« BABYLON AD » VS PROCRASTINATION
Certains films sont étudiés dans les écoles de cinéma en leur qualité de chef d’oeuvre, mais d’autres y ont tout autant leur place malgré leur très mauvaise réputation. Les premiers permettent de décortiquer ce qui fonctionne à l’écran tandis que les seconds cumulent les erreurs qu’il ne faut surtout pas faire. En cela, un long-métrage jugé raté sera toujours riche d’enseignements, peut-être même plus qu’un film considéré comme culte par la critique. Mais cette dernière n’a pas toujours été au rendez-vous et le temps a prouvé à de multiples occasions qu’une production pouvait gagner en valeur avec les années.
Parfois trop en avance sur son époque ou réévalué à la hausse en fonction de sa place dans la carrière d’un réalisateur, depuis reconnu, de nombreux films ont ainsi pu être réhabilités. Alien 3, Waterworld, Apocalypse now, Star Wars épisode 4: un nouvel espoir ou encore Blade Runner, ces oeuvres ont été accouchées dans la douleur par leur metteur en scène avant de se frayer un chemin jusqu’au public. Ils ont vécu un parcours chaotique sans pour autant que cela ne transparaisse à l’écran. Et c’est sur ce genre de production qu’un cinéaste se forme, en se confrontant à la réalité d’un tournage.
En cela, l’école de cinéma est une chose théorique là où l’école de la vie plonge un artiste dans la pratique. Un réalisateur y apprend à ses dépens que le sans-faute n’existe pas, qu’il va devoir lutter pour imposer sa vision auprès des exécutifs. C’est un combat permanent de l’élaboration de l’histoire jusqu’à la salle de montage pour sauvegarder un semblant de cohérence. À ce titre la note d’intention de Jaco Van Dormael à propos du scénario de Mr Nobody est plutôt éloquente:
« J’aime lire les scénarios avant qu’ils ne deviennent un film. Je vous donne celui de Mr Nobody à rêver. Avant qu’il ne pleuve le jour où il est écrit « ciel bleu ». Avant de prendre les ciseaux pour rentrer dans le budget. Avant que le soleil ne se couche inexorablement sur les heures supplémentaires. Avant de plonger mes mains dans le joyeux bouillonnement du réel. Avant de faire semblant que ce qui m’a échappé a été voulu. Avant que ce scénario ne s’enrichisse de réalité, d’êtres humains, de vrais visages. Avant qu’il ne prenne corps à l’aide de rails, d’ampoules électriques, de planches et de clous. Ce jour-là, il cesse d’être mille. Il n’est plus rêvable. »
Bien des cinéastes déchantent une fois sur le plateau avec leur script en guise feuille de route. S’évertuant à convertir les mots en image, à faire en sorte que les répliques ne sonnent pas faux… Il faut savoir s’adapter, jongler avec les conditions, qu’elles soient d’ordre budgétaire ou climatique, et s’en remettre à son instinct. C’est une chose de lâcher prise et cela s’acquiert avec l’expérience. Avec les mauvaises expériences surtout.
Même un cinéaste de la trempe de Guillermo Del Toro a appris a accueillir ces moments perturbateurs comme une bénédiction. Il laisse de la place aux accidents afin de donner plus d’authenticité et de spontanéité à son cinéma. Cela s’en ressent et il a fait sien le dicton qui dit que la créativité nait de la contrainte. Cette dernière peut prendre différentes formes, mais au final elle pousse toujours un artiste à se surpasser. Soit sur le moment pour sauver ce qui peut encore l’être, soit sur son prochain film si l’expérience précédente ne l’a pas dégouté du métier.
Mais tous ces noms prestigieux le sont devenus en se confrontant à l’adversité, en gagnant leurs galons. Ils deviennent ainsi des exemples à suivre comme ce fut le cas pour Matthieu Kassovitz qui avait à coeur de devenir le nouveau Spielberg. Il a même eu l’occasion d’être dirigé en tant qu’acteur par le maitre en personne sur Munich en 2005 et de le voir à l’oeuvre. Une rencontre qui a surement démystifié le célèbre réalisateur aux yeux du français puisque sur le plateau de Babylon AD, il clôturera l’un de ses discours par l’affirmation suivante:
I am not Steven Spielberg, I am not Orson Welles. I am fucking Matthieu Kassovitz.
Un aveu qui sonne surtout comme une prise de conscience pour celui qui prononce ces mots dans le making of non-officiel réalisé par François-Régis Jeanne. Ce qui devait être le témoin d’un tournage, pour alimenter l’habituelle langue de bois des matériels promotionnels, s’est vite transformé en pièces à conviction pour rétablir un semblant de vérité. Durant un peu moins d’une heure, on y suit les déboires d’une équipe devant faire face à toutes sortes d’imprévus, de retards, de catastrophes, de déceptions…
Loin d’être impartial, ce document-vérité, autant qu’il puisse l’être en portant le titre de Fucking Kassovitz, est indissociable du film dont il raconte le cheminement. Il faut le voir comme un prolongement afin d’avoir un point de vue sur les événements qui se déroulent hors champ. Pourtant le réalisateur n’en est pas à son coup d’essai lorsqu’il se lance dans l’aventure. Au contraire, au moment des faits, il a son actif cinq films dont le dernier en date est une production américaine produite par Robert Zemeckis et avec une flopée de stars au casting.
Un film d’horreur intitulé Gothika et qui fut tellement une bonne expérience que le cinéaste décidera de remettre le couvert aux États-Unis. Sauf que là, c’est plutôt dans les coulisses que l’horreur s’est manifestée. Celle-ci culmine dans ce documentaire lorsque l’on voit Matthieu Kassovitz en pleine remise en question, après une altercation avec un membre du département artistique, se demandant alors à quel moment il avait pu foirer, pour reprendre ses mots. Mais lorsque l’on se penche sur les prémisses et la nature même du projet, on peut déjà voir que les fondations sont sujettes à problème.
Après avoir adapté Les rivières pourpres de Jean Christophe Grangé, c’est donc vers un autre écrivain français que le cinéaste se tourne en la personne de Maurice G. Dantec. Mais contrairement à cette première adaptation dans sa filmographie, l’auteur ne prend pas part au travail d’écriture pour transposer son propre roman, intitulé Babylon Babies, en scénario. C’est Kassovitz qui s’y colle, avec l’aide de Éric Besnard et Joseph Simas, pour condenser plus 500 pages en moins de deux heures de films. Une tâche dont il s’était déjà acquitté sur Les rivières pourpres, mais dont le contenu était très différent.
En effet, les deux auteurs ont pour habitude de mettre en scène les mêmes personnages d’un roman à un autre dans une sorte d’univers partagé. Mais tandis que Les rivières pourpres marquait la première apparition du commissaire Pierre Niémans, le Toorop de Babylon Babies a déjà vécu des aventures dans le premier roman de l’écrivain: La sirène rouge. Des personnages de son deuxième roman, Les racines du mal, viennent également se joindre à la fête. En choisissant de n’adapter que Babylon Babies, Matthieu Kassovitz se prive volontairement du background que les personnages s’étaient forgé dans les deux précédentes histoires de l’auteur.
Et le changement de titre ne viendra pas faire oublier que les protagonistes manquent d’épaisseur. À cela, il faut ajouter le manque de contexte géopolitique afin de pouvoir appréhender cette histoire dans son ensemble. Ce qui ne posait pas de problème avec un thriller se déroulant dans le fin fond de la France, et à notre époque, devient tout de suite beaucoup plus problématique avec un road trip de science-fiction. La plupart des éléments qui définissaient ce futur ayant été posés à plat dans les deux premiers romans de l’auteur, celui-ci a poursuivi son oeuvre là où le film se devait de les présenter aux spectateurs.
D’entrée de jeu et devant un tel constat, il est donc inutile de comparer le long-métrage au roman dont il s’inspire. À part pour éviter d’être taxé de plagiat, c’est à se demander si ça en valait la peine d’acquérir les droits de ce roman si c’était pour arriver à ce résultat. Par contre, il est beaucoup plus intéressant de rester dans le milieu du cinéma en regardant ce qu’une production au sujet similaire a pu faire. Sorti deux ans plus tôt en 2006, Children of men est lui aussi une adaptation d’un roman éponyme avec Alfonso Cuaron derrière la caméra.
Avant même de se pencher sur les similitudes de chaque film, il est flagrant de constater que les deux titres ont en commun cette idée d’enfant attendu comme le messie. Du moins, cela aurait pu être le cas si Babylon Babies avait été conservé pour son passage au cinéma. Remplacé par AD, pour Anno Domini, on conserve tout de même cette notion religieuse propre à une naissance. L’événement en question sera donc au centre de toutes les attentions et un homme sera chargé d’escorter la mère porteuse en lieu sûr, non sans avoir quelques obstacles pour mener sa mission à bien.
Dans les fils de l’homme, le mercenaire en question est joué par Clive Owen qui est à l’opposer de Vin Diesel, que ce soit en termes de physique que de jeu d’acteur. Pourtant lorsque l’on regarde le choix initial de Matthieu Kassovitz pour incarner Toroop, il y a déjà beaucoup plus d’airs de ressemblance. En effet, ce n’est nul autre que Vincent Cassel qui devait camper le personnage avant que les producteurs de la 20 Century Fox n’imposent la star de Fast and Furious en tête d’affiche. Et lorsque le bonhomme est dans les parages, on peut être sûr que sa participation, à l’image de son pseudonyme, n’impliquera aucune forme de subtilité ou de poésie.
Tout comme Clive Owen, Vincent Cassel dispose d’un charisme qui ne s’impose pas par la force, mais uniquement par sa présence. Son absence au profit de l’arrivée de Vin Diesel change de ce fait la sensibilité et l’ambiance du film. Son interprétation est également à des lieux de la première transposition du personnage sous les traits du français Jean-Marc Barr dans l’adaptation de La sirène rouge par Olivier Megaton. Le cinéaste rejoindra ensuite l’écurie de Luc Besson et Matthieu Kassovitz aurait dû lui aussi s’allouer les services du producteur français plutôt que de dépendre du système américain.
Pourtant, même sans avoir eu recours à cette structure, Babylon AD dans son ensemble est typique d’une production Europa Corps. Tout y est, de la typographie du titre dans le style de Banlieue 13 au Yamakasi qui sautent dans tous les sens. Le parkour est d’ailleurs devenu un cliché assez récurrent dans les films français pour illustrer les cités et toucher le plus grand nombre de jeunes possibles. Hélas, cet effet de mode dessert le film en lui donnant cette identité typique des productions Bessoniennes. Au coeur de l’intrigue, ce groupe est envoyé par une secte d’évangélistes et est chargé de soustraire Aurora, incarnée par Mélanie Laurent, à Toorop et ce même au péril de leur vie.
Après en avoir tué un, Vin Diesel aurait peut-être dû finir le travail et faire un carton afin de s’assurer que l’on ne retrouve plus ce genre de cabrioles dans aucun film. Du reste, l’allure générale ne va guère plus loin qu’un Lock Out au niveau des décors même si quelques-uns sortent du lot. On retiendra notamment le couvent dans des grottes troglodytes sans pour autant que l’on en voit l’intérieur. Idem pour ce court plan où un train passe par-dessus un cratère grâce à un pont qui le traverse de part en part, et d’où l’on peut apercevoir des centrales électriques autour. Même si c’est du 100% numériques, c’est assez bien composé et cela donne envie d’en voir plus.
Pour le reste, la pauvreté des décors n’a d’égale que la classe sociale qu’ils sont censés représenter. Dans la logique des choses, faire un long-métrage se déroulant dans un futur post-apocalyptique devrait couter moins cher qu’un film ayant recours à la construction d’une architecture complexe en guise de paysage. Après tout, le monde actuel est suffisamment en ruine pour se permettre de le filmer directement plutôt que d’agencer des morceaux de béton ici et là pour simuler un semblant de chaos et de destruction. Et bien ce film est la preuve du contraire. Tout cela manque de vie, et ce n’est pas parce que la population qui habite ce récit est sur le déclin, c’est plus une sorte de vide ambiant.
La faute à un budget plutôt limité, les Américains ne finançant le projet que s’il est PG13, l’équipe du film est délocalisée et le monde imaginé prendra alors vie en Europe de l’Est. Économiquement parlant, en tournant à l’étranger un budget de 60 millions de dollars donne l’allure d’un film à 100 millions. Pourtant, Babylon AD semble avoir couté à peine 10 millions… Et encore, vu le making of c’est très étonnant qu’il ait réussi à faire un film avec tout ce merdier. C’est même un exploit. Le documentaire Fucking Kassovitz de François-Régis Jeanne se propose d’ailleurs de faire un tour d’horizon de cette débâcle pour contrebalancer les images des coulisses officielles.
Entre les croquis des décors que le réalisateur n’obtient pas, ce qui a pour effet de ne pouvoir prendre aucune décision et implique un retard dans leur construction, une explosion sur le set qui se déclenche trop tôt à cause d’une interférence téléphonique, des accessoires du sous-marin qui se casse la gueule lors d’une simple visite de routine, la neige qui n’est pas au rendez-vous…On dit qu’il faut laisser de la place à l’imprévu, à l’improvisation, mais là c’est l’inverse. Le script a à peine la place pour s’exprimer devant ce parcours d’obstacles ambulants. Des situations absurdes également liées au planning avec le tournage d’une scène dans deux semaines alors que le décor en question prend trois semaines à construire.
S’en suit une valse de scénaristes, dont le ghost writer David Glatz, pour restructurer le récit, le réalisateur de seconde équipe Kenny Bates qui prend le contrôle du film, la compagnie d’assurance qui les surveille suite aux dépassements de budget. Pourtant, à titre comparatif, ce dernier n’est guère supérieur par rapport à celui des Fils de l’homme. Alfonso Cuaron a plutôt eu l’intelligence de ne pas miser sur une super star, mais plutôt sur un casting solide pour soutenir Clive Owen: Julianne Moore, Michael Caine, Charlie Hunnam… Des acteurs confirmés qui permettent à l’histoire de se dérouler sans qu’ils n’interfèrent avec les autres aspects de la conception du film.
Une note internationale sera également visible à travers Michelle Yeoh (pour un rôle spécialement créé pour l’occasion) et Mark Strong et même si Kassovitz a ramené avec lui des poids lourds du cinéma français comme Gérard Depardieu (à croire qu’il s’est expatrié en Russie pour préparer ce rôle), Charlotte Rampling, Lambert Wilson, c’est bien Vin Diesel qui s’accapare à lui tout seul une bonne partie du budget. Ses prétentions salariales ne laissent plus grand-chose pour donner vie à l’univers futuriste de Maurice G. Dantec, mais profitent d’une visibilité grâce à la notoriété de la star.
Une stratégie qui vaut autant que celle d’avoir Vincent Cassel, dont la renommée est forcément moindre pour une portée beaucoup plus confidentielle en termes de publicité en dehors de nos frontières, mais qui lui aurait offert le budget nécessaire pour matérialiser sa vision. Et là, on ne la retrouve nulle part. Pas plus qu’il n’y a de traces de son style visuel à tel point que ce film aurait pu être réalisé par n’importe qui. Babylon AD aurait pu être réalisé par n’importe quel yesman à la solde d’un studio. C’est impersonnel au possible et c’est à se demander s’il n’aurait pas été préférable que Vin Diesel réalise le film lui-même.
Une remarque qui n’a rien d’anodine puisque l’interprète de Dominic Torreto a débuté sa carrière en mettant en scène son propre court métrage Multi-Facial, faute de propositions de la part de la profession. Il joue également dedans tout comme dans son premier film intitulé Stray (pas si différent de La haine dans son approche de la banlieue) qui a eu les honneurs d’être projeté au festival de Sundance. Il ne recevra aucun prix, mais sera néanmoins remarqué par l’illustre Steven Spielberg qui lui écrira un rôle dans Il faut sauver le soldat Ryan. Récemment, l’illustre réalisateur lui a d’ailleurs fait part de sa façon de penser.
Quand j’ai écrit ton rôle pour Il faut sauver le soldat Ryan, j’employais bien sûr l’acteur, mais j’essayais aussi de soutenir le réalisateur en toi, et tu n’as pas assez réalisé de films. C’est un crime pour le cinéma et tu dois retourner t’assoir dans la chaise du réalisateur.
On ignore si Steven Spielberg ne faisait pas plutôt allusion aux productions que sont les XXX ou la saga Fast and Furious en guise de crime pour le cinéma, surtout après avoir pris conscience du monstre qu’il avait créé en lui octroyant une place dans un de ses films. Mais tout comme le célèbre cinéaste a pu le faire dans le domaine de la réalisation, Vin Diesel a changé la face de cette industrie. Mais pas forcément en bien en imposant cette image d’action man décérébré. En tout cas, il est impossible de ne pas prendre la grosse tête après une telle déclaration et nul doute que Vin Diesel n’avait pas besoin de cela pour se sentir supérieur face à Matthieu Kassovitz.
Malgré cet attrait pour le cinéma commercial dont se réclame Babylon AD, tous deux ont en commun d’avoir participé au versant artistique de la filmographie de Spielberg. Dans des seconds rôles, certes, mais à l’opposé de blockbusters comme Jurassic Park ou encore Indiana Jones, Il faut sauver le soldat Ryan et Munich font partie d’un cinéma plus sérieux saupoudré de faits réels. Ce point commun ne les rapprochera pas pour autant et une tension s’installera entre les deux hommes tout au long du tournage. Et aussi tout-puissant que puisse l’être un réalisateur lorsqu’il est aux commandes, celui-ci peut vite être relégué au rang de simple exécutant si sa star s’avère également impliquée dans la production.
En effet, One Race Films, fondée par Vin Diesel en 1994, fait également partie des sociétés ayant participé au financement. À partir de là, la moindre mésentente relève d’une lutte de pouvoir entre les deux hommes. Et ce n’est pas parce que Kassovitz ne rivalise pas avec le body-builder sur le plan physique qu’il va pour autant s’écraser. Connu pour être une grande gueule, cela rend la collaboration difficile et cette discorde trouve ses racines dans un événement antérieur au tournage. Ainsi, même si le documentaire Fucking Kassovitz montre une certaine version de ce qui a pu se passer en faisant passer le français caractériel pour un électron libre luttant contre le système américain, la vérité semble être toute autre.
Récemment, les langues se sont déliées et c’est le chorégraphe des combats, Alain Figlarz, qui a été témoin de la naissance de cette animosité. Lui qui prenait pourtant le parti du réalisateur dans ce docu-vérité, livre ici un tout autre point de vue en la faveur de Vin Diesel. Ainsi, en amont du tournage et alors que rien ne l’y obligé, ce dernier s’est investi au-delà de ce qui était convenu pour bosser sur les chorégraphies. Plein de bonnes volontés alors qu’il n’était censé arriver que trois semaines plus tard comme cela était convenu, la star aura le malheur d’arriver avec trois heures de retard à une répétition ce qui mettra en rage Kassovitz.
Un comportement sanguin qui s’exprimera par le jet d’une caméra en direction de sa star et des insultes. La riposte ne se fait pas attendre sans pour autant se rabaisser au niveau du réalisateur puisque par l’intermédiaire de ses avocats, l’acteur fait part de sa volonté de respecter scrupuleusement son contrat. Ni plus, ni moins. Son implication se limitera désormais au strict minimum selon ce qui avait été déterminé au préalable dans son contrat. Voici comment Mathieu Kassovitz a réussi à se mettre à dos son principal collaborateur tout en devant composer avec lui pour la majorité des plans à tourner.
Si Kassovitz avait fait preuve d’un peu plus de respect, Vin Diesel, en sa qualité de producteur et du pouvoir décisionnaire que cela implique, aurait eu l’influence nécessaire pour gérer les problèmes lorsqu’ils se seraient présentés. Car oui, même s’il n’y avait pas eu cette altercation entre les deux hommes, il y aurait eu des problèmes. C’est dans l’ordre des choses d’une production de plusieurs millions. Et Vin Diesel aurait été un sérieux atout pour faire pression sur les personnes concernées afin de les obliger à tenir leurs délais pour le bien du film. Une qualité de leader dont il avait déjà fait preuve sur nombre de ses productions et dont il se déchargera ici.
Et c’est ce que décidera de retenir le réalisateur polémique des années plus tard lorsqu’il ira de son petit mot pour commenter le clash entre The Rock et Vin Diesel. Pour ce dernier, ce n’est qu’un hater parmi tant d’autres et malgré un nombre de followers impressionnant et une activité régulière sur les réseaux sociaux, l’acteur ne prendra pas la peine de répondre. Jamais il ne se rabaissera à donner de l’importance à cette provocation gratuite. Un comportement hypocrite de la part de Kassovitz puisque lui-même est en très mauvais termes avec l’acteur Vincent Cassel depuis des années.
Pas rancunier ou dans l’idée d’enterrer la hache de guerre avec le comédien de La haine, il est difficile de croire que cela aurait pu mieux se passer avec lui dans le rôle de Toroop. D’ailleurs, Vincent Cassel n’est pas des plus élogieux à l’égard de celui qui l’a révélé, lui reprochant notamment une totale désorganisation, une réécriture des dialogues et des scènes empêchant les acteurs de se préparer, chose que confirmera à son tour Mélanie Thierry. Selon ses dires, le cinéaste n’aime pas les réunions et préfère agir sur place en laissant une grande part à l’improvisation.
Malgré ce comportement ingérable, l’actrice sera son plus grand soutien et c’est elle qui réclamera son retour lorsqu’il sera écarté du plateau par la compagnie d’assurance qui reprendra les commandes. Prétextant une clause dans son contrat stipulant qu’elle avait signé pour tourner avec Mathieu Kassovitz et pas un autre, c’est à elle qu’il doit son salut alors qu’il ne demandait qu’une chose: être viré pour pouvoir encaisser son chèque et retourner en France. Cela aurait au moins pu authentifier cette image de victime auprès du public, en plus d’entretenir son image d’artiste incompris adepte du franc parlé.
Le studio ne lui a pas fait ce plaisir de le congédier, de lui offrir un scandale avec une exposition médiatique à la clé dont il aurait pu se vanter. Ses tentatives pour se moquer du travail des techniciens qui ne sont alors plus sous sa supervision, en agitant un papier en train de bruler devant le combo pour simuler des flammes dans le décor, seront restées vaines. Contrairement à un élément perturbateur à qui l’on demande de sortir de la classe pour ne pas gêner les autres élèves qui travaillent, Kassovitz reste donc contre son gré à bord de ce naufrage comme tout capitaine pour couler avec son épave.
C’est donc après un break de deux semaines, et loin de la fougue dont il avait pu faire preuve en début de tournage, que le cinéaste reprend les choses en main pour le dernier acte. La fatigue est visible ainsi que la déception, mais c’est surtout l’amertume et l’incompréhension qui prédomine lorsque se clôt le documentaire d’une cinquantaine de minutes. François-Régis Jeanne aura su y capturer sur le vif de grands moments, bien plus prenant que le film dont il est censé suivre les coulisses. Voir Kassovitz imposer son autorité, et se proclamer patron face à un de ses collaborateurs qui ne sait plus à qui obéir, vaut largement plus que les combats en cage et autre sous-marin qui émerge de la glace avant d’être pris d’assaut par une horde de réfugiés.
Cela offre un regard différent sur toutes ces scènes et l’on peut presque entendre le cinéaste rager derrière la caméra lorsque l’on regarde son long-métrage. Lui dont le plan initial était de capitaliser sur deux montages du film, l’un américain et l’autre européen, n’en a finalement eu aucun de viable à l’arrivée. En effet, l’idée de départ était de proposer comme convenu un film PG13 pour les États-Unis tandis que le reste du monde aurait eu droit à une version non censurée. Cette violence, elle ne sera visible que dans ce documentaire et en cela il existe bien deux versions du film, Fucking Kassovitz étant juste non officielle et avec des jeux d’acteurs plus vrais que nature.
Kassovitz y trouve son meilleur rôle dans un film dans lequel il ne fait aucune apparition, ce qui est une prouesse. Et ça, on peut bien lui reconnaitre. Fait de manière totalement illégale, car sans autorisations de diffusion du studio qui l’aurait financé indirectement, cela fait cher pour un reportage en pleine immersion sur les aléas d’un tournage. L’envers du décor y est intrusif et cela aurait pu tout aussi bien être une caméra cachée. Celle-ci ne l’est pas du tout et ne se gêne pas pour interroger les différents intervenants à la vue de tous. Du moins l’équipe technique française et il aurait été intéressant d’avoir un droit de réponse de la part des Américains, même si depuis des révélations ont été faites.
Il est donc difficile de voir ce que le film aurait pu être même en regardant les scènes coupées pour s’en faire une idée, même approximative. Même les bonus ont le culot d’être hors sujet en proposant un making of d’une scène coupée… Et qui plus est d’une course-poursuite avec des hummers qui aurait dû s’intercaler vers la fin du film. En temps, normal il aurait été bizarre de voir une scène d’action coupée d’un film d’action, mais à ce niveau d’ingérences, on est plus à ça près. Il ne reste donc pas grand-chose des thématiques que Kassovitz à l’habitude d’aborder et son style visuel n’est pas plus présent. Voir aux antipodes de ses déclarations.
Autoproclamé héritier d’un cinéma à l’ancienne, Mathieu Kassovitz n’a jamais caché son dégout pour l’utilisation du numérique dans les films. Une technique qui a le don de le faire sortir d’un film comme il a pu en faire l’expérience avec Mad Max Fury Road qu’il considère comme étant gâché par les CGI. Pourtant, Babylon AD en est lui aussi truffé plus que de raison pour ce qui est surement l’oeuvre qui a le plus recours à ce procédé dans sa filmographie. Tout comme le dernier opus de la quadrilogie de George Miller (avec qui il partage également un antihéros devant conduire d’un endroit à un autre une femme enceinte, ici plusieurs en l’occurrence), il lui aurait été difficile de passer outre en s’aventurant dans le genre du post-apo.
Ces plans truqués ont été réalisés par la société française Buf qui avait déjà oeuvré sur des blockbusters de prestige et c’était l’occasion de mettre leur savoir-faire au service d’un compatriote. Hélas, la plupart des incrustations numériques sont bâclées lorsqu’il s’agit de soustraire les fonds verts. Du reste, ces trucages servent à aider la mise en scène de Kassovitz afin de faire des plans séquences impossibles sans faire appel à cette technologie. C’est notamment visible lors de la scène où un hélicoptère transporte une voiture avec un aimant. La caméra passe alors de l’habitacle où se trouve Vin Diesel pour se frayer un chemin entre le grillage qui protège les vitres et donner une vue d’ensemble.
Le plan d’ouverture bénéficie également d’un plan séquence qui part de l’espace pour filer tout droit vers la Terre, plus précisément dans une rue de New-York où Toroop est mal en point. Une mise en scène littéralement tape à l’oeil puisque la caméra terminera sa course dans la pupille du personnage. N’est pas Alfonso Cuaron qui veut, lui qui s’est fait une spécialité de ce genre de mise en scène où la caméra ne cesse de tourner pour accompagner l’action sans avoir recours au montage pour la dynamiser. Une signature que l’on retrouve dans Les fils de l’homme et qui est justifiée par l’aspect presque documentaire de l’ambiance que le réalisateur cherche à instaurer.
De quoi se demander s’il n’aurait pas mieux fallu que l’auteur derrière Fucking Kassovitz prenne le relais sur Babylon AD lorsque les choses ont dégénéré. Mais cette entrée en matière, sous la forme d’un flashforward, ne viendra jamais concurrencer Alfonso Cuaron qui prendra le chemin inverse de la caméra de Kassovitz pour se mettre sur orbite avec Gravity. À l’opposé, l’épilogue est en totale opposition avec celui des fils de l’homme qui voyait Clive Owen agoniser lentement tandis qu’il venait d’accomplir sa mission: mettre la femme et son enfant à l’abri. Babylon AD est loin de se conclure dans un tel moment de poésie, au contraire. Même si le flashforward introductif laissait présager du contraire.
Vin Diesel n’est mort qu’en de très rares occasions dans ses films et celui-ci ne va pas se rajouter à cette courte liste. C’est celle qu’il est chargé de mener à bon port qui décède en mettant au monde les jumeaux qu’elle portait. Cette inversion des rôles par rapport au fils de l’homme démontre les intentions derrière un projet entre un film d’auteur et un film purement commercial. Non pas qu’il faille un sacrifice du héros pour qu’il soit digne de ce titre après toutes les épreuves traversées, mais disons que cela aurait permis au film de nous surprendre. Et il l’est, surprenant, mais pas sur les bonnes choses. Ainsi avant le fatidique générique, on assiste à une dernière faute de gout avec un Vin Diesel habillé d’un petit polo où il ne manque plus que le crocodile Lacoste.
Ses derniers mots en voix off seront totalement raccord avec son nouveau style vestimentaire: « Sauver la planète, un enfant à la fois. Quelle galère ! » Non seulement on se croirait dans Babysittor avec ce genre de réplique, mais en plus son doublage français n’aide pas. C’est le rappeur Doudou Masta qui s’y colle en lieu et place de ses doubleurs habituels. Même si son physique se rapproche le plus de l’acteur par rapport à ces derniers, il y avait pourtant le choix entre Guillaume Orsat, Frédéric Van Den Driessche, Thierry Mercier ou encore Joël Zaffarano qui ont tous donné de la voix pour l’acteur.
C’est vraiment dommage car certains dialogues sonnent vraiment juste tout comme certaines punchlines sortent du lot, mais l’intonation du rappeur casse cet effet à chaque fois. La voix off n’est pas inintéressante non plus dans ses propos, mais encore une fois cela ne fonctionne pas, à moins de regarder le film en version originale. Un comble pour une production en partie française. Il s’agit donc là d’une énorme erreur de casting vocal qui fait sortir du film dès que Vin Diesel ouvre la bouche.
Cela offre un ton parodique involontaire digne de la bonne époque des détournements de Mozinor où Vin Diesel était connu sous le nom de Baboulinet. C’est cette image qu’il véhicule de film en film à tel point qu’il est tout à fait acceptable de renommer Toroop en Xander Cage ou en Dominic Torreto, comme si ces personnages avaient évolué jusqu’à cet avenir incertain. C’est en cela que l’on reconnait plus un film de Vin Diesel que de Mathieu Kassovitz. Et même si ce dernier a dédié ce métrage à ces filles (pour je ne sais quelle obscure raison étant donné qu’il le renie) comme s’il s’agissait d’un film d’auteur, force est de constater que l’auteur en question n’est autre que sa star.
Contrairement à son réalisateur, tous les choix de carrière passés et à venir de Vin Diesel sont présents dans Babylon AD. À part ceux que j’ai déjà cités précédemment, on retrouve les caractéristiques typiques de ce qui compose un personnage selon les préférences de Vin Diesel. Refus de l’autorité, confiance en personne hormis en ses proches, solitaire, antisystèmes, patriotique,… Et ce n’est pas la première fois que l’acteur évolue dans un univers de science-fiction puisqu’il s’était déjà illustré avec brio dans Pitch Black et les chroniques de Riddick. Les cascades improbables, de celle que l’on peut voir dans XXX, sont également de la partie.
Un petit plaisir que Vin Diesel s’est octroyé puisqu’il est un grand fan de sport extrême et plus particulièrement des pilotes de Slednecks 9. Paul Thacker et Chris Burandt ont donc assouvi le caprice de la star en enfourchant leurs motoneiges pour se livrer à des acrobaties qui n’étaient pas prévues dans le script. Et pour cause, elles sont totalement hors de propos, mais la pression du cascadeur Bob Brown et de Vin Diesel aura eu raison de la production pour inclure ces scènes de cabrioles. Toroop devient donc le temps d’une séquence un expert en retournés acrobatiques pour épater la galerie alors que sa survie est menacée par des drones.
Dans les coulisses de cette scène, l’acteur n’hésite pas à dire à la caméra que si le studio savait ce qu’ils étaient en train de faire, les dirigeants stopperaient tout. Par là, il faut comprendre en termes de danger encouru pour réaliser ce genre de cascades, mais je pense qu’il faisait plus allusion à la séquence une fois incluse dans le montage et ressortant comme un niveau de beauferie hallucinant. Pour le coup, c’est clair que s’ils avaient vu ça, les décideurs auraient tout stoppé. Et visiblement, Kassovitz ne semble pas avoir eu son mot à dire, pas plus que Vin Diesel n’ait fait preuve de communication sur le sujet ou sur quoi que ce soit d’autre.
Son refus de coopérer, qui trouve ses racines dans l’altercation en pré-production, cache également un certain niveau d’exigences contrairement à ce que l’on pourrait penser. Il fait notamment part de son mécontentement de la tournure que prennent les événements en faisant un discours à l’équipe pour leur annoncer qu’ils ne tourneront pas. À sa manière, il évoque alors des dialogues en lesquels il ne croit pas et par conséquent, ne peut pas les jouer. De plus, ce retard accumulé a forcé l’équipe à tourner hors continuité par rapport au scénario. Une difficulté supplémentaire qui implique de potentiels faux raccords sur les costumes, les accessoires, les blessures, mais aussi bien sûr, l’état émotionnel des personnages à un instant T.
Ce sont là des repères importants pour garder en cohérence et ce dernier point interpelle dans la bouche de la star. Car malgré son profil d’Action Hero et le jeu limité que cela nécessite, Vin Diesel semble réellement se soucier de l’orientation de son personnage. Sa réticence à participer aux scènes d’action au profit de sa doublure en dit long sur son état d’esprit. C’est même carrément paradoxal sachant qu’il a été engagé pour montrer ses muscles et briser des nuques. Peut-être que l’acteur avait vu là l’occasion de sortir de son registre en opérant une transition entre ses rôles habituels et quelque chose d’un peu plus profond?
La suite de sa carrière nous a prouvé le contraire, mais à l’époque il était permis de se poser la question lorsqu’il n’avait pas donné suite aux séquelles de Fast and Furious et XXX. Néanmoins, Toroop fait partie de ces personnages avec un semblant de profondeur. Outre les allusions à son background, c’est surtout ses habitudes qui nous en disent long sur lui. C’est un chasseur et il s’adonne à cette pratique pour survivre dans ce monde post-apocalyptique. Traquant le gibier pour mieux le dépecer et se nourrir avec un verre de vin. Un menu de luxe dans cette société en décrépitude.
Cette manie à demander du feu à chaque personne qu’il croise participe également à faire de lui une espèce de cromagnon. Même si ce gimmick est lassant au bout d’un moment, c’est avec ce genre de détail que l’on construit un personnage. Il est juste dommage d’avoir raté le coche dans le final lorsque Toroop se retrouve à genou face à des flammes qui surgissent devant lui. C’était là le moment idéal pour lui faire déclamer en voix off une dernière réplique comme quoi il venait enfin de trouver du feu, mais qu’il n’avait pas de cigarettes. Pas très fin, mais pas pour autant éloigné de l’écriture du script.
Une occasion manquée tout comme le climax où cette hypothétique punchline aurait pu s’intégrer. Après quelques timides échanges de coups et la poursuite d’une fusée à tête chercheuse, l’impasse est faite sur ce dernier tiers. Pourtant, côté coulisses, le chorégraphe Alain Figlarz promettait la plus grosse scène d’action sur les quatre à cinq ans à venir. Autant dire que si l’on parle encore du film quatre à cinq ans plus tard, ce n’est pas pour cette séquence avortée. On se retrouve littéralement dans le cas de figure de Bilbo le Hobbit avec un schéma similaire où le personnage inconscient n’assiste pas à la bataille finale.
Une forme de renoncement et finalement, ce n’est pas plus mal vu le peu de moyen mis en oeuvre pour faire décoller cette séquence. Pris entre deux feux avec la secte des Noelites d’un côté et les hommes de Gorsky de l’autre, la géographie de la scène n’a rien de palpitante. Sans compter que Mathieu Kassovitz fait tout son possible pour ne pas filmer son décor. Il faut dire qu’un alignement de Skoda en guise de voitures futuristes, on a vu mieux. Repeintes en noir et filmées de nuit, cela permet de faire illusion le temps que les personnages slaloment dans cette circulation à l’arrêt jusqu’à en faire de même.
Nous voici donc revenus là où le film a commencé, Toroop se réveille en compagnie de ceux qui l’on sauver et qui sont dirigés par Lambert Wilson. Ce dernier nous gratifie d’une performance pareille à celle du Mérovingien dans Matrix Reloaded et c’est précisément dans ce but qu’il est là: rechargé la mémoire de Vin Diesel pour voir ce qu’il a raté. Et nous aussi par la même occasion. Cela se traduit par un effet de rembobinage de la séquence précédente sans pour autant qu’elle ne gagne en intensité. Au contraire, c’est encore pire la seconde fois et si l’effet recherché était de copier le triple climax cher à James Cameron, c’est complètement raté.
S’en suivra un enchainement de scènes hésitant entre repartir sur de l’action et conclure avec un épilogue. Le voyage de Toroop s’achève ainsi, là où celui de Mathieu Kassovitz va commencer. Au terme de l’histoire, son personnage a gagné le droit de revenir sur le sol américain, et d’y rester avec un nouveau passeport tandis que, d’une certaine façon, Kassovitz peut récupérer le sien pour quitter les États-Unis. Libéré de ses obligations, il peut enfin revenir en France pour faire part de son expérience désagréable. Car oui, le personnage de Toroop n’est rien d’autre que l’alter ego du réalisateur. Et il en faut des haltères pour réussir à soulever cet égo.
Comme lui, il est considéré comme un terroriste du cinéma, un punk qui ne se laisse pas dicter sa loi. Kassovitz avait alors pour mission d’escorter un film d’un point A à un point B, de la pré-production à la post-production, et sur sa route il a rencontré nombre d’obstacles. Gorsky pourrait alors s’apparenter à la Fox qui est connue pour être un studio problématique dans la gestion de ses productions. Beaucoup de réalisateurs s’en sont plaints et Mathieu Kassovitz ne sera pas le dernier. La Fox a donc essayé de le doubler tandis que dans le camp opposé la secte des Noelites pourrait faire office de cinéma français cherchant à récupérer le film.
Au final, ce dernier subira le même sort qu’Aurora, auquel il était comparé, en mourant en salle d’accouchement. Donnant néanmoins la vie à deux jumeaux: Babylon AD et Fucking Kassovitz. Ce making of officieux amplifie un fiasco pour un film qui n’est pas forcément mauvais, il est juste quelconque. Et ça, c’est une chose qu’a du mal à accepter son réalisateur. Comme si sa filmographie ne pouvait tolérer un tel écart de qualité. Il préférera donc le renier entièrement plutôt que d’assumer cet échec. Ce faisant, il ne se donne pas le droit à l’erreur et se met lui-même dans une impasse: il préférera avoir fait un très mauvais film en mettant ça sur le dos de la Fox plutôt que d’assumer un film passable entièrement de son fait.
C’est là sa vanité. Le réalisateur, adepte des complots comme on a pu le voir sur les plateaux télé, a tenu a assuré ses arrières en s’en fabriquant un alibi sur-mesure une fois de retour au pays. Ce document n’est donc pas vraiment à prendre pour argent comptant. Surtout lorsque celui-ci commence par une voix off qui prétend que le plus important ce n’est pas la chute, mais l’atterrissage. Une citation judicieuse certes, mais tirée du film La haine qui a révélé Mathieu Kassovitz et auquel François-Régie Jeanne compare la production de Babylon AD. La métaphore est plutôt bien trouvée puisqu’ici il n’y a pas d’atterrissage, c’est un crash cinématographique, mais ces deux productions ne sont en rien comparables.
Se raccrocher au film culte d’un réalisateur pour dénigrer le plus mauvais de sa filmographie ne fera pas avancer les choses. Ces deux oeuvres n’ont absolument rien en commun si ce n’est une scène devant un miroir qui reprend exactement le même mouvement de caméra. Celle-ci nous place dans le dos de Toroop avant qu’il ne se penche vers le lavabo pour ensuite adopter le point de vue du reflet, ou plutôt de l’écran qui projète son retour en vidéo. Aurora fera alors irruption derrière lui pour ce qui débouchera sur une amourette avortée et qui de toute façon n’avait pas lieu d’être à ce stade du film, puisqu’aucun signe n’avait laissé entendre qu’une love story était possible entre eux.
Tout au plus peut-il y avoir une attirance physique ce qui serait bien normal pour une fille ayant vécu dans un couvent jusqu’à ces événements. Mais cette scène, qui pourtant n’a rien d’exceptionnelle, prend tout son sens et son importance avec l’ensemble de la filmographie de Kassovitz. Un peu comme si l’on avait traversé le miroir dans La haine pour ensuite en ressortir de l’autre côté dans Babylon AD. D’un côté, Vincent Cassel y posait une question à un interlocuteur imaginaire (c’est à moi que tu parles?) tandis que de l’autre côté, Vin Diesel reste sans voix face à sa partenaire de jeu. C’est là une parfaite symétrie qui trouve son axe avec Les rivières pourpres qui représentent l’apogée de la carrière du cinéaste.
Une époque qui le consacrera à la fois en tant que réalisateur avec ce succès public, mais aussi en tant qu’acteur avec Le fabuleux destin d’Amélie Poulain. Mais Mélanie Thierry n’est pas pour autant Audrey Tautou, pas plus que Mathieu Kassovitz n’est Nino Quincampoix, malgré cette image qui lui colle à la peau. Son fabuleux destin, le cinéaste le vit depuis en tant qu’acteur et cela l’a amené à rencontrer des pointures pour nourrir son art. Mais il a eu beau avoir travaillé avec les plus grands comme Jean-Pierre Jeunet, Terrence Malick, Jacques Audiard, Luc Besson, Alain Chabat, Costa-Gavras, Steven Soderbergh, Michael Haneke,… cela ne l’a pas forcément rendu plus humble.
Un sacré palmarès dont il semble n’avoir tiré aucune leçon. Pas même celle de l’humilité. Il signera donc son dernier film avec L’ordre et la morale, et il ne semble en avoir tiré aucune, de morale, à cette histoire. Mathieu Kassovitz n’a pas à avoir honte de son Babylon AD, au-delà du fait que chaque cinéaste a son projet maudit, cela lui aura permis d’avoir un reportage en forme de boite noire vraiment représentatif des conditions d’un tournage. Fucking Kassovitz, ou le mode d’emploi pour rater son film de A à Z, est un véritable cas d’école et mériterait d’être étudié dans les établissements dédiés à l’apprentissage du septième art. Lui qui n’a pas fait d’étude dans le cinéma, il a offert à toute une génération d’apprentis cinéastes de quoi apprendre de ses erreurs.
Partisan d’une façon de confectionner les films à l’ancienne, Kassovitz dispose d’une solide carrière pour enseigner dans une école comme Kourtrajmé ou celle que Luc Besson a créée. En cela, il est de notoriété publique de le voir comme un donneur de leçon, qui ne cesse de critiquer l’industrie dans sa globalité, mais il semble surtout être devenu une caricature de lui-même. C’est simple, si le cinéaste devait être un personnage de la série Entourage, il serait indubitablement le Billy Walsh. Comme lui, il vient là de réaliser son Medellin avec Babylon AD et son comportement turbulent l’a amené à faire de la boxe pour mieux gérer sa colère. Avec tout ça, il est donc difficile de le prendre au sérieux et lorsque l’on voit cet accident industriel, il n’est pas étonnant de n’y voir aucun bêtisier.
PROCRASTINATION WINS!
« FUCKING KASSOVITZ » WINS!
Hello! les visuels sont sympas sur ton blog! ils viennent de toi ou tu les trouves sur le net?? au plaisir de te lire ++ Slevin
Coucou! Merci pour les visuels mais ils ne sont pas de moi, je fais des petites recherches sur le net ou des blogs en particulier…
J’irais faire un petit tour sur ton blog =)
Tip top ton blog! j’ai récemment lancé le mien, n’hésites pas à venir y faire un tour! ++ Julian
congrats pour l’ensemble de ton blog… je te suis depuis peu et je trouve tes posts de qualité! J’édite moi aussi un blog depuis peu, n’hésite pas à venir me lire! ++ ZAK