
« UNE NUIT EN ENFER: SAISON 1 » VS PROCRASTINATION
Dans la dure loi des séries, il y en a qui méritent de survivre, et d’autres qu’il faudrait annuler. Bien souvent, ces deux envies ne coïncident pas avec mes gouts. Quand certaines ne passent même pas le stade du pilote, comme cette prometteuse adaptation de La tour sombre par Amazon, d’autres se voient renouveler saison après saison. Et ce malgré leurs défauts évidents. Les audiences américaines étant ce qu’elles sont, les pays qui possèdent les droits de diffusion sont tributaires des gouts du public d’origine.
Mais il arrive aussi à ces téléspectateurs de devoir se mobiliser pour sauver une série à coup de pétitions, ou de rassemblements pour faire le buzz. Ça a été le cas pour Flashforward, injustement annulé après 22 épisodes. Les fans se sont alors réunis devant les bureaux de la chaine pour simuler le fameux black-out durant 2 minutes et 17 secondes. Une mise en abime de cette adaptation littéraire qui n’a pas convaincu les dirigeants de laisser une seconde chance à ce show, ni même de lui donner une conclusion décente.
Depuis, les plates-formes de streaming ont changé la donne. Désormais, la grande majorité des séries n’est plus dépendante de la grille des programmes. Mais il en reste encore tellement qui accapare du temps d’antenne avec leur médiocrité. Pire, il y a celles qui sont étroitement liées au lancement d’une chaine et qui en définissent l’image de marque. Ce fut le cas pour El Rey, lancée sur la télévision américaine par Robert Rodriguez. Un nom que le réalisateur n’est pas allé chercher bien loin puisqu’il est mentionné dans son cinquième film: Une nuit en enfer.

Dans le cadre de cette histoire de vampires, El Rey représente un lieu où les frères Guecko veulent se rendre après avoir commis plusieurs crimes. Cet endroit représente pour eux une sorte de havre de paix où ils pourront savourer une retraite bien méritée. C’est sur cette même promesse que la chaine de Robert Rodriguez va être baptisée du même nom, pour un public majoritairement latino-américain. En toute logique, c’est donc ce long-métrage qui est choisi en guise de première adaptation télévisuelle. Et c’est loin d’être une évidence.
Il y a des histoires que l’on imagine sans peine se voir transposer sur le petit écran. Rien que leur univers foisonnant est une invitation à être développée sur plusieurs saisons. Puis, il y a les autres. Ces oeuvres à qui l’on n’a rien demandé, mais qui occupent un temps d’antenne non négligeable avec pour seul prétexte de capitaliser sur un succès d’antan. Une nuit en enfer fait partie de cette catégorie où il est permis de se demander qu’elle est la démarche artistique derrière un tel projet.
Si réunion il y a eu pour valider la mise en chantier d’une série tirée de ce film, alors j’aurais aimé y avoir assisté pour en entendre les arguments. Aussi culte que soit ce long-métrage de Robert Rodriguez, peut-être son meilleur avec The Faculty et Sin City, il n’y a pas grand-chose qui puisse justifier une adaptation au format sériel. Visiblement, les personnes derrière ce projet ont dû en arriver à la même conclusion au regard du résultat. Et ce n’est pas peu dire, car il ne s’agit, ni plus ni moins, que de la trame du film original, mais étalée sur dix épisodes.

À titre d’exemple, le pilote prend 45 minutes pour refaire les 5 minutes de la scène d’ouverture, mais en moins bien. Sur le même schéma, chaque scène est ainsi pressée jusqu’à la dernière goutte pour tenir le temps d’un épisode. En plus d’être ralentie au maximum, la narration ne cesse de revenir en arrière à coup de flashbacks pour s’intéresser à un personnage en particulier. Ce qui n’était donc que des figurants dans un coin de l’écran, ou des personnages secondaires, ont donc une présence plus accrue.
Mais même en leur octroyant un passif, les acteurs peinent à donner de l’épaisseur à leurs rôles. Sur ce même procédé, la série profite de toutes les zones d’ombre du scénario original, signé par Quentin Tarantino, en y voyant un prétexte pour s’y engouffrer. Là où ce montage participait à la fluidité du film, la série en ressort avec un rythme alourdie. Trop lent pour être réellement haletant, l’arrivée à l’emblématique Titty Twister ne se fera qu’en milieu de saison. Avant d’en arriver là, il aura fallu passer par une exposition laborieuse, heureusement ponctuée de quelques bonnes idées.

Ces dernières tournent principalement autour de la mythologie des vampires qui se base cette fois-ci sur les serpents, non sur des chauves-souris comme le veut la légende. Une nouveauté qui donne son identité à la série, à l’image de The Strain avec ses vers, et qui entraine avec elle son lot de changements en ce qui concerne les aptitudes des suceurs de sang. Outre le fait que les croix n’aient plus tellement d’influence sur ces créatures, alors qu’elles étaient d’une grande utilité dans le film original, le soleil n’est lui non plus aussi mortel comme on peut le voir dans certaines scènes.
Un comble lorsque l’on s’attaque au thème du vampirisme. Mais beaucoup plus logique concernant le lieu où se passe l’action. En situant son intrigue au Mexique, la série a au moins le mérite d’adapter les vampires à cet environnement propice à la canicule. Auquel cas, il aurait été difficile de comprendre l’intérêt pour cette race nocturne de s’installer dans un endroit aussi ensoleillé. L’animal totem qu’est le serpent s’épanouit plutôt bien dans ce climat et c’est l’occasion d’en récupérer quelques aptitudes.

Ainsi, à l’image de ces animaux à sang-froid qui muent pour se défaire de leur ancienne peau, les vampires sont désormais capables de changer d’apparence. Toutefois, cela n’a rien d’aussi graphique, dommage, et se traduit juste par un morphing. Néanmoins, cela a le mérite de renouveler une iconographie désuète. En tout cas, il n’y a là rien qui n’aurait pu être exploré dans un autre opus d’Une nuit en enfer, plutôt que sur ce format épisodique.
Car oui, le long-métrage de 1996 aura engendré deux suites, tout aussi mauvaises que cette série. L’un des acteurs ayant participé au deuxième opus, sous-titré Le prix du sang, est même de retour au casting… dans un rôle complètement différent de celui qu’il tenait! Rien qu’avec un tel détail, on ne peut pas dire que la cohérence faisait partie des priorités. Robert Patrick devient donc le pasteur Jacob Fuller, autrefois incarné par Harvey Keitel, et croisera la route des frères Guecko.

Bien évidemment, George Clooney et Quentin Tarantino ne reforment pas leur tandem et les acteurs choisis pour les remplacer sont condamnés à les singer. D.J. Cotrona et Zane Holtz sont non seulement loin d’être aussi charismatiques, mais ils sont voués à ne pas pouvoir laisser exprimer leurs jeux d’acteur, sous peine de ne plus être raccord avec l’oeuvre d’origine. Ritchie est donc toujours aussi malade mentalement, mais cette fois-ci, ce diagnostic trouve une origine dans une sorte de connexion avec une femme vampire.
Dès lors, en voulant explorer cette piste scénaristique en guise de fil rouge, on perd l’essence du personnage qu’avait interprété Tarantino. Il n’était juste qu’un type instable et capable de partir en vrille à tout moment. Le fait de justifier son comportement par une force extérieure, et non son mal-être intérieur, dénature complètement l’ainé de la fratrie Guecko. En offrant des circonstances atténuantes à ses pulsions meurtrières et sexuelles, dont il est l’esclave dans le film, on perd le côté imprévisible de Ritchie.

Mais ces circonstances atténuantes pour le personnage ne peuvent s’appliquer à l’ensemble de la série. La présence de Robert Rodriguez à la réalisation du premier épisode ne donne pas plus de légitimité à l’existence de ce show. Son investissement n’est en rien un gage de qualité artistique, pas plus que financier puisque le budget ne semble pas voler très haut. Pourtant, l’imagerie n’a rien d’exigeante, mais on sent qu’aucun effort n’a été fait pour rehausser l’ensemble.
Les petits easter eggs disséminés çà et là à l’univers étendu de Tarantino ne viendront pas non plus susciter le moindre intérêt. Pourtant, il y avait des références bien plus intéressantes à faire, ne serait-ce qu’avec l’aspect vestimentaire du duo. En costard / cravate, la connexion avec Reservoir Dogs était servie sur un plateau en faisant des frangins d’anciens membres de cette bande de braqueurs. Celle qu’ils constitueront au fil de leurs rencontres sera loin d’être aussi éclectique.

Seul le traitement de Sex Machine parvient à susciter la surprise au point d’avoir envie de voir un spin-off centré sur lui. Il y a là un potentiel pour une histoire dans la lignée de Ash Vs Evil Dead, ce que j’espérais déjà voir avec cette adaptation prévisible en tout point pour qui connait déjà Une nuit en enfer. C’est donc bien peu de choses et s’il fallait trouver une qualité à ces dix épisodes, ça serait de donner envie de revoir le film original. Encore.
Je l’ai tellement vu qu’il a été facile de dire là où l’intrigue prenait des libertés par rapport à celle de base, comme l’ajout du second Texas ranger, ou encore la fin qui prend une autre direction. En cela, cette saison reprend vraiment les éléments qui l’arrangent tout en étant trop proche du film, d’où cette sensation de trahison, plus que de réinvention. Une trahison nécessaire tout de même afin de pouvoir mener à une deuxième saison qui ne pourra plus se reposer sur son matériau de base.

En toute logique, les épisodes suivants devraient donc offrir de l’inédit puisque tout ce qui faisait le premier opus a été épuisé par cette relecture. Dans tous les sens du terme. Malgré cette déception globale, la curiosité est donc là pour voir où va aller le récit avec ces personnages qui n’ont pas connu de suite. En effet, le deuxième volet n’était en aucun cas les aventures de Seth Guecko, mais suivait une bande de braqueurs de banque confrontés à des vampires.
Le troisième quant à lui, La fille du bourreau, était une préquelle qui située son intrigue à nouveau dans le bar, mais en 1900. L’occasion de ressusciter Santanico Pandemonium là où la série n’a pas opté pour sa mort. Comme beaucoup de personnages d’ailleurs, afin de pouvoir continuer leur arc narratif au-delà de cette saison. Pour ce qui est du destin de Seth, celui-ci était déjà plus ou moins visible dans le jeu vidéo sortie sur PC en 2001, d’aussi piètre qualité que la série. Mais qui avait au moins le mérite de proposer autre chose qu’une trame déjà vue.
Toutefois, je doute que la saison suivante situe son intrigue sur un navire-prison infesté de vampires, comme c’est le cas dans le jeu développé par Gamesquad. La production a déjà du mal à rester sur la terre ferme. Mais toutes ces itérations sont surtout la preuve qu’Une nuit en enfer ne se prête pas vraiment à un développement au-delà de l’histoire des Guecko. Pour rester dans la filmographie de Robert Rodriguez, The Faculty aurait été un bien meilleur point de départ pour en faire une série adolescente sous couvert de menace Alien.
PROCRASTINATION WINS!