
« DCEASED: UNKILLABLES » VS PROCRASTINATION
Cinéma, comics, jeu vidéo ou encore série télé: pour qu’une histoire donne son plein potentiel, elle doit s’illustrer sur le bon support. C’est comme cela que parfois, un simple produit dérivé devient meilleur que l’oeuvre de base. Ce fut notamment le cas pour Injustice: les dieux sont parmi nous. Développé par Nether Realm Studios, ce jeu de combat dans l’univers DC est un succès d’autant plus inattendu que les jeux basés sur une licence sont rarement des réussites.
De plus, le genre de la baston ne brille pas vraiment pas des scénarios très complexes. Là, c’est le cas. Et pour développer un peu plus le background de ces personnages, DC Comics décide de faire appel à Tom Taylor afin de scénariser des comics qui exploreront l’ellipse de 5 ans avant que Superman ne devienne un dictateur. Tout comme les joueurs, les lecteurs sont au rendez-vous pour suivre ces petits récits de quelques pages. Mais l’engouement est tel que ce comics s’émancipera de son format numérique pour rejoindre les rayons des librairies.
Depuis, Tom Taylor est devenu une valeur sure, au point d’avoir signé un contrat d’exclusivité avec l’éditeur aux deux initiales. De cette collaboration naitra une nouvelle série: DCeased. Conscient du potentiel de ce concept, l’éditeur ne commettra pas la même erreur en proposant directement ce comics en physique. Malheureusement, cette infection zombie à l’échelle mondiale aurait été bien plus en accord avec son sujet en optant pour une diffusion sur internet. En effet, c’est par ce canal que se propage ce virus dans le premier tome.

Plus précisément, c’est Darkseid qui se sert de la connectivité de Cyborg pour répandre l’équation d’anti-vie sur tous les réseaux. Chaque écran retransmet alors cette formule cosmique, transformant les personnes la regardant en des êtres dénués de conscience. Et surtout, affamés de chair fraiche. Humains comme méta-humains, tout le monde est une cible potentielle. Difficile de ne pas y voir là un discours contre le danger de l’exposition prolongée aux écrans, et de ce que cela a fait de la population sur le long terme.
C’est donc une occasion manquée de créer une mise en abime de cette histoire directement à travers son support de diffusion. Une frustration que viendra confirmer DCeased: unkillables, et bien plus encore. J’irais même jusqu’à dire que c’est injuste, puisque ce comics pourrait prétendre à faire le chemin inverse de celui d’Injustice. De là à imaginer une manette entre les mains lorsque j’étais en train de tourner les pages à un rythme effréné, il n’y a qu’un pas que j’ai franchi lors de ma lecture. Et ce, pour mieux voir s’affranchir les zombies de leur case.
Transposer sur console, il y a là un fort potentiel pour en faire un jeu d’action sous couvert de stratégie. Une notion qui pourrait faire toute la différence tant ce genre vidéoludique est loin d’en faire usage. On pourrait même caricaturer en réduisant les joueurs à des êtres aussi décérébrés que les cibles sur lesquels ils tirent. Ce qui fait tout le charme de DCeased, c’est justement le fait que les héros et vilains conservent leur pouvoir une fois mordu. Il y a donc un aspect tactique qui entre en ligne de compte dans la composition d’un groupe de survie.

On pourrait rapprocher cela des tableaux que se plaisent à faire les internautes, à base de personnages de comics parmi lesquels il faut en choisir un certain nombre pour nous protéger de tous ceux que l’on n’aura pas sélectionnés. Il en existe également une variante avec un tarif pour chaque personnage, et une somme à dépenser pour les faire entrer dans nos rangs. Il faut donc bien calculer en fonction des pouvoirs de nos futurs alliés, ainsi que leur éventuelle entente, mais aussi de ceux qui par défaut se retrouveront à nous traquer.
Pour jouer, il suffit juste d’un peu d’imagination et rien d’autre. À tel point que ces rosters sont devenus aussi viraux que les mèmes sur internet. Mais pas autant que l’équation d’anti-vie donc. Cette épidémie poursuit sa progression dans DCeased: unkillables. C’est une sorte de récit parallèle à celui du premier tome, doublé d’une suite à celui-ci dans le sens où la chronologie du récit va plus loin que celle de l’aventure principale. Je dois bien avouer que j’étais un peu sceptique quant à la qualité de cette intrigue annexe, généralement très dispensable.

Mais dès les premières pages, le doute s’est envolé. J’ai immédiatement retrouvé la narration toujours aussi efficace de Tom Taylor, ainsi que son utilisation sans compromis du catalogue de chez DC. Entre autres, Deathstroke, et son pouvoir de guérison qui le positionne d’emblée comme un élément essentiel dans cette guerre contre les zombies. Sauf qu’il n’en sait rien lorsqu’il prend connaissance de l’infection qui se propage au cours d’une mission. Il y perdra la vie, avant de renaitre pour faire face à cette infection.
Jason Todd a quant à lui été ressuscité bien avant cette apocalypse, mais cela ne le rend pas pour autant invincible. Ni insensible face à la découverte des corps sans vie de Batman, Nightwing et Robin. Jadis, il avait endossé cette dernière identité, mais maintenant c’est sous le nom de Red Hood qu’il officie. Un pseudonyme qu’il partage avec le Joker, à qui il doit d’être passé de vie à trépas. Mais sans pouvoir lui rendre la pareille: le clown est mort. Au même titre que Barbara Gordon, une autre de ses victimes.

C’est en compagnie du père de cette dernière, le commissaire James Gordon, que Jason fera cette macabre découverte. Désormais, la Bat-family se limitera donc à ces deux membres, ainsi que Cassandra Caïn et Ace, le chien de Bruce Wayne. Ensemble, ils vont embarquer à bord de la Batmobile en quête d’un refuge. Leur chemin en dehors de Gotham va les conduire jusqu’à l’orphelinat de Blüdhaven où ils vont se joindre aux enfants encore en vie. De son côté, Slade Wilson fera un parcours similaire en allant à la rescousse de sa fille sur le toit d’un immeuble.
Mais un Man-Bat enragé s’invitera à ces retrouvailles. Idem pour le maitre des miroirs, à la différence que celui-ci leur proposera une échappatoire. Mais cette issue de secours sur une ile isolée ne va pas sans un recrutement express. N’ayant pas vraiment le choix, le père et la fille accepteront de rejoindre les rangs de Vandal Savage. Une équipe qui contient également Bane, Deadshot, Captain Cold, Salomon Grundy, Cheetah, Creeper et Lady Shiva. C’est grâce à cette dernière que les deux intrigues parallèles vont se croiser une première fois.

C’est également la confirmation d’une thématique tournant autour de la famille. En effet, Lady Shiva n’est autre que la mère de Cassandra Caïn et comme tout parent, elle fera son possible pour rapatrier son enfant à ses côtés. Mais les liens qui les unissent sont loin d’être aussi chaleureux que ceux que pouvait entretenir Gordon et la défunte Barbara. Elle choisira de rester avec le commissaire et les orphelins avec qui ils ont créé une sorte de famille de substitution. Mais ces enfants ont surtout besoin de pouvoir compter sur des modèles.
Car même si les survivants n’en ont pas l’étoffe, le commissaire se refuse à avouer aux enfants que les héros du monde ont déserté en quittant la terre suite aux événements du premier tome. Ça en dit beaucoup sur la tonalité de Unkillables, plus sombre qu’il n’y parait. Et ça en dit aussi beaucoup sur la qualité d’écriture. La narration de Tom Taylor, et la manière dont il distille ses informations, permet à ce contenu additionnel d’être lu aussi bien après le premier tome, qu’avant. C’est juste l’ordre des réponses à nos interrogations face à l’origine de ce mal qui changera, mais rien qui ne soit vraiment gênant.
En tout cas, plutôt que d’en découvrir les circonstances, Vandal Savage cherchera surtout à y survivre. Cet instinct le poussera à mener des expériences sur le Creeper, immunisé contre le virus. Slade Wilson l’est également, mais se trouve être bien moins docile lorsqu’il s’agit de se laisser ouvrir les entrailles. Il sera sauvé par sa fille qui voit l’avenir, mais qui voit surtout une menace imminente en la personne de Wonder Woman. Du moins, si l’on peut encore la considérer comme une personne vu son aspect zombifié.

L’amazone fera irruption dans leur repaire pour les dépecer. Et ça ne sera pas pour faire progresser la science. Le maitre des miroirs utilisera la sienne, de science, pour évacuer le groupe vers l’orphelinat de Bluedhaven où se retranchent d’autres survivants. Mais dans cette échappatoire, celui qui contrôle ce chemin de traverse va se faire contaminer. Dans le cadre d’un jeu vidéo, c’est l’exemple parfait d’un personnage à avoir dans son équipe, mais qu’il faut également protéger coute que coute tant son pouvoir est précieux.
Un pouvoir à double tranchant qui va se retourner contre eux. Mais entre temps, le groupe formé par le commissaire Gordon et celui de Deathstroke auront mis leur différend de côté pour s’unir dans l’adversité. Non sans enrôler dans leur rang les enfants. Les vilains s’improvisent alors en professeur pour les entrainer. Une direction qui aurait pu paraitre ridicule, mais qui finalement passe plutôt bien. Tellement, que dans le registre scolaire improbable, ça enterre Gotham Academy en quelques pages.

Ce climat propice à l’apprentissage ne va pas sans une idylle naissante, mais celle entre Jason Todd et la fille de Wilson va être interrompue par le maitre des miroirs. Chaque surface réfléchissante devient alors une porte d’entrée. En contaminant Bane à son tour, c’est carrément une brèche dans l’immeuble qui sera créée. Encore une fois, cela illustre la stratégie dont on peut faire preuve lorsque l’on a une manette en main pour commander un groupe ayant des caractéristiques complémentaires.
Les forces de l’un peuvent devenir une faiblesse pour l’autre lors d’un changement de camps. À ce titre, l’anti-vie pourrait très bien faire office d’intelligence artificielle contre le joueur. Mais parfois, la seule issue, c’est la fuite. Celle-ci prendra la forme d’un convoi exceptionnel composé de deux bus scolaires et de la Batmobile en tête de file. Une séquence qui rappelle bien des films de zombie, mais qui en revisite les codes avec une amazone en furie, incontrôlable et impossible à raisonner. Jusqu’à ce qu’une enfant se transforme en Mary Marvel.

Dotée des pouvoirs de Shazam, elle les avait dissimulés tout ce temps afin de ne pas risquer d’être une plaie pour l’humanité si elle venait à être mordue. Une dimension purement vidéoludique lorsque l’on progresse niveau après niveau, tout en essayant de garder ses effectifs intacts. Et surtout une sorte de joker pour le boss de fin. Dans chaque joueur sommeille un tacticien, et il en est de même pour les auteurs. Avant d’écrire une histoire, il faut en imaginer les différentes possibilités, gérer les rapports de force et les échelles de puissance entre personnages…
C’est toute une réflexion sur des cheminements différents qui vont nous conduire à opter pour le plus divertissant. Des rebondissements que Tom Taylor gère à la perfection. Le scénariste prend un malin plaisir à faire évoluer ses personnages en dehors des sentiers battus. Tellement, que l’on se demande si l’on ne préférerait pas suivre les personnages de ce spin-off en guise d’intrigue principale. Mais on ne se prendrait pas autant au jeu en tant que lecteur sans une partie visuelle à la hauteur. D’ordinaire, je n’adhère pas lorsqu’il y a une absence de continuité graphique entre deux tomes.
Mais là, j’ai comme l’impression que l’on y a gagné au change. Trevor Hairsine cède donc sa place à Karl Mostert. Son style est beaucoup plus lisible et propre, en plus de rappeler celui de Frank Quietly. Sans l’égaler, bien sûr. De quoi regretter de ne pas l’avoir eu sur le premier volume. Dans celui-ci, l’artiste y déploie son talent à travers des planches bien agencées et une excellente gestion de l’espace. C’est notamment le cas avec les pouvoirs du maitre des miroirs, et la dimension éponyme, qui appuient cette perspective.

Ainsi, son trait participe grandement à la fluidité de cette lecture découpée en seulement trois chapitres. C’est très court. On aimerait en voir plus, mais en même temps, le récit se permet le tour de force d’être potentiellement indépendant. Cela pourrait être un one shot complètement détacher de DCeased que le récit demeurerait tout aussi compréhensible. Le contexte d’une invasion zombie est suffisamment commun pour que l’on démarre l’histoire au quart de tour.
Ce virus d’anti-vie n’est qu’un prétexte pour dresser le portrait de ces vilains et ces anti-héros. Mais à l’image des personnages qu’ils mettent en scène, ce duo derrière Unkillables se révèle complémentaire. Et ça, c’est digne d’une partie en coopération. Ne reste plus que le lecteur devienne un joueur afin de se joindre à eux. À défaut d’avoir raté une mise en abime autour du danger des écrans avec le format numérique, l’histoire pourrait prendre une dimension méta en illustrant ce cliché qui veut que les jeux vidéo rendent violent.
« DCEASED: UNKILLABLES » WINS!