
« DRACULA UNTOLD » VS PROCRASTINATION
Après avoir été immortalisé par Bram Stocker, Dracula a eu bien des vies. Il s’est adapté pour survivre au fil des décennies jusqu’à nos jours. Capable de prendre différentes formes comme une brume, une nuée de chauves-souris ou encore un loup, ce vampire originel s’est illustré sur autant de supports, dans bien des genres. Mais son visage le plus connu reste celui de Christopher Lee qui l’a incarné dans les films de la Hammer. Avant lui, c’est Bela Lugosi qui lui avait prêté son jeu sous la bannière des Universal Monsters.
Des productions toutes plus commerciales les unes que les autres, jusqu’à ce que le personnage accède à la consécration grâce à Francis Ford Coppola. Le célèbre cinéaste en livre une version fidèle qui installe définitivement le vampire dans le paysage culturel. Depuis, le comte est devenu une marque qui s’est déclinée en prenant toujours plus de liberté sur le roman d’origine. Il devient ainsi l’antagoniste principal du spectaculaire blockbuster Van Helsing, aux côtés du loup-garou et de la créature de Frankenstein.

Ces monstres, il les avait déjà côtoyés à l’occasion de crossovers dans les années 30. Mais malgré son statut de tête d’affiche, il n’en demeure pas moins un méchant. Et s’il est à l’origine de toute une lignée de suceur de sang, ce mal a aussi suscité bien des vocations de chasseur de vampires. Dont le fameux Van Helsing. Ainsi, le comte devient un invité de marque dans la série Buffy contre les vampires. Mais seulement le temps d’un épisode, celui qui ouvre la cinquième saison. Il n’est même pas digne de représenter une menace sur une saison entière.
Une perte d’influence que l’on pouvait déjà constater dans le comics Tomb of Dracula, qui a vu naitre Blade. Tellement, qu’il faudra attendre la fin de la trilogie cinématographique du daywalker pour le voir en tant que némésis ultime. Une version du saigneur des ténèbres loin d’être à la hauteur de sa légende, mais pas pire que le revival qu’il a subi lors du nouveau millénaire. Dracula 2001 l’aura vu abordé le genre du slasher et Dracula 3000 celui de la science-fiction avec tout autant de ridicules. Ces tentatives de ressurection n’auront fait que planter les derniers clous dans son cercueil. En plus du manque de sang, des rayons UV, les balles en argent, la décapitation ou le pieu dans le coeur, il faut donc ajouter les mauvaises adaptations à la liste des faiblesses de ces créatures nocturnes.

Pourtant le vampire aura su se réinventer loin de ses oeuvres éponymes, loin de son folklore, loin de ceux qui partagent sa culture. Et pour cause, c’est dans le manga Hellsing. Un retour sur le devant de la scène au pays du soleil levant, ironique pour un être qui craint la lumière du jour. Toutefois, ça ne sera pas en tant que méchant, ni en tant que héros d’ailleurs, plutôt en anti-héros. C’est sous le nom d’Alucard qu’il se présentera, un anacyclique de Dracula. Après autant de versions, il était bien difficile de raconter quelque chose d’inédit sur ce mythe vampirique.
C’est pourtant ce que promet le titre Dracula Untold. Un long-métrage censé poser les fondations de ce qu’Universal appelle le Dark Universe. Un univers étendu conçu pour concurrencer Marvel Studios sur son propre terrain. Pourtant, parmi toutes ses tentatives opportunistes pour recopier cette formule à succès, Universal est bien la seule firme à pouvoir le faire en toute légitimité. En effet, sa gamme d’Universal Monsters était déjà un lieu de rencontre pour son bestiaire. Ainsi que le premier véritable univers partagé au cinéma.
Ce qui aurait donc dû être vendu comme un retour aux sources, pour discréditer Marvel, a alors eu l’effet inverse. Cet échec commercial n’a fait que donner plus d’importance à la Maison des idées. Cependant, Universal Studios n’en manquait pas, d’idées, pour revigorer ce croquemitaine. En faire un anti-héros en était une plutôt bonne, et pas si incongrue que ça si l’on y regarde de plus près. Après tout, Dracula est à l’origine de l’inspiration de Batman en tant que créature nocturne, lui empruntant une bonne partie de son imagerie, jusque dans son château gothique.

L’homme chauve-souris s’est également mesuré au vampire le temps d’un crossover de la gamme Elseworld. S’inspirer du Dark Knight était donc un juste retour des choses pour partir sur de nouvelles bases. Pour mieux l’intégrer à un futur groupe parmi lesquels auraient dû compter l’homme invisible, la créature de Frankenstein, le docteur Jekyll et mister Hyde, et bien d’autres. Là encore, cette réunion peut rappeler celle des Avengers, mais cette composition atypique évoque surtout La ligue des gentlemen extraordinaires d’Alan Moore.
Combattre le mal par le mal était donc une raison tout à fait valable pour réunir ces créatures. Mais dans une industrie où Marvel peut être considéré comme le diable par ses concurrents, Universal ne fait pas office de contre-pouvoir. Au contraire, ils perdent leur âme, autant que des êtres diaboliques puissent en avoir. Ce qui faisait leur particularité, à savoir un univers sombre, gore, violent, torturé, est ici relégué au second plan pour reprendre les codes des super-héros. Et ces derniers ont beau avoir des fêlures et une part d’ombre, ils n’en demeurent pas moins tout public.

Mais surtout, s’ils ont autant de succès auprès du public, c’est grâce à un savant mélange des genres. Une formule que Marvel applique à chacune de ses productions. Ainsi, chaque héros s’illustre à travers un genre différent: le thriller politique pour Captain America et le soldat de l’hiver, la science-fiction pour Les gardiens de la galaxie, les arts martiaux pour Shang-Chi et la légende des dix anneaux, l’espionnage pour Black Widow… Cette pluralité, sous couvert de figures héroïques, permet de réunir des spectateurs d’horizons divers. Et donc d’élargir son audience.
Quant à l’aspect feuilletonnant, il s’occupe d’amener ces différents publics à sortir de leur zone de confort pour découvrir les aventures des autres licences. Une condition sine qua non si l’on souhaite suivre le fil rouge, les métrages ayant des répercussions les uns sur les autres. Le Dark Universe n’aura même pas le temps de fidéliser son public. Ni même d’instaurer une forme de continuité puisque cet épisode pilote qu’est Dracula Untold n’aura jamais de suite. En effet, en s’appropriant le genre du super-héros, Universal fait un mauvais calcul.
Le studio dénature l’ambassadeur de son univers étendu sur l’autel d’une mode passagère. Leur crédo, c’est l’horreur, et c’est précisément ce genre qui aurait dû se mêler à d’autres pour un mélange détonant. Ici, en l’occurrence, la fantasy et ses multiples déclinaisons étaient toutes désignées. Dès la scène d’introduction, tout va dans ce sens. Vlad Tepès nous y est présenté en tant qu’empaleur sur le champ de bataille. La réalisation use alors du Bullet time pour iconiser le guerrier derrière la légende. Une esthétique qui rappelle 300, et plus globalement les jeux vidéo.

Cette fusion ne sera jamais aussi poussée que dans Le roi Arthur: la légende d’Excalibur de Guy Ritchie. Pourtant, Dracula s’est aussi illustré dans l’industrie vidéoludique via la série des Castlevania. Il y avait de quoi puiser dans cette source d’inspiration pour des visuels épiques. Ce potentiel sera à peine effleuré lors de certaines scènes. Des séquences qui valent surtout par le charisme de Luke Evans dans la peau du vampire. Moi qui n’ai jamais vraiment apprécié son jeu d’acteur, je l’ai trouvé plutôt convaincant.
Ce choix de casting est surtout intéressant car sa présence évoque directement la trilogie du Hobbit. Dans ce monument de la fantasy, il y campe un archer protégeant son village du dragon Smaug. Une créature légendaire qu’il s’approprie puisqu’ici, le titre de Dracula est traduit par « le fils du dragon ». Son armure affiche d’ailleurs le monstre ailé de manière stylisée ce qui participe beaucoup à la classe du personnage. Cette symbolique en fait une sorte d’Aragorn et son entourage de fidèles compagnons rappelle fortement une certaine communauté.

À regret, les allusions au Seigneur des anneaux n’iront pas plus loin. En lieu et place, le script s’applique à reproduire le cheminement de Batman Begins. L’histoire commence donc alors que Dracula n’est pas encore le suceur de sang que l’on connait. C’est donc à son origine que l’on assiste, ce qui induit le fait de se passer de personnage comme Mina Harker, Van Helsing ou encore de ses trois mariées. Là, il n’en a qu’une, ainsi qu’un fils. Mais son rôle de mari et de père va vite se retrouver éclipser par celui de roi et de guerrier.
Le récit s’ancre alors dans une croisade contre l’Empire ottoman lorsque le leader de ce dernier lui réclame mille enfants de son peuple pour agrandir sa propre armée. Un tribut bien lourd à payer pour celui qui fut jadis enlevé au même âge, dans les mêmes circonstances. Une pratique qui rappelle l’échange d’Orion et Mister Miracle pour faire la paix entre Apokolips et New Genesis dans la mythologie de DC Comics. Là, cette paix va voler en éclat suite à son refus de coopérer lorsque son fils, Ingeras, va venir s’ajouter aux effectifs pour un total de 1001 enfants à livrer.

Cette opposition va entrainer une guerre dont il ne peut sortir vainqueur. Sauf si Vlad s’aventure dans les montagnes de son territoire pour y solliciter l’aide du démon qui y rôde. Une créature qui ne ressent pas une once de peur chez son visiteur, contrairement à ceux qui lui servent de repas. Incarné par Charles Dances, son personnage était censé être l’empereur romain Caligula. Une identité qui aurait dû être révélée dans une suite, et qui restera donc sans réponse dans le cadre de l’histoire.
De par son aspect physique, c’est un autre nom m’ait venu à l’esprit: Nosferatu. Il s’agit d’un suceur de sang issu d’une adaptation non officielle du roman de Bram Stocker. L’inclure dans Dracula Untold en tant que vampire originel aurait permis de s’accaparer ce plagiat en faisant de Vlad une pâle copie. Une mise en abime ironique qui aurait inversé la position de ces deux figures vampiriques, jusqu’à leur affrontement dans une séquelle reprenant la trame du roman. Quoi qu’il en soit, c’est un véritable pacte faustien qui est conclu entre les deux parties.

Pour sauver son fils et son peuple, Vlad accepte alors de se voir investi des pouvoirs du vampire. Mais pas sans contrepartie. Au bout de trois jours, ses capacités surnaturelles lui seront retirées à la condition qu’il n’ait pas assouvi la soif de sang qui va inévitablement le tirailler. Dans le cas contraire, il sera maudit pour l’éternité et la créature avec qui il a pactisé sera libérée de sa prison. Commence alors un voyage à la découverte de ses nouvelles capacités. Un véritable éveil des sens lorsqu’il reprend connaissance, dans la plus pure tradition des comic book movies.
Impossible de ne pas penser à Spider-Man lorsque Vlad voit ses sens aiguisés, tout comme ses canines. Sa vision est également plus affutée à l’image de celle de Daredevil. Fort de ses aptitudes décuplées, Vlad teste ses pouvoirs sur le champ de bataille. C’est une véritable force de la nature qui se déchaine sur l’armée qui tentait de prendre d’assaut son château. Malheureusement, la mise en image peine à donner de l’ampleur. Pire, la réalisation s’embarrasse de mouvements de caméra à base de reflet sur une lame pour couvrir l’action en plan séquence.
Une bonne idée sur le papier pour dynamiser des séquences de bataille déjà vues et revues, mais qui auraient été préférable au résultat à l’écran. Dans un même ordre d’idée, et toujours dans le genre vampirique, ces effets d’esbroufe rappellent Ultraviolet. Ce qui n’est donc pas un compliment. Pas étonnant si par la suite l’armée adverse décidera de se bander les yeux pour aller au combat. Scénaristiquement, c’est pour éviter d’être impressionné par les pouvoirs de Dracula, techniquement, c’est surtout pour ne pas subir ces maladresses visuelles.

Des défauts qui pèsent sur la mise en scène de Gary Shore, dont il s’agit ici du premier film. Pour autant, cela ne s’étend pas à l’ensemble du métrage. Toutefois, il manque clairement un cinéaste confirmé avec une vision pour conter cette histoire. Un artiste de la trempe d’Alex Proyas qui était affilié à ce projet du temps où il s’appelait encore Dracula Year Zéro. Sam Worthington devait alors incarner le rôle-titre sous la direction du réalisateur de The Crow et Dark City. Deux chefs d’oeuvres, à l’esthétique gothique du plus bel effet, qui laissent songeurs quant à ce qu’aurait pu donner Dracula Untold avec ce savoir-faire.
C’est d’autant plus frustrant que le scénario est vraiment bon. Il figurait d’ailleurs sur la black list de 2006 recensant les meilleurs scripts n’ayant pas encore été produits. Malgré tout, cette origin story, signée par Matt Sazama et Burk Sharpless, n’a pas été racontée dans sa totalité. Avec un montage d’à peine une heure et demie, nombre de scènes sont passées à la trappe. Notamment celles de Samantha Barks et Charlie Cox qui sont au casting, mais ont été coupées du final cut. Une ingérence de la part du studio qui a décidé de construire son univers partagé en cours de production.

Cela augurait donc d’un film plus long, mais pas forcément meilleur. Malgré cette durée réduite, Dracula Untold demeure un long-métrage efficace. Le parcours du personnage s’applique à le mettre à l’épreuve, à mettre à l’épreuve cette soif de sang qui le tiraille. Jusqu’à ce qu’il y cède suite à la perte de sa femme. C’est à cet instant qu’il décide de céder à ses pulsions. Un côté obscur auquel il succombe et qui lui donne des points communs avec un certain Dark Vador. En tout cas, cette transformation aurait pu être bien plus concrète si sa femme avait eu plus de développement, à l’instar de Padmé.
Néanmoins, il retrouvera la réincarnation de son amour défunt à l’occasion d’un épilogue dans le présent. Une fin ouverte qui aurait pu faire office de scène post-générique selon la formule popularisée par Marvel Studios. Mais à défaut d’avoir fait de Dracula le membre fondateur de leur Dark Universe, il y a là un excellent film qui se démarque de ses prédécesseurs. Rétrospectivement, c’est cette histoire qui permet de comprendre l’homme derrière la légende. En mettant sous le feu des projecteurs l’humain, pour mieux mettre en valeur ses zones d’ombres.
« DRACULA UNTOLD » WINS!
