« BIOSHOCK: RAPTURE » VS PROCRASTINATION
Lorsque j’ai parcouru, durant de nombreuses heures, les couloirs de Rapture dans Bioshock 1, 2 et le DLC du troisième opus qui vient boucler la boucle, j’ai toujours tenté de mettre le jeu à l’épreuve de son propre concept. De le retourner contre lui afin d’en éprouver sa qualité. Pour ça, la philosophie d’Andrew Ryan semblait tout indiquer afin de dresser un barème. Pour reprendre ses mots il a voulu créer…
Une cité où les artistes ne craindraient pas les foudres des censeurs.
Où les scientifiques ne seraient pas inhibés par une éthique aussi artificielle que vaine.
Où les grands ne seraient plus humiliés par les petits
Et, à la sueur de votre front, cette cité peut aussi devenir votre.
Elle fut mienne durant d’innombrables heures et durant cette période je me suis demandé en toute objectivité, malgré la vue subjective, si ce jeu aurait pu émerger d’une cité comme celle-ci. Si les artistes habitant Rapture avait eu l’idée de ce jeu, est-ce qu’il ressemblerait à ce que j’ai entre les mains? Est-ce que ce jeu n’aurait pas eu à souffrir d’un comité de censure avant de se voir confier aux joueurs?
Force est de constater que le jeu de Ken Levine a balayé chacun de mes doutes. Oui ce jeu pourrait très bien être un vestige de cette antique cité aujourd’hui disparue. Une sorte de boite noire des événements vécu par Jack qui nous est parvenu à la surface. Oui ce jeu ne semble par avoir été atteint par le politiquement correct tant les idées qu’il met en avant sont bien plus subversives que les effusions de sang et l’ambiance macabre qui en découlent.
Toutes ces interrogations que j’ai eu lors de mes nombreuses parties, je les ai à nouveau mises en pratique lors de ma lecture de cette préquelle. Cette expérience dans les couloirs de la cité d’Andrew Ryan m’a donc servie de grille de lecture afin de faire état de la qualité de cet ouvrage. Imaginant le biographe officiel du fondateur, à l’origine de cette infrastructure révolutionnaire, écrire dans les profondeurs sous-marine sans aucune entraves ni compromis.
Au premier abord, la couverture de cette première édition brochée est vraiment superbe. C’est un bel objet en accord avec ce que peut représenter l’esprit de cette saga et rien que pour ça les éditions Bragelonne ont fait un très beau travail. Les contours dorés sur les pages et la couverture art déco attirent immédiatement l’oeil. Ne restait plus qu’à savoir si tout ceci n’était que de la poudre aux yeux ou si ce roman était aussi bon que beau.
Même si il est toujours plus intéressant d’en apprendre plus sur les créateurs derrière le jeu, il n’est pas impossible de se dire que ces derniers ont mis un peu d’eux dans la conception de cet homme qu’est Andrew Ryan. Pour avoir étanché ma soif de savoir avec l’excellent essai: « Bioshock de Rapture à Columbia », il était donc temps pour moi de savoir qui se cache derrière cet homme que l’écrivain se plait à humaniser à travers son passé en Russie.
L’auteur fait tout pour rendre ce personnage le plus charismatique et iconique possible en le décrivant toujours avec une certaine distance pour pouvoir mieux le cerner. Andrew Ryan se voit ainsi introduit ainsi que son passif en tant que Andrei Rianofski alors qu’il arrive sur le sol américain. L’histoire commence en 1945 alors qu’Hiroshima a subit l’attaque que l’on connait et l’écrivain John Shirley profite de ce contexte historique pour dérouler son intrigue sans grande conviction.
En effet quelques coquilles parsèment la lecture et ceux dès le prologue. Des erreurs que l’on ne peut en rien imputer à l’auteur puisqu’il s’agit d’une traduction. A ce stade il est désagréable de réaliser que là ou Bragelonne a tout misé sur la couverture, ils ont été beaucoup moins attentifs aux différentes étapes de la relecture. Mais John Shriley ne fait pas non plus beaucoup d’efforts pour nous faire passer outre cette maladresse éditoriale.
La faute ne lui incombe pas forcément, du moins en totalité, puisqu’en choisissant de nous conter le déclin de cette cité sous-marine bien connu des gamers, il ne pouvait que se confronter à l’oeuvre d’origine dont cette histoire allait être tirée. Le jeu vidéo nous apprenait déjà pas mal d’éléments sur le passé de cette ville, avant que tout ne tourne mal, par le biais d’une quantité de journaux audio non négligeable.
C’est en ça que l’on pouvait voir en Bioshock une oeuvre complexe et complète puisqu’elle nous donnait un background solide sans pour autant l’imposer. Le lecture perd donc de son intérêt au fur et à mesure que l’on se remémore certains dialogues du jeu servant ici à baliser cette intrigue. Un chemin tout tracé qu’il est difficile d’ignorer lorsque l’on est familier du jeu de 2K Games. Tellement qu’à travers nos yeux, cette vue subjective du livre entre nos mains nous donnent envie d’invoquer des plasmides pour demander réparation.
Les pages qui défilent nous donne donc juste l’impression d’assister à une compilation de ces fameux journaux. L’auteur est prisonnier de cette structure comme ceux qui ont été sélectionnés pour avoir l’immense honneur (horreur?) d’aller à Rapture. Le récit passe ainsi par les lieux les plus emblématique du jeu et comme pour un scénario, ils sont localisés avant la scène en question ainsi qu’un repère temporel s’étalant de 1945 à 1959.
Cette période, à la suite de laquelle vient se raccorder le premier jeu, est retranscrite en un peu plus de 400 pages monotones. Les 20 chapitres qui les composent sont eux-même répartis en plusieurs parties: premier âge de Rapture, deuxième âge,… et ainsi de suite. Tout au long de l’histoire on assiste au recrutement par Ryan des personnes qui vont lui servir à bâtir son empire aquatique. Et bien sûr à passer sous le radar de la société actuelle, loin de lui convenir.
On se retrouve dans le même cas de figure que la série Wayward Pines lorsque son créateur se lance dans une phase de recrutement des personnes autour de lui. Et c’est toujours par l’entremise de son personnel que nous découvrons ce personnage ce qui est dommage, quitte à le mettre en scène il aurait été plus interessant d’avoir directement son point de vue. Voir même d’avoir celui de l’auteur Blake Crouch à qui l’on doit la série adapté à succès par M. Night Shyamalan.
Un autre cinéaste, en la personne de Gore Verbinski, a lui aussi tenté de donner vie à Rapture à travers un long-métrage interdit au jeune public. Le réalisateur a préféré abandonné la production plutôt que de livrer un produit mainstream indigne du support d’origine. John Shirley ne semble pas avoir opté pour cette option et s’est fait une spécialité dans le domaine de la novelisation. Un nom que l’on peut retrouver le plus souvent sur des romans tirés de l’univers de Halo, Watch Dogs,…
Malgré cette connaissance de l’univers assez vaste du jeu vidéo, la plume de l’écrivain est assez fade. Et même si le style d’écriture s’améliore au fur et à mesure de l’histoire, notamment dans la description des personnages, il n’excelle pas sur les séquences d’actions. Ce qui est dommage car la fin en regorge, rendant tout le dernier acte assez plat. Cette lourdeur est appuyée par une utilisation abusive des parenthèses, au sein même des dialogues, afin de continuer une description au profit de la narration.
Heureusement certains passages viennent relever notre attention et attiser notre curiosité. Voir les fédéraux enquêter sur les agissements de Ryan est assez intriguant en plus d’être bien mené, notamment à travers le bateau « l’Olympien » qui part du quai avec un chargement et une fois de l’autre coté de l’atlantique arrive vide. L’espionnage industriel qui en découle est l’occasion pour l’auteur de se livrer à un name dropping assez impressionnant, on assiste aux prémices des plasmides ainsi qu’à l’addiction qu’elle provoque et la rivalité avec Fontaine trouve ça source ici.
Rien d’inédit en somme mais une mise en contexte qui à le mérite d’exister autrement que par des bandes sonores dans un jeu. Même si souvent l’histoire, et par extension son auteur, se repose un peu trop sur les connaissances du lecteur, et donc par extension du gamers. D’ailleurs il est plutôt conseillé d’avoir joué au jeu avant sous peine de se sentir un peu perdu. Il est donc légitime de se demander à qui s’adresse ce roman très référencé.
On pourrait presque dire que ce produit dérivé est à l’attention des joueurs qui ont décidé de faire le jeu en excluant le background de leurs parties. A ceux qui n’ont mis en avant que la quête principale et ne se souciant pas de récupérer ces fameux journaux pour aller directement à l’essentiel. Et en même temps ce type de joueur ne peut pas se prétendre suffisamment fan pour s’investir dans cette lecture.
Le but de l’auteur a donc été de combler les blancs entre ces intervalles sonores (à la rigueur un livre audio avec les voix des personnages du jeu vidéo aurait permis de rehausser un peu l’ensemble et de lui donner une légitimité) ce qui ne laisse pas beaucoup de marge de manoeuvre pour l’improvisation et l’originalité. Pourtant il n’y avait rien de plus simple que de capitaliser sur l’image de marque de Bioshock pour offrir un ouvrage sortant des sentiers battus.
Un simple retour en arrière était suffisant pour trouver l’inspiration nécessaire à cet exercice de style. Il n’y qu’a se tourné vers la principale influence de Ken Levine pour trouver le ton adéquat avec « La grève » d’Ayn Rand. L’idée initiale lors des prémisses du développement du jeu vidéo méritait également d’être explorée pour son fort potentiel. Le joueur devait y incarner un redresseur de pensée, de ceux qui délivre des personnes sous l’emprise d’un culte.
Un personnage tout indiqué pour une histoire bien plus prenante tant il permet de possibilités en terme d’intrigue. Bioshock exerce un certain culte dans le milieu vidéoludique mais pas au point de faire appel à ce type d’individu dont la société peut très bien se passer maintenant. Et ce livre est du même acabit, en l’état on ne peut pas dire que l’on pourrait retrouver ce livre sur les étagères d’une bibliothèque de Rapture.
PROCRASTINATION WINS!