Une lettre et un point en guise d’abréviation, suivi d’un mot anglais et d’un nom à consonance indienne: voilà qui a de quoi susciter autant de mystères que les oeuvres de cet auteur. M. Night Shyamalan donc, de son vrai nom Manoj Nelliyattu Shyamalan, est un réalisateur qui a été considéré dès ses débuts comme l’héritier de Steven Spielberg. Depuis, son nom s’est détaché de son modèle pour devenir tout aussi célèbre. On parle alors du dernier Shyamalan comme du dernier Spielberg. Et le dernier en date n’est autre que Knock at the cabin.

Officiellement son quinzième film en tant que réalisateur, officieusement son treizième film, une numérotation qui fait débat chez les cinéphiles. Mon classement reflète ma position sur le sujet, et j’en donnerai les raisons après ce tour d’horizon. Mais je ne suis pas en train de vous annoncer un twist à l’image de ceux qui ont fait la marque de fabrique de ce réalisateur. Toutefois, l’ordre de mes préférences pourra en déstabiliser plus d’un. Tout comme il a été difficile de positionner Knock at the cabin après un unique visionnage.
Et ce n’est pas peu dire dans une filmographie allant du thriller surnaturel à la science-fiction en passant par la fantasy, le comic book movie, le conte ou encore le found footage. Pourtant, chacun d’entre eux porte indéniablement la marque de leur créateur. C’est à cela que l’on reconnait un grand cinéaste, dans sa manière d’aborder des genres différents tout en restant reconnaissable. Et il faut bien lui reconnaitre ça à Shyamalan, lui qui peine à faire l’unanimité depuis un certain temps. Mais qui ne manque pas d’humanité.
1.Incassable (2000)
Incassable, mais pas inclassable. D’ailleurs, c’est le premier de cette liste. C’est aussi le premier que j’ai vu de la filmographie de Shyamalan. Ce qui a suscité ma curiosité, c’est bien évidemment son sujet. En tant que grand fan de comics, je ne pouvais qu’être attiré par ce film qui était une alternative à X-men de Bryan Singer sorti à la même époque. Et qui l’a injustement éclipsé. Ce ne fut pas bien difficile étant donné le parti pris réaliste de ce long-métrage sans effets spéciaux apparents, à la photographie sombre et basé sur aucun super-héros existant. Pas de quoi rameuté les foules, et pourtant Incassable se révèle comme l’un des plus grands comic book movie.

Ce long-métrage en reprend les codes avec une origin story révélant autant son héros que sa némésis. Notamment à travers des flashbacks sur l’enfance d’Elijah. Ils sont des opposés l’un pour l’autre, et la réalisation appuie cette symbolique à travers des jeux de reflets ou de transparence. Mais toute la maestria de la mise en scène du cinéaste est surtout contenue dans un seul plan, un plan fixe où dansent des rideaux au premier plan, révélant par intermittence la menace qui se cache derrière. Une prouesse. L’iconisation n’est pas en reste avec cette silhouette encapuchonnée, ainsi que l’allusion à Superman avec le S de security. Un homme d’acier pour un film profondément humain dans son traitement.
2.Split (2017)
Shyamalan a autant de personnalités que de films différents à son actif. Pour son retour en grâce après le sous-estimer The visit, il a une fois de plus divisé son public. Pour ma part, j’ai fait partie des conquis. Et plus encore lorsque j’ai vu que ce long-métrage était connecté à Incassable. C’est le véritable twist de ce film. Il faut dire que dans le genre retournement de situation dans le cadre de la schizophrénie, il lui était impossible d’égaler celui de Identity. Et comme beaucoup de films sur le sujet, le psy occupe une place centrale dans l’intrigue. Ici, elle est confrontée à l’émergence d’une 24ème personnalité dans l’esprit de son patient. Une sorte d’inceste cérébral entre deux personnalités et qui se nomme la bête. Et qui dit la bête, dit bien sûr la belle.

Cette dernière sera la proie de James MaCavoy qui offre une performance spectaculaire. Il profite du rasage de son crâne de X-men Apocalypse pour arborer une coupe ultra courte qui rend son personnage vraiment à part. Ainsi, ses changements brusques d’humeur font passer Gollum pour un être sain de corps et d’esprit. Un investissement qui a dû être d’autant plus difficile que tout le film repose sur lui. L’acteur a dû faire preuve d’une grande confiance envers Shyamalan qui n’avait pas renoué avec le succès depuis longtemps, et qui débarque avec une idée un peu surévaluée. C’est tout à son honneur d’avoir réussi à transcender les attentes.
3.Le village (2004)
Avant Le village, la série Le prisonnier avait également pour cadre un lieu du même nom. Un endroit énigmatique dont on ne pouvait s’échapper, et il en est de même pour cette création de Shyamalan. Sauf qu’il n’y a aucun système de sécurité révolutionnaire pour retenir ses occupants à l’intérieur. Juste la croyance, et la peur de ces choses qui rôdent dans les bois alentour. Cette communauté reste donc bien sagement sur leur terre, vivant en harmonie tels des Hobbits bien heureux. Il est d’ailleurs dommage que le cinéaste n’ait pas poussé le vice à s’aventurer dans le genre de la fantasy, même si tout cela ne s’avère qu’artifices.

Sorte de mélange entre Le pacte des loups et Wayward Pines, excellente série dont Shyamalan sera le producteur, ce long-métrage offre une réflexion sur le fait de vivre avec son époque. Ou plutôt, la nostalgie d’un temps révolu pour pouvoir vivre dans le déni. Avec un twist digne d’un épisode de La quatrième dimension, il est difficile de ne pas voir en Shyamalan le digne héritier de Rod Serling. En tout cas, plus que d’Hitchcock à qui il est souvent comparé. Il cultive néanmoins cette tradition d’apparaitre en caméo dans ses oeuvres. Autre marque de fabrique dans sa formule bien rodée, un code couleur dans les décors, les objets, les vêtements, qui permet d’appuyer certaines symboliques. En cela, Le village est une véritable peinture pour comprendre son travail.
4.Old (2021)
Après avoir adapté un conte de son invention destiné à ses enfants, après avoir adapté la série animée préférée de ses filles, ces dernières continuent de jouer de leur influence sur leur paternel. Et pour cause, c’est à l’occasion de la fête des Pères que M. Night Shyamalan reçoit en cadeau la bande-dessinée française Château de sable. Conquis, il décide d’en faire sa prochaine production. On pourrait dès lors y voir un film sans surprise, puisque reprenant les grandes lignes du matériau qu’il adapte. En transposant une oeuvre déjà existante, et dont on peut déjà deviner le dénouement, Shyamalan va à l’encontre de son identité cinématographique qu’est le suspense. Et cela aurait été le cas si le roman graphique en question n’avait pas été aussi abstrait.

Au-delà des illustrations en noir et blanc, le cinéaste y voit surtout une page blanche. De quoi laisser libre court à son interprétation du récit pour construire le sien. De là à se demander s’il n’a pas acheté les droits pour éviter d’être accusé de plagiat, plus que pour réellement en faire une adaptation. Car de Château de sable, il ne reste que ce groupe de personnages prisonniers d’une plage qui précipite leur vieillissement. Une intrigue qui démarre sans contexte et qui se clôt sans réponse. Comme n’importe quel lecteur en quête de cohérence, Shyamalan a comblé les blancs en cherchant une cause à cette conséquence. Il en ressort un scénario inventif ainsi qu’un twist parmi les meilleurs de sa carrière.
5.The visit (2015)
Plus qu’un retour sur le devant de la scène, The visit est un retour aux sources. En effet, après deux blockbusters n’ayant pas convaincu, M. Night Shyamalan revient à un cadre plus intimiste. Pour ne pas dire amateur. De quoi rappeler ses courts-métrages de jeunesse avant qu’il n’acquière une certaine expérience. Pour ce faire, il utilise le procédé du found footage afin de narrer cette histoire d’un frère et d’une soeur en vacances chez leurs grands-parents. Qu’ils n’ont jamais vu. Une rencontre tardive due à un conflit qui a poussé leur mère à prendre de la distance avec ses parents. Envoyer en éclaireur avant une éventuelle réconciliation avec leur fille, ces deux enfants vont donc faire connaissance avec les octogénaires. Un point de départ qui tient plus du drame familial que des high concept qui ont fait la renommée du réalisateur.

Mais c’était sans compter sur sa maitrise de la narration et de la mise en scène. Ce qui n’était jusque là qu’un petit film de vacances en mode documentaire se transforme alors en survival horrifique grâce à un twist glaçant. Un retournement qui provoque un peu plus de soubresauts à l’image, dans une réalisation déjà bien chaotique. C’est-à-dire, loin du style auquel le cinéaste nous a habitués, à base de plans fixes, ou lents, et savamment composés. En confiant sa caméra à ses protagonistes, il s’abandonne à eux. Non sans avoir planifié une certaine chorégraphie dans leur mouvement. Shyamalan étant réputé pour story boarder l’intégralité de ses films, on peut y voir là un tour de force dans son processus. Une réinvention de son cinéma.
6.Sixième sens (1999)
Quel est le point commun entre Star Wars et Sixième sens? À priori aucun, si ce n’est l’année 1999 qui voit le retour de la guerre des étoiles avec l’épisode 1. Ces deux films ont également au casting deux enfants promis à un grand avenir dans l’industrie du cinéma, avant qu’ils ne tournent mal. Mais cette saga et ce thriller ont surtout les deux twists les plus célèbres de l’histoire du cinéma. Cette réputation précède Sixième sens à tel point que certaines personnes qui n’ont jamais vu le film savent de quoi il en retourne. Notamment son retournement de situation.

Victime de son succès surprise, son histoire est spoilée dans d’autres films, et cela va jusqu’à la parodie dans Scary Movies. Pas de quoi rire pour Shyamalan, même si cela a contribué à sa popularité. Il n’empêche que Sixième sens bénéficie d’un revisionnage à toute épreuve. Même en connaissance de cause, le film demeure fascinant et maitrisé de bout en bout. C’est également une porte d’entrée sur l’univers du réalisateur avec les thématiques qui lui sont chères, son code couleur permettant de comprendre les symboliques qu’il aborde, ses caméos, et bien sûr sa maitrise du twist.
7.Glass (2019)
Première vraie suite dans la filmographie de M. Night Shyamalan, Split ne s’étant présenté comme tel qu’à la toute fin, Glass se veut comme une conclusion à cette trilogie débutée avec Incassable. Soit 19 ans plus tard. Pourtant, ce dernier opus donne l’impression d’avoir été fait dans la précipitation. Non pas qu’il aurait dû nécessiter autant de temps qu’entre le premier et le deuxième volet, mais une plus grande période de réflexion autour de l’histoire aurait été bienvenue pour resserrer son propos. Cela avait été notamment le cas des premières versions du script d’Incassable qui contenaient déjà le personnage de Kevin et ses 23 personnalités, avant de se concentrer sur l’origin story de David Dunn. Son idée ne date donc pas d’hier, surtout que le montage de Glass contient des scènes coupées d’Incassable pour faire le lien entre tous les personnages.

Mais pour celui qui donne son nom au titre, ce génie du mal est trop peu présent. Beaucoup trop en retrait physiquement, c’est une menace psychologique qui plane sur les couloirs de cet institut psychiatrique. C’est d’ailleurs ce théâtre le véritable personnage central. M. Night Shyamalan donne ainsi sa version d’Arkham Asylum en plongeant dans la psyché de ses protagonistes. Il les questionne sur leur condition surhumaine, notamment le Superviseur et La bête que l’on pourrait réduire à une seule interrogation: que se passe-t-il lorsqu’un objet inamovible rencontre une force que rien au monde ne peut stopper? Pour y répondre, le cinéaste doit sortir de sa zone de confort en mettant en scène des confrontations. C’est là que le bât blesse car si la première est brutale et intense, le climax manque d’ampleur. La faute à une iconisation de jour et sur un terrain vague qui ne rend pas justice à ces phénomènes de foire. Si c’est une manière pour Shyamalan de désacraliser ces êtres afin de les ramener à la raison, alors c’est tout à fait réussi.
8.Knock at the cabin (2023)
Depuis The visit, chaque nouveau film de Shyamalan bénéficie du même son de cloche: c’est son grand retour. Une manière de présenter les choses plutôt étranges étant donné la régularité du réalisateur. Depuis 1999, le cinéaste suit un rythme d’un film tous les 2 ou 3 ans. C’est-à-dire, le temps moyen pour concevoir un long-métrage de sa pré-production à sa sortie. Mais cette formulation vient surtout du fait que c’est un artiste qui divise. Quand certain y voit un retour, d’autres y voient une errance, et vice versa à intervalle régulier. Cette contradiction chez son public, dont je fais partie, s’explique ainsi par la pluralité de son cinéma.

Si sa marque de fabrique est évidente, Shyamalan ne s’est pas enfermé dans un genre. Même si c’est ce qu’il fait subir à ses personnages dans Knock at the cabin sous couvert de huis clos. Ainsi un couple et leur fille sont captifs d’un quatuor bien décidé à les confronter à un choix impossible: le sacrifice de l’un d’entre eux pour éviter la fin du monde. C’est là que Shyamalan va à nouveau créer une division au sein de ses spectateurs. Entre ceux qui sont égoïstes, et ceux qui donnent de leur personne. Mais peu importe notre choix face à ce dilemme car à partir du moment où l’on se pose la question, M. Night Shyamalan a déjà gagné son pari. Celui de nous immerger dans son histoire. Et d’y croire.
9.After Earth (2013)
Shyamalan continue ses errements cinématographiques en s’aventurant pour la première fois du côté de la science-fiction avec After Earth. Il s’agit là d’un film de commande et la star derrière ce projet n’est autre que Will Smith. L’acteur a beau avoir des films cultes dans le genre, comme Independance Day ou Men in black, il est lui aussi en pleine traversée du désert. N’ayant rien à perdre l’un comme l’autre, cette association est toutefois parasitée par un enfant. Mais cette fois-ci, il ne s’agit pas de ceux de Shyamalan, mais de l’ainé de Will Smith: Jaden Smith. Du favoritisme qui le verra propulser en tête d’affiche de ce survival sur une terre où la nature a repris ses droits. De droits d’adaptation, il n’en est pas question puisque contre toute attente, il s’agit ici d’un scénario original.

Plutôt rare par les temps qui courent, After Earth s’inspire tout de même grandement des préceptes de la scientologie. Notamment de la cosmogonie de cette secte. On peut aussi y voir un point de départ similaire au comics Green Lantern: secret origins, mélanger avec la série Les 100. Shyamalan a quant à lui a décrit son oeuvre comme un croisement entre The Tree Of Life et Jurassic Park. Quoi qu’il en soit, c’est une histoire très simple, mais surtout très efficace. On y voit un Mike Horn du futur évoluer dans des décors naturels d’une grande beauté pour venir en aide à son paternel. Pour cela, il devra dompter sa peur à travers la technique de l’effacement. Un concept assez sympa qui permet de ne pas être détecté par l’alien dont il est la proie. Pas vraiment une ambiance propice aux blagues avec un Will Smith tout en retenue. Et donc à retenir. Derrière la caméra, M. Night Shyamalan a lui aussi prouvé qu’il pouvait s’effacer pour être au service d’une histoire loin de son univers. Un film sous-estimé.
10.Le dernier maitre de l’air (2010)
Le dernier maitre de l’air a bien failli être le dernier film de la carrière de Shyamalan. Après avoir réalisé Phénomènes, basé lui aussi sur l’air, il continue dans cette thématique sans plus de succès. Le réalisateur semble ne pas apprendre de ses erreurs, d’autant plus que c’est la seconde fois qu’il se laisse attendrir par ses enfants pour les besoins d’un film. La première fois, c’était pour La jeune fille de l’eau qui était un conte leur étant destiné, et là c’est avec leur série d’animation préférée dont il se charge de l’adaptation. Même s’il s’agit d’une intention tout à fait louable, le public de M. Night Shyamalan n’est pas forcément dans la même tranche d’âge que sa progéniture.

À cela, il faut ajouter qu’il s’agit de la première adaptation dans la filmographie du réalisateur. Jusque là, il s’en était remis à sa propre imagination d’où en étaient sortis des scénarios plus intimistes. Ainsi, avec Le dernier maitre de l’air, il met en scène son premier blockbuster. Et toute la dimension épique qui est censée aller avec. Les effets spéciaux sont au rendez-vous, les décors sont impressionnants, mais le récit ne parvient jamais à se hisser au même niveau. Les quatre éléments au centre de l’intrigue ne sont jamais vraiment exploités en tant qu’écosystème. Pas plus qu’il n’y a de cinquième élément comme dans la culture chinoise. Mais le problème ne vient pas forcément de Shyamalan, mais du support d’origine qui est un dessin animé américain.
11.Signes (2002)
Si l’on prend la filmographie de Shyamalan dans l’ordre, Signes a été ma première déception. Après le doublé incroyable qu’a été Sixième sens et Incassable, son film suivant était attendu au tournant. Entre les affiches énigmatiques et visuellement classes, l’engouement autour des Crops Circle à l’époque, la promesse d’un twist autour d’une invasion extraterrestre: tout était réuni pour que j’adhère à son propos. Ça, c’était en théorie, dans la pratique, ce fut une autre histoire. Celle d’un pasteur ayant perdu la foi et devant faire face à l’apparition de signes dans son champ. Mais il est très différent de croire en une vie après la mort, et croire à une vie ailleurs, dans l’univers.

Ces deux croyances sont presque incompatibles et c’est là toute la beauté du film. Malheureusement, c’est dans son exécution que M. Night Shyamalan m’a perdu. À partir du moment où le voile est levé autour de l’extraterrestre, la magie s’estompe. Le pouvoir de suggestion laisse alors place à un être numérique, de mauvais gouts, ne laissant plus aucun doute. Une révélation foireuse, surtout dans le cadre d’un récit intimiste à l’échelle d’une ferme. En termes de croyance, c’est ma suspension d’incrédulité qui en a pris un coup. J’y ai vu là les signes avant-coureurs d’un cinéma de Shyamalan auquel je n’étais pas réceptif.
12.Phénomènes (2008)
Il y a des titres qui portent bonheur. On peut même déjà imaginer la presse spécialisée jouer sur les mots afin de faire une phrase d’accroche pour leur critique. L’inconvénient, c’est que si le film est mauvais, cela peut vite se retourner contre l’oeuvre elle-même. Loin des phénomènes qu’auront été Sixième sens ou Incassable à leur sortie, Phénomènes n’aura pas été la mise en abime escompter dans la réalité. Si phénomène il y a eu, on pourrait qualifier cela de bad buzz.

Tourné suite à l’échec de La jeune fille de l’eau, tourné en dérision de la même manière, ce film peine à convaincre. Il faut dire que faire un film sur du vide, sur du vent, c’est très fort. Au moins, on ne peut pas enlever à M. Night Shyamalan sa prise de risque. Ni sa capacité à mettre en scène des images traumatisantes. Entre les suicides collectifs sur un chantier et les multiples pendus dans une cité paisible, le malaise est là. De là à y voir un suicide artistique dans la carrière de son auteur…
13.La jeune fille de l’eau (2006)
À force d’aborder des sujets aussi adultes et terrifiants, on en oublierait presque que M. Night Shyamalan a des enfants. Et comme tout conteur qui se respecte, il aime leur raconter des histoires. La jeune fille de l’eau est l’une d’entre elles. Un titre qui sonne comme un conte de fées, mais dont les coulisses sont loin d’avoir la même teneur. En apparence, ce projet semble tailler sur-mesure pour Disney, un studio qui a produit Sixième sens, Incassable, Signes et Le village. Des films sombres, loin de l’image sur laquelle cet empire du divertissement s’est construit.

Pourtant, la firme déclinera la proposition de Shyamalan. Les décideurs ne croient pas en ce projet. Sans doute parce qu’ils sont loin d’être des débutants dans le domaine du conte de fées. À la vue du résultat, il est difficile de leur donner tort. Même si l’on retrouve le style du réalisateur, il y a cette pointe d’optimisme et de naïveté qui fait tache. Ainsi qu’une forme d’égoïsme. En effet, il est permis de se demander si le cinéaste n’a pas cherché à faire un film que ses enfants pourraient enfin voir sans risquer de les heurter. Ce faisant, il exclut son public au profit des siens. Parfois, il y a des histoires qui devraient rester dans le cercle familial.
J’ai volontairement omis ses deux premiers films de sa filmographie. Ou plutôt, ils se sont exclus d’eux-mêmes. En effet, le premier, Praying with anger, n’a non seulement pas eu de sortie en France, mais reste introuvable dans une copie correcte. Sorti en 1992 alors qu’il était encore étudiant, ce long-métrage a été projeté au festival international du film de Toronto avant d’avoir droit à une sortie en salle. Dans une salle, pendant une semaine. Le second, Éveil à la vie, a bénéficié d’un peu plus de visibilité, après une sortie tardive en 1998, mais toujours en dehors de nos frontières.
Malgré la popularité grandissante du cinéaste, ces deux productions n’ont jamais profité d’une remasterisation pour une distribution à plus grande échelle. Ou ne serait-ce qu’à l’occasion d’une rétrospective. Problème de droit? Volonté du cinéaste d’occulter ses débuts? Quelles qu’en soient les raisons, ces deux films sont loin de la marque de fabrique qu’il s’est construite à partir de Sixième sens. Plus sombre. Pour preuve, même sa participation à l’écriture de Stuart Little est loin d’être un argument commercial, car antinomique avec son virage cinématographique.

Depuis, M. Night Shyamalan n’a cessé d’alimenter cette image, et s’est servi de sa notoriété pour différents projets comme les séries Wayward Pines, ainsi que Servant. Il a aussi associé son nom, ou plutôt une partie de son nom, à l’anthologie Night Chronicles. Ou plutôt ce qui était censé être une anthologie de films dont un seul a été produit: Devil. Cette marque a été créée en réponse à ses détracteurs voyant en lui un meilleur réalisateur que scénariste. L’échec de cette tentative aura eu pour effet de leur donner raison. Mais à mes yeux, Shyamalan n’a jamais eu à prouver quoi que ce soit. Que l’on adhère ou non, c’est un auteur à part entière avec ses obsessions qu’il ne cesse d’explorer.