« BATMAN: ARKHAM ASYLUM » VS PROCRASTINATION
Le Batverse recèle autant de facettes différentes que de supports sur lesquels il est adapté. Presque absent des métrages de Nolan, à l’exception de Batman Begins, ou complètement ignoré, contre toute attente, par Tim Burton, l’asile d’Arkham se retrouve omniprésent dans les jeux vidéo. Encore une preuve que chaque auteur prend ce qui l’intéresse dans cet univers et le développe à sa façon. Les méchants pour Burton, la psyché de Bruce Wayne pour Nolan et enfin le célèbre institut pour Paul Dini qui l’exploitait déjà dans la série animée des années 90.
L’auteur voit ici ses services réquisitionnés afin de servir de caution qualité auprès des fans. Pourtant au premier abord l’intrigue est très simple: le Joker tend un piège à Batman en se laissant capturer pour ensuite mieux le retenir captif à son tour en le dominant sur son propre terrain. Un point de départ comme tant d’histoires du chevalier noir mais qui a le mérite de vite se démarquer en partant dans une toute autre direction. Mais ce huis clos ne limite pas sa trame au territoire de l’asile et pour ceux qui pensaient que l’on allait devoir se priver de la Batcave ou du manoir Wayne, ils sont bien présents, d’une façon ou d’une autre. Ainsi l’histoire se permet de faire certains ajouts ou modifications par rapport au comics ce qui apporte une pierre de plus à l’édifice qu’est ce monument (l’asile?!) de la culture populaire.
Pourtant lorsque l’on cite le titre « Arkham Asylum » auprès des fans, le premier auteur auquel on pense n’est pas Paul Dini mais bien Grant Morrison. En collaboration avec l’illustrateur Dave McKeen, ils sont à l’origine de l’un des plus célèbres graphic novel sur le personnage. Pour autant il ne s’agit ici en aucun cas d’une banale adaptation de ce chef d’oeuvre. Dès les premières minutes, Paul Dini prend ses distances avec le travail de Morrison pour livrer la narration la plus appropriée avec le format vidéoludique. Il est d’ailleurs impressionnant de voir à quel point le jeu est immersif. On a le droit à un tour du propriétaire par le directeur tandis que le Joker se fait escorter jusqu’à sa cellule. Lors de cette visite guidée en apparence, on se croirait tel Gordon Freeman dans le centre de recherche de Black Mesa juste avant la catastrophe.
Half Life reste une référence majeure en matière de narration et le voir ainsi cité ne fait que rassurer quant au sérieux des développeurs avec une telle licence entre les mains. On peut d’ailleurs voir le nom de chacun d’entre eux dès l’introduction, ajoutés en surimpression à l’écran, cela donne l’impression d’être dans un film. L’équipe en charge à d’ailleurs vue les choses en grand en offrant au Joker la voix française de Doc Brown dans « Retour vers le futur » comme à l’époque de la série animée. Même si ils sont nombreux, les autres personnages ne sont pas en reste pour le casting vocal qui pioche dans les meilleurs doubleurs. Ils interprètent leurs rôles avec conviction et il est même possible de consulter leurs biographies une fois que l’on a fait leur rencontre.
Et ce n’est que l’une des nombreuses fonctions qu’offre le personnage. On apprend dans un premier temps à le manier lors d’un combat sous forme de tutoriel et la prise en main est extrêmement rapide. La jouabilité est instinctive et d’une simplicité digne de la saga « Uncharted ». Pour la première fois dans un jeu vidéo on se sent à la place du Dark Knight. Le costume se détériore au fur et à mesure des affrontements mais surtout grâce à toute une panoplie de gadgets plus utiles les uns que les autres: Batarangs télécommandés, grappin, gel explosif, bat-griffe,… Mais le meilleur reste quand même les différents modes de vision semblable à un ennemi qu’il a affronté lors d’un crossover plutôt réussi: Predator.
Ce mode est utile pour déceler le nombre d’ennemis et d’armes dans l’environnement mais surtout cela permet de mettre en avant les capacités de détective pour rechercher des indices afin de progresser. Généralement on embrasse ce point de vue lors des phases de prises d’otages qui sont des passages assez répétitifs. Cela consiste par exemple à éliminer les gardes dans une grande pièce et sauter d’une gargouilles à une autre pour ne pas se faire repérer et les neutraliser discrètement. Mais même lors de ces niveaux récurrents il y a des nouveautés qui viennent agrémenter l’action: de nouvelles capacités, les colliers anti-suicide des patients, des armes supplémentaires, secourir du personnel hospitalier, baisser le niveau de gaz dans une pièce,…
C’est très variés même si le principe reste le même à cause de l’utilisation répétée de cette vision. C’est justement l’un des points faibles du jeu, on passe trop de temps avec ce mode détection ce qui nous empêche de profiter des splendides décors à l’architecture gothique à souhait. Une carte est à disposition du joueur pour se repérer dans cet environnement limité par les frontières de l’ile d’Arkham mais non moins immense et riche en confrontations. Ces dernières bénéficient d’une mise en scène avec une caméra dynamique qui suit l’action dans les moindres recoins et offre les cadrages les plus appropriés pour mettre en valeur le coup de grâce qui est asséné. Les ralentis qui accompagnent ces « fatalities » tout public sont du plus bel effet mais comme dans tout jeu digne de ce nom, la victoire n’est pas toujours de mise.
Ainsi à chaque défaite un écran de game over nous gratifie d’une vidéo du Joker, ou du méchant en question responsable de notre trépas, pour le voir nous asséner une réplique cinglante. C’est très drôle la plupart du temps et cela est agrémenté de quelques phrases sur la marche à suivre pour réussir le niveau. Plus on meurt plus l’explication se fait précise afin de vaincre et passer à la suite des hostilités. Bien sûr cela dépendra du niveau de difficulté que vous aurez choisi. Mais même au niveau le plus facile, l’aventure se révèle passionnante.
Entre les résidents « soigner » au Titan et devenus de véritables monstres, digne de l’Abomination dans Hulk, et les ennemis attitrés du Batman, le jeu dispose d’une durée de vie confortable. Les fous de l’asile ne manquent pas moins d’intelligence, quand bien même elle reste artificielle, en se mettant dos à dos pour se couvrir l’un l’autre. Chaque adversaire dispose d’un point faible et il en ressort des affrontements vraiment originaux. Parfois il suffit même d’utiliser la puissance d’un ennemi pour la retourner contre l’un de ses sbires. Ainsi on se retrouve sur le dos d’un monstre étourdis après une attaque ce qui nous permet de combattre les autres grâce au mouvement qu’il fait pour se dégager de notre emprise.
Mais les meilleurs moments restent sans conteste les passages avec l’épouvantail qui nous ouvre les portes de la psyché de Bruce Wayne en le sortant littéralement de sa tombe. Cela donne lieu à de magnifiques niveaux de plate-forme dans une morgue en ruine qui se désagrège lors de notre progression sous une pluie battante. L’équipe de designers a poussé le concept à fond en lui donnant une apparence cauchemardesque, peut-être la meilleure parmi toutes les incarnations du personnage. La ressemblance avec Freddy Kruger est frappante et offre même la possibilité d’incarner le Joker lors d’une hallucination mémorable. A coté les autres ennemis font pale figure notamment l’homme mystère qui porte plutôt bien son nom puisqu’on ne le voit jamais…
Mais parmi tout cette galerie d’ennemis, il y en a un qui a réussi à briser la chauve-souris à la fois psychologiquement et physiquement. Bien que le Joker soit au centre de l’intrigue, il s’agit bien de Bane qui dans les comics a mis le chevalier à terre à tel point qu’il a du être remplacé au pied levé. Ici c’est de son sérum dont il est question et c’est dans cette substance que le clown va trouver la réponse à son manque de force. Ainsi le jeu de Rocksteady pose la question de savoir ce qu’il se passerait si la némésis ultime, à savoir le Joker, s’injectait ce même sérum?
La réponse n’est guère satisfaisante, bien que cela façonne un ennemi de taille en tant que dernier boss pour une fin à la hauteur de cette déception. En effet, pendant un court instant Batman se trouve lui même infecté par cette substance et c’était là la promesse d’un combat à arme égale pour les deux ennemis de toujours. Il n’en est rien puisque le chevalier noir utilise un antidote et le joueur se retrouve à se battre contre ses sbires tandis que le Joker, nouvelle version encore plus cinglé et surpuissant, distrait les hélicoptères de la police. S’en suit une stratégie qui en fait peut-être le boss le plus simple du jeu…
Ce jeu vidéo s’affranchissait déjà pas mal des comic-books, tout en le respectant, pour créer une sorte de réalité alternative et il est donc dommage de ne pas avoir pris plus de risque. Je pense notamment à une fin plus dans la lignée du film « Van Helsing » dans lequel ce dernier utilisait la morsure du loup-garou afin de gagner son combat contre un Dracula métamorphosé en une chauve-souris géante. Le chasseur de vampire y jouait la montre afin de combattre son ennemi et de s’inoculer l’antidote avant que la transformation ne soit irréversible et c’est précisément ce que j’avais à l’esprit lorsque le jeu touchait à sa fin.
Le sérum de Kirk Langstrom aurait été un excellent moyen de contrer celui du Titan en plus de faire référence à Man-Bat, grand absent parmi le florilège de vilains. Un combat dans lequel le Titan aurait laisser tomber l’homme pour faire place à la bête en transformant Batman en une chauve-souris humaine. Mais cette occasion manquée n’enlève rien à la qualité du jeu qui demeure excellent en bien des points. Les adaptations de comics n’ont jamais vraiment brillé par leur fidélité, peu importe le support, mais il semble que désormais Batman soit bien installé dans la sphère des gamers.
« BATMAN: ARKHAM ASYLUM » WINS!