censurer et aurait pu laisser libre cours à sa libido créative. On reproche souvent à cette industrie du cinéma pour adulte de ne pas proposer de scénarios dignes de ce nom, il y avait là matière à changer la donne. Hélas, trop prude pour être un film X et trop léger pour être une série B jouissive, Knock knock ne suscite que la frustration.
PROCRASTINATION WINS!