« GREEN LANTERN VS ALIENS » VS PROCRASTINATION
Les comics ont toujours regorgé de crossovers. Tous les délires sont permis dans ce genre d’exercice où contrairement à un film, le budget est illimité. Seule l’imagination de celui qui met en scène cette rencontre se doit d’être à la hauteur de ces images de marque tout en respectant les règles des deux univers qu’il confronte. Car oui, même si toutes les extravagances sont possibles, il convient de ne pas sortir du cadre imposé par les deux licences afin de garder un semblant de cohérence. C’est donc loin d’être aussi facile que lorsque l’on était enfant, deux figurines issues de deux univers différents dans les mains pour les faire s’entrechoquer selon notre bon vouloir.
En théorie, tous les personnages peuvent entrer en conflit. Le tout étant toujours de trouver une bonne raison de le faire. Dans la pratique, semer la discorde dans les esprits est loin d’être une chose aisée si l’auteur ne veut pas s’attirer les foudres des deux fans bases. Un mauvais crossover étant le risque de ternir deux réputations en une seule histoire. Celle-ci a donc tout intérêt à être à la hauteur des espérances suscitées par le public visé. L’auteur se doit donc d’être un fin connaisseur des deux univers qu’il est en charge d’exploiter afin de ne pas livrer une rencontre gratuite, mais qui pourrait lui couter cher.
Dans l’industrie du comics on ne compte plus ces crossovers allant du plus improbable au plus logique et Green Lantern Vs Aliens se situe plutôt dans la seconde catégorie. L’idée de départ d’opposer les deux personnages avait un gros potentiel car ils viennent tous les deux du paysage de la science-fiction. Un genre aussi vaste qu’il n’offre de possibilité en termes de rencontre en tout genre. En tant que protecteur de la Terre et de ses environs, Green Lantern, peu importe son incarnation, possède un nombre incalculable d’aventures cosmiques au compteur. Cela fait donc de lui le plus légitime à le voir se confronter à la créature de HR Giger plutôt que ses collègues de la Justice League comme Batman ou Superman.
Aussi improbable que cela puisse paraitre ces derniers ont aussi eu affaire au xénomorphe avec plus ou moins de succès. Et en cela je parle de succès auprès du public et non en termes de gagnant. Les super-héros sont voués à l’emporter face à la menace que représentent les Aliens. Cette race dont les éléments sont sacrifiables et interchangeables d’une histoire à une autre est donc toute désignée pour mettre au défi les héros de la firme DC comics. En cela Green Lantern et le Corps dont il fait partie intégrante partagent ce genre de similitudes avec un vivier de 7200 Lanterns répartie dans les 3600 secteurs de l’univers.
Cette donnée n’a donc rien d’un hasard si l’un des guerriers d’émeraude tombe sur un Xénomorphe lors de l’une de ses missions et c’est par cela que s’ouvre ce comics. Un couloir obscur, un oeuf éclot, un facehugger ayant fait son oeuvre, un anneau sans son porteur: en une seule planche le décor est planté et les éléments clés des deux mythologies sont présentés de manière efficace. Quelques cases plus tard, le chestbuster viendra s’extraire en pleine page pile au centre du logo des Green Lantern. Cette introduction se passe de dialogue grâce à des images évocatrices et symboliques des deux univers qui entrent en collision.
À ce stade: 1 à 0 pour l’Alien. Puis le récit revient avec quelque chose de plus terre à terre avec le braquage d’une banque. Les masques d’extraterrestres que les criminels arborent viennent tout de même opérer une transition entre ces deux moments qui verra l’apparition de Green Arrow et Black Canary à la rescousse. Hal Jordan, sous le masque de Green Lantern, viendra lui-même porter assistance au duo pour ce qui reste une bien piètre entrée en matière. Fort heureusement sa présence, ainsi que celle d’autres Lanterns, est requise par les gardiens de l’univers pour enquêter sur la disparition de l’un des leurs.
Dès lors, on revient sur les traces du prologue de cette histoire avec le gout amer d’avoir assisté à une séquence dans une banque qui n’aura servi à rien si ce n’est à meubler avec du vide. Et à faire intervenir des personnages que l’on ne reverra plus par la suite. Quoi qu’il en soit, l’Alien dans le titre fait enfin son apparition grandeur nature et le pluriel est de mise, même si on ignore comment un seul Green Lantern a pu engendrer autant de Xenomorphes. Au bas mot, une bonne trentaine si j’en juge par le nombre de bulles servant à contenir ces créatures pour les emmener là où elles ne pourront pas causer plus de dégâts: Mogo.
Derrière ce nom se cache non seulement une planète, mais aussi un membre à part entière du Corps des Green Lantern. Tous deux ne forment qu’une seule et même entité et c’est à sa surface que Hal décide d’envoyer les Aliens après une embuscade où ces monstres se seront révélés bien inférieurs à cette police intergalactique. Toute cette introduction se sera révélée n’être qu’un flashback servant à mettre en place des éléments pour une intrigue qui se passe dix ans plus tard. Exit Hal Jordan et bonjour à Kyle Rayner pour réparer les erreurs du premier. Quitte à donner ce comportement à Hal autant l’excuser en le gratifier des tempes blanches, synonyme de possession par Parallaxe.
Après tout, la période qui sépare le prologue de son intrigue principale inclut la destruction du Corps des Green Lantern par Hal Jordan, lorsqu’il était sous l’influence de l’entité de la peur, ce qui mènera Kyle Rayner à devenir le seul possesseur du titre. Tout ceci est mentionné dans le court texte explicatif permettant de se situer dans la chronologie. Il aurait d’ailleurs été plus judicieux de le placer entre les deux parties pour comprendre les événements que l’on avait raté durant ce laps de temps plus qu’au tout début. Les fans d’Alien ne sont pas forcément ceux de Green Lantern et en lisant cela sans aucun contexte, ils pourront vite se sentir perdus.
Mis à part les premières pages qui utilisaient à bon escient l’imagerie des deux opposants, le reste n’aura été que déception entre une scène inutile et la décision douteuse de Jordan de laisser en vie ces engins de mort après avoir vu de quoi ils étaient capables. Cette erreur de jugement ou de compassion, selon comment on l’interprète, est donc à l’origine du récit qui va suivre ce qui est assez mince en termes de fondations pour soutenir les événements à venir. La fin, de ce qui pourrait alors s’apparenter à un premier chapitre, met en scène un vaisseau à la dérive dont le design rappelle ceux de la saga initiée par Ridley Scott.
En tant que fan, même si cette prémisse est perfectible au possible, elle permet d’entrevoir quelques promesses après la mise en place de ces éléments. Sachant que les Aliens prennent une forme différente selon l’hôte qu’ils fécondent (chose que l’on a pu constater dans Alien 3), qu’est-ce que cela pourrait donner si l’un d’entre eux enfantait une planète douée de conscience? La présence de Kyle Rayner, dessinateur de profession, sera-t-elle l’occasion de faire une mise en abime sur l’illustrateur HR Giger? Le créateur de cette créature devenue une icône du cinéma ne sera jamais abordé, pas plus que le potentiel de cette histoire ne sera exploité.
Pourtant l’univers d’Alien dispose d’un background apte à se fondre dans toutes les licences un minimum futuriste. Même celles qui ne le sont pas ou ne sont pas situées dans un futur lointain ont eu droit à leur confrontation. Sur Terre ou à l’autre bout de la galaxie, dans le présent ou une époque révolue, tout est possible avec ce monstre dont le but est de s’adapter à son hôte avant de le détruire. Le Predator reste son adversaire le plus célèbre, mais Green Lantern n’a rien à lui envier pour se mesurer à sa némésis. En effet, les chevaliers d’émeraude tirent leur pouvoir de leur imagination qu’il matérialise via leurs anneaux en projection solide. Son seul point faible étant de devoir recharger son anneau toutes les 24 heures.
Cela en fait un personnage quasi invulnérable puisqu’il a la capacité de donner vie à la moindre de ses pensées. Sa seule limite est son imagination… et par extension celle de son scénariste: Ron Marz. Une faiblesse de taille et malheureusement on ne peut pas dire que l’auteur se soit trouvé inspirer par cette confrontation. On dirait qu’il se contente de suivre un cahier des charges imposé par ses commanditaires, DC et Dark Horses, alors qu’un fan aurait pu pondre quelque chose de bien plus trépidant et original. Et croyez-moi, en tant qu’admirateur des deux personnages, ça fait vraiment mal de voir des professionnels se planter à ce point et de passer à côté de leur sujet.
Malgré la nouveauté que pouvait représenter l’univers DC pour cette menace, on se retrouve à nouveau avec une intrigue en huis clos dont le but est de s’échapper. Mogo, la planète Green Lantern qui sert de décor à cette aventure n’a pas plus de raison d’être ici que si l’action s’était passée sur un autre monde. Comme je le disais plus haut, cela aurait pu au moins être l’occasion pour un Alien de féconder une planète à partir de son noyau, voilà un enjeu de taille! Oui c’est démesuré, mais le format comic book permet ce genre de fantaisie. La planète OA, sorte de QG des Green Lanterns, aurait elle aussi été une excellente candidate comme terrain de jeu. Surtout que lorsque l’histoire se déroule, elle a été désertée par les Gardiens depuis le génocide perpétré par Hal Jordan.
Même si ce récit est considéré comme étant hors continuité, malgré sa place dans la chronologie telle que mentionnée dans le texte explicatif du début, l’époque à laquelle prend place le récit est importante. Pour reprendre mon dernier exemple, si l’intrigue avait pris place sur OA, il y avait là une matière inépuisable pour explorer les deux camps de manière équitable. Pour cela il faut bien se rappeler que le Green Lantern Corps offre un florilège de races parmi ses 7200 combattants. Dès lors, cela offre autant de combinaisons possibles avec les Aliens qui adoptent une forme différente selon leur hôte. Cela aurait assurément été la foire aux designs, mais au moins on aurait eu une impression de nouveauté.
Au lieu de ça, il faudra se contenter d’une mission de sauvetage à l’intérieur de l’épave d’un vaisseau. Et pour rajouter une dose de « déjà vu », une femme forte du nom de Crowe se retrouve à la tête de ce commando dont Kyle et d’anciens Green Lanterns font partie. Voilà qui est original. La saga Alien est à ce point dépendante de son schéma narratif que l’auteur s’est senti le besoin d’inclure une pseudo-Rpiley pour se donner un cadre. Si un personnage féminin fort était aussi indispensable pour rappeler l’identité de la saga, alors pourquoi ne pas avoir été pioché chez UNE Green Lantern? Humaine ou non d’ailleurs, une héroïne aurait été plus que bienvenue au lieu de cet ajout fade et sans intérêt.
Plus encore lorsqu’elle se révèle être un androïde. On peut y reconnaitre là une allusion à Bishop bien sûr, mais surtout à Call dans Alien la résurrection à cause de son tempérament. J’y ai surtout vu une occasion manquée d’évoquer les Manhunters, prédécesseurs des Green Lanterns, chargés par les Gardiens de faire régner l’ordre. Beaucoup trop de pistes non explorées, de concepts non exploités et de personnages à peine développés pour que Rick Leonardi puisse maquiller cette débâcle derrière de belles illustrations. Pourtant son trait est dynamique au possible, mais je ne suis pas sûr que cela corresponde à l’un des deux univers mis en scène.
Le style ne reflète absolument pas la dangerosité de l’Alien tel que l’on a pu le découvrir sur grand écran. Là où son anatomie était la plupart du temps gardée dans l’ombre grâce à la mise en scène des cinéastes qui ont oeuvré sur la quadrilogie et qui ont défini sa nature bestiale, ici elle est exposée au grand jour. Cela diminue grandement l’impact que l’on est censé ressentir lorsque l’on voit cette chose, et qui plus est par dizaine. L’imagerie et la noirceur véhiculées par HR Giger auraient eu bien plus sa place ici en plus de réinventer Green Lantern à travers ce prisme si particulier.
Mais le pire, c’est de voir que le duo à l’oeuvre ne prend même pas la peine de mettre en valeur une chose évidente: le parallèle avec la couleur verte. L’anneau vert des Green Lantern est une source de création tandis que le sang acide et verdâtre des Aliens est une source de destruction. Une opposition très simple et servie sur un plateau car faisant partie intégrante de leur mythologie sans qu’il n’y ait à inventer quoi que ce soit. Il s’agit là juste de bon sens. Une observation d’un point commun aux deux franchises qu’il aurait fallu mettre au premier plan de manière visuelle.
Idem du côté de la thématique de la peur qui aurait gagné à être développée. L’Alien étant issu du genre de l’horreur, la terreur est quelque chose de très présent dans ces histoires là où pour être un Green Lantern il faut être capable de surmonter la peur. Une opposition simple sur laquelle les deux franchises auraient pu se rejoindre et qui est à peine survolée. Outre le nombre surprenant d’associations d’idées que j’ai mentionnées et qui n’ont pas été retenues, la fin quant à elle n’a rien de surprenante. Il n’y a aucun suspense à avoir sur l’issue d’un combat lorsque l’on lit ce genre de titre.
Le voyage importe plus que la destination, mais lorsque l’on parcourt des décors vides avec des personnages qui le sont tout autant, on est pressé d’en finir. Cette conclusion s’enlise dans des débats moraux et autres conflits entre la protection de l’espèce que représente le Xénomorphe et leur potentiel de destruction avéré. Il n’était pas très difficile de voir que les deux sont incompatibles: la sauvegarde de cette race relèguera immédiatement toutes les autres en voie d’extinction. Mais bon comme le dit l’adage: dans l’espace personne ne m’entendra crier. Ou plutôt rager.
Cela reste des critiques dans le vide intersidéral, mais surtout un état des lieux de la façon dont peuvent être traitées des licences au mépris des fans. Comme je viens de le démontrer, il y avait tellement plus intéressant à faire à tous les niveaux lorsque l’on fait un minimum de recherches. Ce titre ne restera dans l’histoire des comics que pour cette rencontre loin d’être aussi atypique que l’on pourrait le penser. Et loin d’être aussi réussi que ce cela pouvait le laisser présager. Il s’agit juste d’une exploitation purement mercantile des deux licences comme-ci la société Weyland avait pris les reines de ce projet de crossover. Les fans comprendront.
PROCRASTINATION WINS!