
« DANS LA BRUME » VS PROCRASTINATION
Le citoyen français est chauvin, mais pas forcément dans tous les domaines. À l’heure où une pandémie mondiale est en train de nous inciter à boycotter les produits importés pour privilégier ceux de notre terroir et relancer notre économie, il est intéressant de constater que le milieu du cinéma est loin de bénéficier du même engouement. Et cela ne date pas d’hier si l’on s’en tient au nombre d’entrées en salle et à l’accueil réservé aux productions françaises et celles étrangères.
Si l’on utilise ces chiffres comme une étude du marché, on remarque que le public hexagonal a un véritable appétit concernant les films de genre qu’il soit fantastique, d’horreur ou encore de science-fiction. Pourtant il est paradoxal de remarquer que lorsqu’une production française se lance dans ce domaine, ce même public n’est pas au rendez-vous. Il alors permis de se demander pourquoi des films issus de la culture de l’imaginaire et réalisés sur notre territoire sont à ce point boudés par leurs propres spectateurs sensés les soutenir.
Est-ce un manque de savoir-faire? Pas vraiment, un nombre non négligeable de films américains ont derrière leurs effets spéciaux des entreprises françaises. Faute d’être exploitées en France, elles offrent leur main-d’œuvre pour embellir des productions étrangères. Nous avons pour nous des artistes talentueux et parmi les meilleurs du marché qui s’exportent, souvent en dessous de leur tarif, faute de pouvoir mettre à profit leur savoir-faire dans notre pays. Même les réalisateurs désertent les lieux pour faire un film aux États-Unis et rafler la mise alors que le même film sous notre bannière aurait été un bide.
Et parfois, ils leur suffit juste de prendre le tunnel sous la Manche pour s’épanouir. Une fois de l’autre côté en Angleterre, ces artistes ont accès à toute une culture qui leur tend les bras et qui le leur rend bien. Il est quand même rageant de voir que quelques kilomètres nous séparent, un chemin de traverse pour ainsi dire, et pourtant ce fossé culturel est bien présent. Les Anglais ont vu naitre sur leur sol rien de moins que Harry Potter pour la littérature, James Bond pour le cinéma et Doctor Who pour les séries télé. Difficile de rivaliser avec ces trois personnages lorsque notre paysage télévisuel est composé de Joséphine Ange-gardien, Camping, Plus belle la vie et bien d’autres productions du même niveau.
Cela n’enlève rien à leur crédibilité puisque ce sont des programmes populaires et dans une société où tout est basé sur l’argent, leur disparition aurait subi la loi du marché pour être remplacée immédiatement par autre chose et ainsi de suite. Le spectateur est donc le seul à pouvoir dicter sa loi aux studios français en leur assurant un retour sur investissement si d’aventure ils leur prenaient l’envie de se lancer dans des films de genre. Ces derniers en France sont comme des comètes, ils apparaissent par cycle lorsqu’un producteur prend un risque avant de retourner dans l’oubli.
Même les productions qui ont du succès n’arrivent même pas à initier une vague dans leur sillage comme Le pacte des loups en son temps ou Les rivières pourpres, La belle et la bête, Blueberry… On leur préfère des productions américaines, même s’il y a un nombre incalculable de Français à leurs génériques (surtout aux effets spéciaux avec la société BUF mondialement reconnu dans le milieu), car cette industrie maitrise son sujet. C’est d’ailleurs la différence majeure entre cette fabrique à Blockbusters et notre façon d’entreprendre le cinéma: pour nous, c’est un art là où pour les États-Unis c’est une industrie rentable.
Cela ne les empêche pas d’avoir des artistes derrière leurs productions même il y a toujours des intérêts financiers à satisfaire à court terme. Après tout si l’on rapporte ça à un domaine plus terre à terre, si vous devez faire refaire la peinture de votre appartement vous êtes plus susceptible de faire appel à un peintre en bâtiment plutôt qu’à un artiste peintre. Là, c’est pareil et c’est de cette crédibilité dont souffre le cinéma français pour nous divertir. Enfin ce que l’on appelle le septième art et où l’on a du mal à en saisir toute la portée et la fibre artistique.
Ce n’est pas avec des films mettant en vedette Franck Dubosc ou Dany Boon que l’on va mettre à profit nos artistes, qu’ils soient dessinateurs de super-héros, animateurs de monstres, costumiers steampunk,… Les comédies dont ces humoristes tiennent la vedette sont d’ailleurs budgétées aux alentours des trente millions minimum là où les films fantastiques tournent autour de cinq à dix millions d’euros. C’est là l’une des principales problématiques. De toute façon, la question de « consommer local » ne se pose pas puisque des films comme Avengers servent à financer le cinéma français selon le système en vigueur dans notre beau pays.
Les producteurs français ne veulent pas prendre de risques avec les productions de genre car elles sont susceptibles de se planter au Box Office. Du coup, on leur accorde un faible budget pour s’assurer au moins un petit retour sur investissement en cas d’échec. C’est là tout le paradoxe puisque c’est l’inverse qui devrait être fait en octroyant un budget conséquent afin de pouvoir laisser le réalisateur à la barre le soin de matérialiser sa vision et son équipe technique de lui permettre d’y parvenir. C’est à ce prix que l’on aura une chance de faire venir le public en masse. Tout se situe dans ce simple paradoxe.
Et justement, Dans la brume est le genre de film qui utilise son scénario pour masquer son manque de moyen. Cet écran de fumée qui est au coeur du film n’est rien d’autre qu’une manière intelligente de camoufler un budget dérisoire, entre huit et neuf millions, que de représenter une menace pour ses protagonistes. Cette brume permet ainsi de masquer la profondeur de champ afin de simuler des espaces vides. Tout comme Timesquare pour Vanilla Sky ou New York pour Je suis une légende, il est impossible de vider Paris de ses habitants et de ses touristes.

Cela semble donc le bon compromis à la limite du huis clos en plein air. Par contre, la durée des quatre-vingt-dix minutes chère aux comédies reste de mise, mais plus dans un souci de maximiser le nombre d’entrées que de vouloir se conformer à un standard établi. Et si, selon la logique et le barème des producteurs français, l’argent alloué à un long-métrage est proportionnel à son humour alors autant vous dire que l’on ne rigole pas beaucoup dans ce film. Voir pas du tout, c’est tout l’inverse puisqu’il s’agit d’un drame familial sous couvert de fantastique personnifié par ce brouillard ambiant.
Malgré l’absence de monstre, The Myst est le film qui se rapproche le plus de cette histoire de par sa noirceur qui est étonnante. L’équipe devait se douter que le public ne serait pas au rendez-vous et de ce fait semble avoir immédiatement fait abstraction de vouloir couper des scènes violentes et des morts de personnages pour le satisfaire. Même la fin n’a rien d’un happy end, mais reste conforme avec le début afin de faire une belle boucle. Le compromis n’était donc pas à l’ordre du jour malgré le « pari » risqué que représente ce type de production dans nos contrées.
Prendre Paris pour cadre de l’action n’était pas vraiment un pari en soi. En tant que ville la plus visitée au monde, elle s’attire un capital sympathie auprès des spectateurs sauf pour ceux qui en connaissent l’envers du décor: les Français. C’est d’ailleurs peut-être pour cela que les Américains filment mieux notre propre capitale que nos réalisateurs. Oui, c’est triste. Mais bon, les personnes en charge sur ce projet atypique se sont appliqués à ne pas tomber dans le cliché de montrer la tour Eiffel à tout bout de champ. Chose que l’on peut apercevoir à travers chaque fenêtre des productions étrangères qui filment dans notre pays.
Le seul cliché sur lequel apparait la dame de fer est celui qui sert à illustrer l’affiche afin de pouvoir vendre le film à l’international. Pour le coup, c’est un peu trompeur puisque ce monument n’apparait nulle part sans compter que le poster est un peu illusoire pour qui ne sait pas de quoi parle cette histoire. Cette construction emblématique donne l’impression d’être une fusée en plein décollage tandis que les personnages semblent vouloir échapper à la fumée que produit cette mise en orbite.
Trêve de moquerie, pour une fois c’est bien dommage de ne pas avoir utilisé cette figure emblématique de la France comme terrain de jeu. Ce monument aurait eu alors une place de choix tant le point de vue aurait été imposant, voire écrasant, dans ce huis clos, bien que limité en termes d’interaction avec la géographie alentour. L’architecture de cette tour aurait permis un récit tout en progression à la verticale là où le film qui nous est proposé est horizontal dans les déplacements de ces personnages. La brume ne cessant de grimper pour gagner toujours plus en altitude, la tour Eiffel aurait pu être une jauge de l’ampleur des événements.
Qui sait, peut-être qu’un jour un remake américain sera fait autour de cette version. D’ailleurs est-ce qu’il faudrait prendre exemple sur leur système pour faire des entrées? Les Américains sont tellement allergiques aux sous-titres qu’ils vont jusqu’à refaire certains de nos films pour éviter d’avoir à les lire. Même s’il y a de fervents défenseurs des versions originales, notre pays est plutôt bon en ce qui concerne le doublage. Là n’est donc pas le problème, mais refaire des films fantastiques américains en les francisant pourrait être une solution pour ramener les amateurs en salle.
Au détriment d’une histoire originale écrite par nos scénaristes, c’est sûr. Il est de coutume de dire qu’un seul scénario entre les mains de dix réalisateurs différents donnera dix films tout aussi différents. Une production française et une autre américaine partageant le même scénario verra naitre deux films différents et deux résultats différents en termes de Box Office en France. Il n’y a pas vraiment de concurrence. C’est un constat. Alors la solution serait-elle d’adapter systématiquement les films comme peuvent le faire les Américains sur leur territoire en se le réappropriant?
Intrigue délocalisée, acteurs recastés en fonction de leur popularité et j’en passe. Pour les studios qui rachètent les droits de nos productions hexagonales, c’est un peu comme s’ils assistaient à une prévisualisation, avec de vrais comédiens au lieu de modèles 3D, avant d’entamer le tournage. Ainsi La totale de Claude Zidi est devenu True Lies de James Cameron, Intouchables a montré qu’il ne l’était pas tant que ça puisque lui aussi a été refait et même Rec qui est un film espagnol a subi un remake nommé Quarantine pour mieux s’adapter à la sensibilité de son public.
Cette décalque se fait parfois au plan près entre le remake et la version originale à tel point qu’un doublage des comédiens aurait couté moins cher. Quoi qu’il en soit et pour revenir au cliché de la tour Eiffel, Romain Duris aura sa dose puisqu’il sera prochainement à l’affiche d’un film centré sur sa création et en étant rien de moins que son concepteur. C’est ici un excellent choix que de l’intégrer au casting, Romain Duris étant une valeur sure qui a fait ses preuves aussi bien en France qu’à l’étranger ce qui lui assure un certain capital sympathie.
Comme je le disais précédemment, dans les films qui sortent du cercle de la comédie le public français a du mal à prendre au sérieux nos comédiens, tout simplement parce que ce sont des humoristes. Ainsi, parmi la liste des acteurs les plus bankables on retrouve Dany Boon, Frank Dubosc, Gad Elmaleh, Djamel Debouze, Florence Foresti,… Même nos dessins animés sont doublés par leur voix (un film comme Hollywoo va d’ailleurs dans ce sens) quand ce n’est pas par celle des footballeurs. Alors oui, en dehors de cette dernière catégorie, ils veulent tous faire leur Tchao Pantin pour décoller l’étiquette d’amuseur public qui leur colle à la peau, mais leur présence suffit généralement à détruire la suspension d’incrédulité du spectateur.
Comment voulez-vous prendre au sérieux Clovis Cornillac dans Eden Log alors qu’il était deux ans plus tôt à l’affiche de Brice de Nice? Ce genre de film d’auteur sous couvert de science-fiction a bien sûr permis de montrer l’étendue de son talent, et l’acteur s’est grandement investi dans le rôle, mais la propension du public à se moquer sera toujours plus grande que celle à s’immerger totalement dans une histoire. Surtout si ses souvenirs cinématographiques sont sollicités pour lui rappeler les faits de gloire de l’acteur qui se trouve à l’écran.
S’effacer devant un rôle n’est pas chose aisée et Romain Duris fait ça à merveille. Connu pour son rôle de Xavier dans la trilogie de Cédric Klapisch, l’acteur s’est pourtant lui aussi essayé à la comédie populaire avec l’Arnacoeur au point d’arnaquer une bonne partie du public grâce à sa performance. Il n’a surement pas utilisé les mêmes méthodes que dans ce film pour séduire sa femme, Olivia Bonamy, mais nul doute qu’elle a dû le briefer avant d’accepter cette incursion dans le cinéma fantastique. Elle qui peut témoigner du peu d’intérêt du public après l’échec de Bloody Mallory.
À l’écran, c’est Olga Kurylenko qui partage sa vie. Un visage loin d’être inconnu puisqu’elle était apparue dans James Bond Quantum Of Solace et aux côtés de Tom Cruise dans Oblivion. Et contrairement à ce que son parcours et son nom laissent présager, elle est bien de nationalité française. C’est là toute l’intelligence de ce casting qui s’appuie sur deux acteurs qui ont fait leurs preuves outre-Atlantique, mais aussi en France afin de donner du cachet aux personnages.
De petits détails comme le tatouage qu’arbore Romain Duris viennent lui donner plus d’épaisseur en plus de créer une connexion avec Barcelone et avec L’auberge espagnole. Le personnage qu’il incarne revient d’ailleurs d’un voyage alors que le film débute. Parti pour trouver un remède à sa fille qui est atteinte d’une maladie rare, il en est surtout revenu avec un Québécois du nom Daniel Roby afin de mettre en scène cette histoire. Ce n’est pas un Français, mais on va dire que l’on reste entre francophones et c’est déjà un exploit.
Sans compter que le cinéaste apporte son savoir-faire à travers un regard très créatif. Il utilise beaucoup de plans zénithaux pour bien situer ses personnages dans l’espace et va même jusqu’à faire usage du plan séquence lors d’une scène de poursuite avec un chien. Cela donne un côté jeu vidéo qui n’est pas sans rappeler The Last of us, à ceci près qu’il serait ici jouable sur Nintendo 64 et son légendaire effet de brouillard pour masquer le manque de puissance de la console.
En tout cas, la réalisation de Daniel Roby ne manque pas de puissance et même si la sensation de vertige est atténuée par la brume lorsque les protagonistes sont sur les toits de Paris, on se surprend à retenir notre souffle comme eux lorsqu’ils plongent dedans. Cette intensité se poursuit tout du long pour une histoire qui va droit au but, mais qui n’échappe pas aux facilités scénaristiques. Ainsi, c’est une sacrée coïncidence de voir qu’il y a deux enfants, atteints d’une même maladie très rare et confinés dans leur bulle, à quelques rues d’intervalles l’un de l’autre.
Un raccourci dans l’intrigue à l’échelle de Paris, qui est le terrain de jeu, pour motiver les personnages à s’aventurer dehors afin de créer des rebondissements. Une intention louable, même si elle arrive première au concours de circonstances, qui est vite pardonné lorsque l’histoire ne tombe pas dans le piège de l’explication à tout va. En effet, il est toujours très tentant de vouloir donner une justification à cette brume comme dans The Myst, mais jamais l’histoire ne cède à la tentation et aux circonstances qui en découlent.
Préférant distiller les indices à travers une veille radio pour laisser le spectateur en décider, jamais les personnages ne cherchent à percer le mystère de ce phénomène. Il s’agit ici d’un drame familial dans la lignée de La Guerre des mondes de Spielberg ce qui veut dire que le couple n’est jamais dépassé par sa fonction comme cela peut être le cas dans les films à grand spectacle. Généralement dans ces derniers, un civil est rapidement mis dans la confidence concernant des secrets d’État au point d’être en dehors de son domaine de compétence.
C’est comme cela que l’on se retrouve avec des héros sortis de leur quotidien pour entrer dans une histoire invraisemblable. L’équipe de foreurs de pétrole menée par Bruce Willis qui se retrouve sur un astéroïde dans Armageddon fait partie de cette catégorie. En même temps, cela permet au spectateur lambda de se dire « pourquoi pas moi? ». Mais il y a aussi des contre-exemples comme le dératiseur de la série The strain qui est totalement dans son élément malgré la fin du monde provoquée par des vampires d’un nouveau genre.
Là, il n’y a rien de tout ça et c’est tant mieux. À chacun de se faire sa propre explication quant à la raison d’être de cette brume verdâtre. Et j’aurais peut-être dû en faire autant à propos du cinéma fantastique en France. Après tout, je ne suis qu’un simple auteur et il ne m’appartient pas d’essayer de comprendre les rouages de cette industrie. Ce n’est pas faute d’avoir essayé d’y voir plus clair dans ce brouillard cinématographique.
« DANS LA BRUME » WINS!