« BATMAN: THE DARK KNIGHT RETURNS, PART 1 & 2 » VS PROCRASTINATION
A l’heure où la chauve-souris est bien partie pour finir centenaire, voir au delà, il nous est bien difficile d’imaginer un monde sans Batman. C’est pourtant le cas dans cet animé situé dans un futur où l’on fête la dixième année d’absence du chevalier noir à Gotham. Comme l’indique le titre, ce fameux retour a d’abord été initié par Frank Miller avant de se voir transposer ici dans un animé en deux parties. Vus l’un à la suite de l’autre, ces deux segments représentent 2H30, soit un film et c’était le minimum afin de ne pas dénaturer l’oeuvre d’origine. Et dans l’ensemble cela se révèle être assez fidèle.
Tous les éléments du comics répondent présent à l’appel. On retrouve ainsi un Batman bien massif et imposant comme dans les proportions des cases de comics, Wayne et Gordon sont amis et ce dernier est dans la confidence concernant l’identité secrète du milliardaire. Découpé en deux segments égaux, là où le comics d’origine était une parution en 4 numéros avant de se voir réuni en un Graphic Novel, cette première partie prend son temps et ne sacrifie aucune sous-intrigue. La guérison de Double-Face, les mutants et leur leader à la musculature digne de Bane, le Joker dans un état catatonique, la nouvelle Robin,…
Le scénario développe même des éléments en arrière plan comme cette référence à Alice au pays des merveilles lorsque Bruce se remémore son enfance et se met à la poursuite d’un lapin blanc jusqu’à une chute dans son terrier. S’en suivra la rencontre avec la folie et même Grant Morrison n’y avait pas pensé lorsqu’il travaillait sur Arkham Asylum, un récit fortement influencé et citant directement, à de multiples reprises, l’oeuvre de Lewis Carroll. Et il y avait de quoi devenir fou devant l’ampleur de la tache qu’a du représenté ce passage d’un média à un autre.
Pour autant, il ne s’agit pas d’une bête transposition afin de capitaliser sur la renommée de cette pièce maitresse dans la carrière de Frank Miller. Le comics a beau avoir été publié en 1986, son adaptation s’offre une relecture post 11 septembre 2001. La mention de deux tours sur lesquels repose la menace d’un attentat ou cet avion en feu qui s’écrase en plein Gotham en font un récit visionnaire. Cela s’accorde parfaitement avec l’actualité ainsi que la vision de Miller et ses propos parfois extrémistes. Depuis l’auteur a abandonné les sous-entendus pour embrasser la polémique dans tout ce qu’elle a de plus embarrassante.
En effet ceux qui ont été choqués par le point de vue controversé de Frank Miller sur cette icône ne sont pas au bout de leurs peines. Ses idées les plus subversives et jusqu’au boutiste ont pris la forme d’un comics intitulé « Terreur Sainte » et cela aurait du être le troisième opus lui permettant de clore sa trilogie consacré à Batman. Cette suite tardive voyant l’homme chauve-souris combattre le terrorisme en Afghanistan n’a jamais vu le jour soit à cause de son sujet plus que subversif ou alors suite au sabotage que fut le deuxième opus de cette série.
Car oui, il y a une suite à cette vision crépusculaire du héros phare de DC Comics: The Dark Knight Strikes Again. L’histoire y est insipide et les dessins donnent l’impression de ne pas avoir dépassé l’étape du brouillon. Lu l’un à la suite de l’autre, on a l’impression qu’ils ont été dessinés par deux personnes différentes alors qu’il s’agit de l’oeuvre d’un seul homme dont les talents semblent décliner. Pas fan de son trait même à son sommet, il est agréable de constater que cette adaptation ne soit pas fidèle au point de lui avoir emprunté son visuel.
Les animés de chez DC ont tous tendance à se ressembler, rien d’exceptionnel ou qui sorte du lot, mais pour une fois je ne me plaindrais pas. C’est toujours mieux que de voir en mouvement le style de Miller. Son histoire est intact et c’est bien ça le principal puisque c’est ce sur quoi repose tout bon film. Et sans être aussi extrême, le scénario de Bob Goodman a plutôt bien cerné l’auteur tout étant le reflet de notre époque. Ainsi des éléments comme le zapping tv qui ponctué les cases du comics sont ici plus que pertinents dans notre société moderne.
L’omniprésence des écrans et des informations qu’ils diffusent à longueur de journée sont le vecteur idéal pour livrer une critique acerbe de la société. En donnant la parole aux habitants de Gotham ont assiste à toute une mosaïque de réactions. Typique du cinéma de Paul Verhoeven, ces séquences évoquent immédiatement le monument de la science-fiction de sa filmographie que sont Robocop et Starship Troopers. Des films qui pourraient se dérouler dans le même univers tant cette exposition aux médias est insistante. Il n’est pas impossible que le cinéaste Hollandais soit tombé sur ce Roman Graphic pour lui emprunter cette narration puisque Robocop ne sortira qu’un an plus tard.
C’est peut-être d’ailleurs ce qui poussera les producteurs à faire appel à Frank Miller pour la suite de Robocop. Cette première incursion dans l’industrie cinématographique ne sera pas une bonne expérience et son script se verra massacré à tel point qu’il lui donnera lui-même une seconde chance sur son terrain de prédilection entre les pages d’un comics. A y regarder de plus près ce Batman en armure est littéralement un ersatz de ce robot flic et c’est encore plus flagrant lorsqu’on l’entend scander qu’il est la loi à la manière d’un Judge Dredd.
Cette détermination et cette conviction dans la voix n’est autre que celle de Peter Weller alias Alex Murphy alias Robocop. Encore une fois, cette filiation ne fait que renforcer l’envie de voir un jour une adaptation live sous la houlette de Paul Verhoeven tant cet univers semble correspondre à sa sensibilité créative. Pour l’instant seul Zack Snyder semble avoir réussi à capter ce qui faisait le sel du travail de Frank Miller. Et Non content de s’attaquer à un pilier de la culture des comics, le réalisateur de 300 a également pris soin d’adapter Watchmen qui était sortie la même année que The Dark Knight Returns.
Le hasard a voulu qu’ils sortent quasi-simultanément en version papier et on peut y déceler des similitudes avec la loi anti-masque ou encore un surhomme au service du président. Cette icône de l’Amérique qu’est Superman est ici réduite à un simple cliché pour se faire la critique de tout un pays. Ce n’est pas la tête d’affiche de cette aventure donc son rôle n’est pas très développé au delà de cette caricature du boy Scott. L’auteur de Watchmen, Alan Moore, l’avait autrement mieux analysé dans ce qui est pour lui la dernière aventure de l’homme d’acier dans « What Happened to the man of tomorrow? »
Une question qui mérite réflexion et tous deux ont été révolutionnaires dans leur façon de déconstruire le mythe du héros et c’est dans cette veine que Batman V Superman va en restituer toute la fureur sur grand écran. Mais la petite lucarne n’est pas en reste et Jay Oliva a fait du très bon travail à la réalisation. Il offre un avant-gout très impressionnant de ce que pourrait donner une telle confrontation. Le combat mythique entre Batman et Superman bénéficie de toute la rage de sa version papier et plus encore. Il y a un coté western dans ce dernier affrontement digne de David contre Goliath.
Un peu plus terre à terre, cette histoire est aussi connue pour être celle où Batman solde les comptes avec le Joker. Cet ultime face à face, à l’issue de la première partie de ce diptyque, n’est absolument pas censurée mais amplifiée dans toute sa violence. Le sang y coule à flot, c’est sans concession et là où les romans graphiques ont la réputation d’être réservé aux adultes, il en est de même pour ce dessin animée. La némésis du chevalier noir n’hésite pas à poignarder à tout va, ses faits et gestes ne sont pas atténués tout comme Batman ne retient aucunement ses coups. Une brutalité qui contraste grandement avec les autres productions DC un peu plus mesurés dans leur propos et dans leurs durées.
Il est de coutume que DC adapte des runs célèbres en animé au prix d’une réécriture dans les grandes largeurs afin de condenser leur intrigue pour atteindre l’heure et quart standard. Ici ce n’est pas le cas et cette coupure a vraiment été bénéfique pour rendre justice à ce monument de la culture populaire. Visionner l’un à la suite de l’autre donne vraiment l’impression d’une production cinématographique de grande ampleur. On pourrait inclure cet opus dans la continuité officielle, chronologiquement juste avant Batman Beyond lorsque Bruce Wayne décide de raccrocher la cape et prend Terry McGinnis sous son aile. Mais bon il est difficile de parler du futur lorsqu’il s’agit de personnages de comics sur qui le temps n’a quasiment aucune prise.
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