« SUPERMAN: AMERICAN ALIEN » VS PROCRASTINATION
Un truc de base de la mythologie du super-héros, c’est qu’il y a le super-héros, et puis il y a son alter ego. Batman est en réalité Bruce Wayne. Spider-Man est en réalité Peter Parker. Quand il se lève le matin, il est Peter Parker. Il faut qu’il mette un costume pour devenir Spider-Man. Et c’est sur ce point très caractéristique que Superman se différencie des autres. Superman n’a pas eu à devenir Superman. Quand il est venu au monde, il était Superman. Quand Superman se lève le matin, il est Superman. Son alter ego, c’est Clark Kent. Son costume avec le grand S rouge, c’est la couverture dans laquelle il était enveloppé bébé quand les Kent l’ont trouvé. C’est ça, sa tenue d’origine. Lorsque Kent met les lunettes et le costard, ça c’est un déguisement. Ça, c’est le costume que Superman met pour donner le change. Clark Kent est l’image que Superman a de nous. Et qu’est-ce qui caractérise Clark Kent? Il est faible, il doute de lui-même, c’est un lâche. Il est la critique que Superman fait de toute l’humanité.
En plus d’être une leçon de cinéma, Kill Bill de Quentin Tarantino nous gratifie d’une analyse tout à fait pertinente pour servir son propos. Une manière de montrer que même après des décennies d’existence, ce personnage reste un modèle pour les héros modernes. Il a été le premier de cette nouvelle vague qui n’en finit plus de déferler. Mais après tant d’années de publication en comics, il est difficile de croire qu’il y ait encore quelque chose à raconter sur Superman. Depuis 1938, ses origines ont été racontées, modifiées, actualisées, modernisées, et réinterprétées sous différents angles.

Mais la base, elle, reste inchangée. Tout débute sur la planète Krypton, alors sur le point d’exploser. Afin d’assurer la survie de leur enfant, un couple met au point un vaisseau qui l’emmènera loin de cette destruction. Programmé pour se rendre sur Terre, cet ovni atterrira dans le champ des Kent. Ainsi, Kal El sera rebaptisé en Clark Kent et sera élevé par un couple de fermiers dans la ville de Smallville. En plus de ses premiers émois amoureux avec Lana Lang, il découvrira les pouvoirs que lui confère l’exposition au soleil jaune. Dès lors, le jeune homme aura l’ambition d’utiliser ses nouvelles capacités pour aider son prochain.
Il met alors le cap sur Metropolis et devient journaliste pour le Daily Planet. En parallèle, il se révèle au monde en tant que Superman, un super-héros au service de la population. Ses exploits attireront alors l’attention de sa collègue, Lois Lane, mais aussi du milliardaire Lex Luthor. Ce dernier mènera sa petite enquête et découvrira la vulnérabilité de l’homme d’acier à la Kryptonite… Ça, c’est dans les grandes lignes. À partir de ce même postulat, bien des auteurs se sont prêtés à l’exercice, pour des récits tout aussi cultes: The Man of Steel de John Byrne, Birthright de Mark Waid, Superman: secret origins de Geoff Johns…

À cette liste, il faudra désormais rajouter Superman: American Alien de Max Landis. Accompagné par toute une flopée de dessinateurs (Tommy Lee Edwards, Francis Manapul, Jonathan Case, Nick Dragotta, Joëlle Jones, Jae Lee et Jock), l’auteur va s’intéresser à différentes périodes de la vie de Clark Kent alors que ses pouvoirs se révèlent. Il fera aussi son lot de rencontres à travers de courts récits, sept au total, entrecoupés d’ellipses. Si les premiers chapitres sont assez familiers pour quiconque connait les grandes lignes de la mythologie de Superman, le reste est assez surprenant.
Même en ayant suivi la série Smallville durant 10 saisons, et qui aura exploré en long, en large et en travers l’enfance puis l’adolescence du héros sur 218 épisodes, il faut croire qu’il y avait encore quelques zones d’ombres à explorer. Et pour cause, le scénariste, surtout connu pour avoir renouvelé le genre super-héroïque au cinéma avec Chronicles, donne une vision quasi inédite du personnage que l’on connait tous. Chacune de ses actions sera ainsi remise en question, de manière directe ou indirecte, par les personnes qui vont croiser sa route.

Car oui, le principal moyen de locomotion de Superman est le vol, mais il n’en reste pas moins terre à terre. Il s’attirera ainsi les foudres de Bruce Wayne en ayant malencontreusement usurpé son identité le temps d’une soirée. Et le fait d’évoluer dans les hautes sphères de la société attirera l’attention de sa future némésis: Lex Luthor. Des moments qui vont participer à définir sa psychologie, mais à donner aussi un droit de réponse aux failles scénaristiques qui hantent le personnage depuis ses débuts. Notamment l’anonymat dont il jouit malgré des actions menées en plein jour et à la vue de tous.
Ainsi, même s’il agit à visage découvert dans le civil comme dans le privé, avec une simple paire de lunettes pour donner le change, Clark se justifie auprès de ses proches en prétextant que la population de Metropolis est bien trop occupée à regarder le ciel que sa propre personne. Imparable. Autre point d’accroche qui gagne en cohérence: sa popularité. Ici, cette exposition se justifie par fait de se faire voir le plus possible, et ce dans l’espoir où les ondes télé iraient dans l’espace pour que son peuple d’origine puisse les capter. Et vienne le retrouver.

Cette justification cache un profond malaise pour un personnage d’ordinaire lumineux et optimiste. Cela rejoint d’ailleurs le récit de Geoff Johns, intitulé Superman: Terre 1, dans lequel le héros avait un signal lumineux projeté dans le ciel, pareil à celui de Batman. Une trouvaille qui entre en contradiction avec une autre, mise de côté pour l’occasion. En effet, dans les pages annexes, outre des couvertures alternatives assez chouettes, se trouvent des annotations pour chacun des récits. Notamment un qui aurait dû conclure le recueil d’une bien meilleure manière que celui qui nous a été proposé.
En lieu et place de cette histoire intitulée Walkyrie qui le voit combattre Lobo, Max Landis avait envisagé de boucler la boucle en revenant là où tout avait commencé. Il était question de Jor El vivant les derniers instants de sa planète, à ceci près que son allure, telle qu’elle nous est décrite, était complètement extraterrestre. Faute d’illustration, je suppose que son aspect était pareil à ce que le jeune Clark voit lorsqu’il observe son reflet dans le premier chapitre.

Quoi qu’il en soit, cela aurait pu représenter un changement de taille pour la mythologie qui nous a toujours présenté les Kryptoniens comme similaires aux humains. Naturellement, Kal El devait également avoir cet aspect, avant d’être placé dans sa capsule de survie et qu’un programme ne reformate son ADN afin de s’adapter à son nouvel habitat. Dommage de ne pas avoir conservé ce parti pris assez fort. Mais le scénariste apporte déjà quantité de nouveautés et montre qu’il a parfaitement compris l’essence de Superman avec ce seul ouvrage.
Mais le personnage ne lui est pas pour autant étranger. Car si cette compilation de récits pourrait faire office de courts-métrages, l’auteur en avait déjà réalisé un sur l’homme d’acier: The Death and Return of Superman. C’était en 2012, et bien que ce titre fasse référence au comics éponyme, il n’en est pas vraiment une adaptation. C’était plus un retour sur le parcours éditorial de cet événement dans le monde des comics où Max Landis y va de son petit commentaire. Non sans une reconstitution des faits dans le plus pur style du film Soyez sympas, rembobinez.

D’une certaine manière, c’est ce qu’il a fait en rembobinant l’existence de Superman, de sa ressurection à son origine. Cette introduction qu’est Superman American Alien ne l’empêchera pas de faire apparaitre Doomsday le temps d’une planche entre deux chapitres. Comme si cette menace, qui mettra un terme à la vie de Kal El, temporairement, était déjà en chemin malgré les années qui séparent leur confrontation. Un autre de ses ennemis s’invitera également en guise d’intermède: Mxyzptlk. Comme à son habitude, il brisera le quatrième mur pour s’immiscer dans l’esprit du lecteur.
En quelques cases, ce lutin interdimensionel livrera une réflexion tout à fait pertinente sur la puissance des idées et la longévité des personnages de fiction. Tout naturellement, ces propos s’appliquent à Superman. C’est à la fois le héros le plus connu de notre monde, et le plus anonyme dans le sien lorsqu’il porte ses lunettes. Il est une icône qui est parvenue à s’émanciper des comics pour entrer dans la culture populaire. En cela, Superman American Alien s’impose d’ores et déjà comme un incontournable sur le personnage, pour tous ceux qui ne le connaissent pas, s’il y en a encore. Mais surtout pour tous ceux qui sont persuadés d’en avoir fait le tour.
« SUPERMAN: AMERICAN ALIEN » WINS!
