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« Cabinet de curiosités » de Guillermo Del Toro

« CABINET DE CURIOSITÉS » VS PROCRASTINATION

La première fois que j’ai découvert Guillermo Del Toro, c’était dans les pages du magazine Mad Movies. Plus précisément le numéro 143 qui bénéficiait de deux éditions avec deux couvertures différentes: l’une consacrée au Spider-man de Sam Raimi et l’autre à Blade 2. En tant que fan du premier opus du chasseur de vampire, j’attendais cette suite avec impatience et le trailer que je me repassais en boucle n’arrangeait pas les choses. C’est en feuilletant ce magazine, à l’issue duquel je me suis abonné, que j’ai découvert ce cinéaste Mexicain venu promouvoir non seulement Blade 2 mais aussi L’échine du diable. Hasard du calendrier, c’était une sortie quasi-simultanée sur notre territoire qui a permis d’avoir une étendue du cinéma de Del Toro, entre Blockbuster et film d’auteur.

Réalisant qu’il s’agissait de la deuxième partie d’une interview, je me suis empressé de commander le numéro précédent afin d’en apprendre plus sur cet homme qui me fascinait. Cette discussion de plusieurs pages m’a permis de découvrir un réalisateur passionné et passionnant mais aussi de me rendre compte que je le connaissais déjà. J’avais adoré son deuxième film avant même de connaitre l’homme derrière Mimic. Bien qu’il ne porte pas dans son coeur cette première incursion dans le cinéma hollywoodien, j’avais tout de même trouvé quelque chose de singulier dans ce long-métrage. Il y avait déjà une patte facilement identifiable, de celle dont les auteurs font preuve lorsqu’il porte leur regard sur une oeuvre. Le mien était complètement hypnotisé par les quelques photos de ses précieux carnets qui servait à illustrer son échange avec le journaliste. 

C’est à partir de là que j’ai commencé à en faire de même, à remplir des carnets de mes idées pour un jour peut-être pouvoir les transposer d’une manière ou d’une autre. Comme les insectes de Mimic, j’ai d’abord du faire preuve de mimétisme en essayant d’imiter le style de ce cinéaste pour représenter mes idées. M’appliquant à faire des croquis de mes personnages, faisant du découpage et du collage pour finalement vite réaliser que cela devait avant tout être personnel. Je devais trouver mon propre chemin. Depuis j’en ai accumulé une quantité incroyable et bien qu’ils soient loin d’égaler ceux de Guillermo Del Toro, ils sont ce que je possède de plus cher à mes yeux. La pile de magazine Mad Movies, alors en pleine expansion au fil des années, s’est peu à peu stabilisée jusqu’à ce que je décide de ne plus renouveler mon abonnement. 

Leur ligne éditoriale et la mauvaise foi de certains critiques ont eu raison de ma patience mais je ne peux nier avoir eu le gout de l’analyse grâce à eux ainsi qu’une cinéphilie assez éclectique. Je leur dois beaucoup et c’est dans les pages de l’un des derniers numéros en ma possession que j’ai découvert l’existence de cette ouvrage comme un juste retour des choses. La boucle était ainsi bouclée puisque cela venait de me confirmer que le lecteur que j’étais n’était plus en adéquation avec les valeurs que défendait ce magazine. En effet, loin de bénéficier d’une grande exposition digne de leurs parutions d’antan sur le cinéaste, il ne s’était vu réservé qu’une seule petite colonne en toute fin. Cela aurait pu passer inaperçu mais cette couverture qui combinait plusieurs pages du carnet de Guillermo était suffisamment identifiable.

Bien qu’anecdotique aux yeux des rédacteurs de Mad Movies, cette mention justifiait à elle seule l’achat de ce numéro tout comme elle confirmait aussi que cela serait le dernier. C’est sans regret que je me suis rendu chez mon libraire sans le numéro suivant mais avec ce livre imposant tant par sa taille que par son contenu. Une véritable mine d’or que j’ai lu d’une traite tant les ouvrages sur le cinéaste se font rare malgré le statut qu’il a acquis au fil du temps auprès du public. Mais aussi auprès de ses pairs puisque nombres d’invités prennent la parole pour dire tout le bien qu’il pense de Del Toro tel que John Landis, son compatriote Alfonso Cuaron, son acteur fétiche Ron Perlman, Adam Savage, Neil Gaiman, Cornelia Funke, Mike Mignola,…

C’est un aimant à talent, un centre de gravité dont tout le monde parle avec amour et respect mais celui a qui revient l’honneur d’ouvrir cette ouvrage c’est James Cameron. Je ne m’imaginais pas une connexion entre ces deux personnages et pourtant cet avant-propos révèle qu’ils sont amis depuis plus de vingt ans. Non content d’ouvrir les hostilités, c’est à lui également que revient l’acquisition du tout premier carnet de Guillermo. Ainsi la partie réservée à son premier film « Cronos » est la moins fournie en documentation puisqu’on apprend que par un concours de circonstance il a fait don à son ami de cet objet précieux. Sachant que ses carnets sont à terme destinés à ses filles, cela en dit long sur leur relation et leur amitié que je ne soupçonnais pas le moins du monde.

Je lui connaissais surtout une amitié avec ses compatriotes Alfonso Cuaron et Alejandro Gonzales Innaritu avec qui il forme les « 3 amigos » mais Del Toro réserve bien des surprises qu’il confie à Marc Scott Zicree. Lors de ces échanges courant sur la totalité de l’ouvrage, il évoque un à un ses différents projets mais aussi des pensées profondes sur le métier d’auteur et le rapport à l’art. Ces réflexions m’ont touché au plus haut point puisqu’il pointe du doigt le fait que les blogs devraient, en théorie, donner au gens la liberté de s’exprimer uniquement sur ce qu’ils ont aimé, ou ce dont ils souhaitent parler. Que le fait de critiquer donne l’illusion de participer à l’acte de création, de la même manière qu’une autopsie. L’acte est là, il existe, vit et vous lance des défis, tandis que la critique s’efforce d’approuver et de valider.

J’aurais pu me sentir viser mais je suis bien content de me retrouver dans ces propos et de trouver les mots juste à ce que j’essaye de faire sur cet espace virtuel. Je ne parle que de ce que j’aime même si il m’arrive de ne pas être d’accord avec leurs créateurs respectifs mais toujours dans le respect. Je ne sais que trop combien l’acte de création est une chose difficile et si je me livre à autant d’analyse ici même c’est pour apprendre des personnes que je considère comme étant les meilleurs. Pour devenir meilleur à mon tour. En attendant je décortique mes oeuvres de prédilection ou celle qui s’y rapporte afin d’en comprendre le sens et cette ouvrage fait partie des indispensables dans ma collection. Il vient en complément de ces films et les bonus qui les accompagnent afin d’en cerner la magie.

Et malgré une filmographie plutôt éclectique, Guillermo se livre à une analyse de son parcours en notant le fait que l’on écrit et ne réalise qu’un seul film durant toute sa vie. C’est très pertinent quand on voit le nombre d’univers cinématographique où tout est lié. Mais cela nous renvoie aussi à cette ouvrage que l’on tient entre les mains, la somme de tout ses carnets réunis en un. Pourtant l’un d’entre eux a failli ne jamais faire partie de ce contenu puisqu’il avait été perdu dans un taxi avant que le chauffeur ne le lui ramène à son hôtel. Un épisode touchant qu’il relate alors qu’il était dans une période indécise quant au choix de son film suivant parmi la multitude de propositions qui lui ont été faite. Mais le cinéaste a su rester intègre envers ses principes face à la possibilité de réaliser des blockbusters de l’écurie Marvel.

Une décision de super-héros qui est de ne pas rejoindre cet univers pour préserver le sien. Bien que je puisse voir cet ouvrage comme un puit sans fond de connaissances sur l’un de mes cinéastes favoris, celui-ci nous met en garde sur ses carnets en insistant sur le fait qu’ils ne représentent pas la somme de ses connaissances mais plutôt ce qu’il a voulu savoir. Comme un éventail de ses centres d’intérêt. Et bien qu’il soit tentant de comparer ses dessins à ceux de Leonard de Vinci, et la comparaison n’est pas volée, son auteur rebondi sur une autre référence lorsqu’on lui fait une remarque sur ses annotations et Guillermo de répondre qu’il aime l’idée du Necronomicon. Quand on voit que l’ombre de Lovecraft plane sur cet objet on se dit que cela fait sens.

Plus encore, on peut voir l’auteur du mythe de Cthulhu hanté la demeure de Guillermo. En effet, bien qu’il se justifie sur le fait de ne pas apprécier prendre de photos mais plutôt de faire des croquis, par désir de contrôler le cadre et tout ce qui s’y trouve à l’intérieur, le présent ouvrage n’en est pas pour autant dépourvu. Il n’est pas composé que de reproductions de l’intérieur de ses carnets mais aussi de photographies de son intérieur: Blake House. Une sorte de maison hantée rappelant celle de la bande dessinée Locke and Key où l’on peut donc apercevoir une statue de cire de H.P. Lovecraft. Cette visite guidée fait office d’état des lieux d’une collection impressionnante de goodies, sculptures, accessoires de cinéma et donne l’impression d’évoluer dans son cerveau.

C’est de cet esprit que sont sorties les films sur lesquels les chapitres suivants vont s’attarder. Plus on avance dans sa filmographie plus la galerie de dessin s’étoffe et Del Toro de nous gratifier d’explications sur son travail. Il compare ainsi les insectes de Mimic à des anges et voulaient faire ressembler l’équipe du métro, chargée de les éradiquer, à des insectes avec leurs masques à gaz. Une vision qu’il aura eu du mal à retranscrire à l’écran, bridé par des producteurs intéressé par la possibilité de faire un ersatz d’Alien. Néanmoins il retrouvera son génie créatif avec l’échine du diable dont il partage avec le lecteur sa rencontre avec Pedro Almodovar qui lui a permis de financer le film. C’est ainsi que l’on peut se rendre compte que le magnifique dessin de la bombe que l’on aperçoit dans le film et en fait celui tiré de son propre carnet.

Fort de ce retour au source, il tente à nouveau une percée à Hollywood avec le fameux Blade 2 dont les ébauches font ici la part belle aux Reapers et au Bloodpack. Dans le texte on y apprend qu’il garde jalousement la morphologie de ce type de vampire et en y repensant, la gueule de ces vampires est totalement absente de tout matériel promotionnel. Au final ce film est bien plus qu’une suite et il trouve une grande importance dans la filmographie de Del Toro car cela lui a servi de tremplin afin de concrétiser un rêve de gosse: faire HellBoy. Pour un réalisateur qui navigue entre oeuvres d’auteur et super production, on a du mal à savoir vers lequel des deux ce film penche tant il lui est personnel.

Il a su rester fidèle au comics tout en y apportant des modifications. Là où Mignola, créateur de Hellboy, voulait lui donnait une queue de cheval digne d’un producteur de porno (pour reprendre les mots de Guillermo), Del Toro lui octroie une coupe de sumo rappelant son entrainement au combat. Bien que la première comparaison soit peut flatteuse, on ne peut reprocher au cinéaste de ne pas aller puiser dans des horizons aussi divers que variés. Cet étonnement sera encore plus visible avec la partie consacrée au Labyrinthe de Pan. Un autre grand nom vient côtoyer le sien en la personne de Stephen King qui a eu l’honneur d’écrire un mot dans un de ces carnets suite à une projection de ce chef d’oeuvre. Une consécration pour le cinéaste qui sera suivi d’une remise de prix amplement mérités.

Ce soin du détail est agrémenté par des annotations permettant de revoir le film sous un regard différent. Ainsi si le fait qu’Ofelia porte la même robe que celle d’Alice au pays des merveilles n’est pas passé inaperçu, il en est tout autrement pour le Faune qui n’apparait quasiment que dans des encadrements de portes. De quoi y voir une portée symbolique très forte que la suite de Hellboy récupérera. En effet, on a vraiment l’impression que ces deux oeuvres, réalisées coup sur coup, font partie du même univers partagés tant les visuels sont semblables. Mais aussi très différents en terme d’ambiance. Et Pacific Rim le sera encore plus puisqu’il fera office de défouloir suite à l’arrêt du Hobbit qu’il devait réaliser avant que Peter Jackson ne récupère le projet à son compte.

Et c’est loin d’être le seul des projets sur lesquels il a du faire une croix puisque toute une section y est réservé en fin d’ouvrage. J’en avais pris connaissance dans certaines interview auxquelles il s’était livré au cour de sa carrière sans pour autant en voir grand chose. Là c’est chose faite et ce qui n’était à mes yeux que des légendes trouve ici de quoi satisfaire ma curiosité. De ces oeuvres inachevées on y voit Meat Market, Mephisto’s Bridge, La liste des 7, La main gauche de la nuit et enfin son projet ultime: Les montagnes hallucinées. Produit par James Cameron, ce film devait avoir Tom Cruise en tête d’affiche et c’est celui-ci qui se charge de clore cet ouvrage dans une postface. Malheureusement ce n’est pas un livre définitif car Guillermo Del Toro continue de nous faire rêver et quelque part, heureusement.

« CABINET DE CURIOSITÉS » WINS!

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