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« Hannibal: saison 1 » de Bryan Fuller

« HANNIBAL: SAISON 1 » VS PROCRASTINATION

Officier au poste de showrunner, c’est un peu comme être le chef cuisinier d’un grand restaurant. Il faut à la fois gérer ce qui se passe en coulisse, en briefant ses troupes lors des coups de feu, tout en s’assurant de rentrer dans ses frais. Une double casquette qui permet à celui qui la porte de s’occuper à la fois de l’aspect artistique tout comme de l’aspect financier d’une série. En effet contrairement aux métiers de scénariste ou de réalisateur, le showrunner n’évolue que dans le domaine de la télévision ce qui fait de lui le grade le plus élevé lorsqu’un projet entre en production.

Entre ses mains, le metteur en scène n’est qu’un exécutant là où ce dernier a beaucoup plus de pouvoir au cinéma. Et ce n’est pas parce que la télévision ressemble de plus en plus à l’industrie cinématographique en termes de moyens qu’il va céder sa place, au contraire si la télévision a atteint un tel niveau de qualité, c’est bien grâce aux showrunners. Depuis la writer’s room, c’est lui qui oriente la série avec son pôle de scénaristes pour décider qui écrira quoi et sur combien d’épisodes. Sous sa supervision, ils dressent une sorte de carte des menus avec entrée, plat et dessert s’étalant sur une saison entière.

C’est également à lui que revient la charge d’accélérer le rythme des révélations lorsque les audiences sont en baisse, exactement comme le ferait un restaurateur sur sa brigade afin de servir les clients en temps et en heure. C’est un subtil dosage que de gérer les attentes d’un public tout en veillant à ce qu’il ne devine pas la suite des événements. Pour cela, les plats doivent arriver rapidement dans le plateau télé des spectateurs avant qu’ils ne refroidissent tout en leur laissant le temps de bien digérer. Cela demande une certaine adresse que de devoir jongler entre ce qui a été prévu de longue date et improvisé quelque chose à la dernière minute.

Cette dernière donnée a tendance à disparaitre depuis l’émergence des services de streaming qui propose des séries à bingue watcher et sont donc, de ce fait, déjà planifiée de A à Z. Mais cela n’enlève rien au fait qu’il faille connaitre son public afin de ne pas risquer de l’ennuyer avec des saisons qui trainent en longueur. Le cas échéant, il sera impossible d’infléchir la courbe des audiences puisque le programme est livré dans son intégralité. Voilà pourquoi les séries ont vu leur saison resserrée en passant de 22 ou 23 épisodes, voire plus pour certaines, à une dizaine. 

Sous cette forme réduite et avec des épisodes mis bout à bout, elles prennent néanmoins l’allure d’un film de plusieurs heures, d’une trilogie entière. Et la réalisation a eu tendance à suivre les standards du cinéma dans la petite lucarne grâce à l’expérience de cinéastes rompus aux méthodes des blockbusters. En effet, qu’il y ait différents scénaristes sur une même série, c’est une chose qui peut encore passer inaperçue auprès du public (un film compte parfois jusqu’à quatre scénaristes crédités), mais pour ce qui est du visuel c’est une tout autre paire de manches.

En effet, le showrunner a également son mot à dire sur l’ambiance générale du show et donc par extension des réalisateurs à recruter pour matérialiser son imaginaire. Il lui revient de sélectionner des metteurs en scène qui ont eux aussi leur sensibilité artistique tout en veillant à ce que chacune s’aligne vers une vision commune. Mais lorsque celle-ci est tellement claire pour ce créateur en titre et qu’il s’en sent les capacités, c’est même parfois l’occasion pour lui de faire ses débuts derrière la caméra. Une priorité qu’il est en droit d’exercer que cela soit pour écrire un épisode en particulier qui lui tient à coeur ou avoir le dernier mot afin de s’assurer que toutes les idées rentrent dans l’enveloppe budgétaire.

Il a littéralement les pleins pouvoirs et si l’on devait résumer sa fonction, cela consisterait à s’entourer des meilleurs dans leur domaine pour les faire collaborer sur une oeuvre commune. Chacun de ces « corps » de métier sont ensuite cuisinés entre eux par ce cuisinier afin de livrer un plat harmonieux. À une époque où il est de bon ton de catégoriser tout le monde dans des cases, là c’est impossible puisqu’il peut prendre la caméra le temps d’un épisode comme écrire une saison entière. Une implication totale donc, sans pour autant qu’il ne récolte tous les lauriers en cas de succès.

Véritable homme-orchestre, cela reste néanmoins un métier de l’ombre et peu sont ceux qui ont réussi à obtenir de la visibilité et une certaine renommée. On peut citer entre autres Joss Whedon avec Buffy ou Angel, Steven Moffat s’est quant à lui occupé de reprendre Doctor Who avant de créer Sherlock, Sam Esmail est devenu indiscossiable de Mr Robot ou encore JJ Abrams qui a de nombreuses séries à son actif dont Lost qu’il a ensuite confié aux bons soins de Damon Lindelof. Ce dernier est depuis devenu un artiste à suivre puisqu’il a chapeauté The Leftovers et dernièrement Watchmen pour HBO.

Tous ces noms sont plus ou moins connus si l’on s’intéresse à ce milieu et il était important de revenir sur ce métier, et de le comprendre, afin de faire connaissance avec l’un de ses meilleurs représentants: Bryan Fuller. Avant d’en savoir autant sur le métier de showrunner, de lui je n’avais vu que Pushing Daisies. Série pop et colorée dont j’attribuais tout le mérite à Barry Sonnelfeld qui y avait apporté sa patte si reconnaissable comme dans Men In Black ou encore la famille Adams. Mais ça, c’était avant de découvrir qu’il n’avait dirigé que les deux premiers épisodes et vu son style imité par les autres réalisateurs engagés pour l’occasion.

Puis j’ai continué mon chemin dans le paysage télévisuel jusqu’à tomber sur American Gods. Ou plutôt c’est cette adaptation du roman de Neil Gaiman qui m’est tombée dessus. Ambitieuse, sombre, sanglante, cette série m’a laissé sur le carreau. Parsemée de tellement de fulgurances épisode après épisode, je ne pouvais que me renseigner afin d’en savoir plus sur la personne derrière tout ça. Lorsque je m’adonne à ce genre de recherches, c’est généralement avec l’envie de découvrir d’autres oeuvres de ce créateur de génie, histoire de rattraper mon retard. 

Deux salles, deux ambiances.

Je n’étais peut-être pas aussi à jour que je le pensais, mais qu’elle ne fut pas ma surprise lorsque j’ai découvert qu’il s’agissait du même créateur que Pushing Daisies. Ou plutôt, le même producteur exécutif selon le jargon que l’on emploie dans ce milieu. Un titre honorifique en quelque sorte, un statut sous estimé qui, la plupart du temps, n’est crédité qu’en fin de générique. Une appellation qui évoque beaucoup plus un aspect financier que créatif. Et pourtant comme je l’ai appris, et comme je vous en ai fait part, même s’ils ne manient pas la caméra ou ont délégué certaines facettes artistiques, chacun d’entre eux sont des auteurs à part entière.

Ils ont leurs obsessions, leurs thématiques fétiches et tout ce qui compose un artiste accompli. Ne me restait plus alors qu’à déterminer les points communs entre ces deux oeuvres si éloignés pour une seule personne. Surtout lorsqu’elles sont si puissantes en termes d’ambiance. Pour moi, cela ne pouvait être l’oeuvre que d’un auteur schizophrène, mais il m’était déjà arrivé de déchanter lorsque je voyais des filmographies tellement éclectiques qu’elles n’étaient que le reflet de la carrière de Yesmen. Des artistes qui disent oui à n’importe quel projet dans le but de poursuivre leur carrière et j’ai bien failli enterrer Bryan Fuller dans cette catégorie de faiseurs bon marché. Mais haut de gamme tout de même.

Hormis la même actrice, Kristin Chenoweth, pour incarner la déesse du printemps dans le dernier épisode d’American Gods et Olive dans Pushing Daisies, les concordances étaient plutôt maigres. Et je n’allais pas trouver plus d’indices en mettant en parallèle une guerre entre anciens et nouveaux dieux et un pâtissier capable de ramener à la vie des morts durant une minute top chrono avec un simple touché. Continuant mon enquête, j’ai vite réalisé qu’il me manquait une pièce dans ce puzzle. C’est alors que j’ai décidé de me pencher sur la filmographie de Bryan Fuller pour découvrir qu’entre ces deux séries, il en avait créé une autre: Hannibal.

Il ne m’aura fallu que quelques épisodes de cette première saison pour comprendre qu’il s’agissait du chainon manquant. Réunissant à la fois le côté gore et sombre de American Gods et le gout pour la gastronomie très présent dans Pushing Daisies par le biais de Ned le pâtissier: c’était le lien que je cherchais. On peut aussi voir dans ce dernier personnage, introverti au possible, une ressemblance avec le côté autiste de Will Graham qui va servir de référent aux spectateurs même si la série ne porte pas son nom. Ainsi, tous deux sont au service de la police, ou d’un détective, pour résoudre des enquêtes grâce à leur don respectif. 

L’un peut ramener les morts à la vie durant moins d’une minute, avant que cela ne porte à conséquence, le temps de dévoiler qui est le meurtrier, tandis que l’autre dispose d’une capacité à se mettre dans la peau d’un tueur sur une scène de crime. Pour cela, il se plonge dans un état second durant lequel on peut assister à des visions fantasmagoriques telles que celles que l’on peut admirer dans American Gods. À tel point que parfois on croit avoir affaire à une série fantastique alors qu’il n’en est rien, l’histoire est bien ancrée dans la réalité. Sauf qu’on la découvre par l’intermédiaire d’un esprit dérangé et c’est ça qui fait tout la différence dans notre perception.

Pour continuer dans les points communs, comme de nombreux artistes amenés à collaborer avec toute une troupe, Bryan Fuller s’est constitué la sienne au fur et à mesure des productions. On retrouve donc Gillian Anderson, éternel Scully dans X-Files, dans le rôle de la thérapeute d’Hannibal et qui apparaitra plus tard sous les traits de Media dans American Gods. C’est d’ailleurs son amitié pour Bryan Fuller qui lui fera quitter la série de la chaine Starz lorsque le showrunner se verra remplacer suite à des différends artistiques. Une loyauté à toute épreuve qui fait que Fuller a su se créer un entourage solide et dévoué à sa cause.

Mais au cours de sa carrière, l’actrice avait déjà failli croiser le célèbre cannibale, et ce à l’occasion du film éponyme: Hannibal. Suite du Silence des agneaux et réalisée par Ridley Scott, la production se trouve confrontée au refus de Jodie Foster de rempiler dans le rôle de Clarice Starling. Gillian Anderson est alors fortement pressenti avant de découvrir que le contrat qu’elle a signé pour la série X-Files lui interdit de jouer un autre agent du FBI. Son personnage de Dana Scully étant en plus fortement inspiré par celui-ci, elle se voit alors dans l’obligation de refuser l’offre. 

Mais si elle est présente ici, ce n’est pas pour prendre une revanche sur ce rôle iconique qui lui a échappé, et pour cause, Clarice Starling étant tout simplement absente de la série. Pourtant indissociable de ce tueur en série, cet agent du FBI est au docteur Lecter ce que Batman est au Joker: ils se complètent l’un l’autre. Mais pour des raisons de droits, les deux personnages se sont vu séparer entre le studio MGM et Dino De Laurentis Company ce qui empêche de les faire apparaitre dans une oeuvre commune. À croire qu’il s’agit là d’une sanction à l’instar d’une injonction d’éloignement interdisant Hannibal d’approcher son antagoniste.

Et quand on voit comment les choses ont tourné dans Le silence des agneaux, c’est tout à fait compréhensible. Toutefois, cela n’empêchera pas les détenteurs des droits de Clarice de mettre en scène à leur tour une série éponyme tout en prenant le soin de situer ses événements un an après la rencontre entre les deux némésis. Un choix à l’opposer de celui de la série de Bryan Fuller qui choisira l’option de la préquelle pour ne pas risquer la moindre allusion. Ce ne sont pas pour autant les événements de Dragon rouge qui nous sont contés puisque l’histoire de la série est antérieure à la première apparition de Hannibal dans la littérature.

Il n’est donc absolument pas question d’une série se déroulant en majorité dans un univers carcéral avec le docteur Lecter prodiguant à des enquêteurs de précieux conseils depuis sa cellule pour qu’ils puissent appréhender ses semblables. On pourrait même presque dire qu’il s’agit là d’une histoire originale piochant des anecdotes dans les différents livres de Thomas Harris, quatre au total, afin de recomposer le passé de ce serial killer. Et pour un personnage aussi noir, on peut dire que les zones d’ombres sont légion concernant ses origines. Un roman entier y est d’ailleurs consacré et a été incarné par Gaspard Ulliel dans le rôle-titre.

Un acteur hexagonal qui peut paraitre comme une erreur de casting, mais compte tenu de la biographie fictive d’Hannibal où il est fait mention de l’obtention de la nationalité française au cours de ses aventures, il y a une certaine logique dans ce choix. Sa jeunesse et son adolescence y sont donc narrées et c’est sur ces bases que Bryan Fuller prend la suite avec la période où il exerce en tant que psychiatre. Une facette que l’on pouvait apercevoir dans le jeu de Anthony Hopkins lorsqu’il donna vie au personnage pour la première fois, alors qu’il manipulait son monde, et que l’on retrouve dans l’interprétation de Mads Mikkelsen. 

L’acteur danois n’a pas à pâlir de la comparaison puisqu’il livre ici une prestation remarquable grâce à une écriture tout en finesse de ses dialogues. Pour se faire, Bryan Fuller et son équipe de scénaristes ne cherchent jamais à humaniser son méchant en lui donnant des circonstances atténuantes comme cela avait pu être le cas du Joker de Todd Philips ou Maléfique avec Angélina Jolie. Non, si Hannibal est aussi machiavélique, c’est bien parce qu’il est humain. Et non l’inverse. Cette part bestiale, il l’assume totalement et l’on se retrouve alors en présence d’un homme capable de renifler une maladie sur une personne. C’est dire à quel point il est devenu un expert dans son domaine.

À cela, il faut ajouter des talents de cuisinier hors pair qui donne toute son identité visuelle à la série. On a alors l’impression de regarder une version complément déviante d’une émission, à mi-chemin entre Cauchemar en cuisine et Top chef. Sauf que là, lorsque les candidats sont éliminés de la compétition, c’est pour de bon. Pour ce qui est des plats mis en image, ils rappellent grandement les épreuves de trompe-l’œil durant lesquelles les apprentis cuistots sont chargés de faire passer des aliments pour ce qu’ils ne sont pas. Là, c’est pareil sauf qu’il ne s’agit pas de faire du sucré avec du salé ou vice versa, mais bien de faire illusion avec de la viande d’origine humaine.

Pour que tout ceci reste tout de même agréable à l’oeil sans forcément le faire tourner, la production s’est adjoint les services d’un cuisinier. C’est l’assurance d’avoir à l’écran des repas stylisés, mais aussi une gestuelle crédible dans les mouvements de l’acteur qui s’applique dans cet exercice. Et comme pour un plat, le visuel a son importance. Avant même de le manger, on le goute d’abord avec les yeux. Le cadre prend alors des allures d’assiette dans laquelle on dresse des aliments de manière harmonieuse. C’est donc une réalisation soignée qui fait honneur aux adaptations cinématographiques du personnage.

Les cinéastes qui sont derrière les épisodes sont d’ailleurs issus de cette industrie à l’instar de David Slade, présent également dans American Gods, qui ouvre et ferme cette première saison. Il a son actif des films comme Hard Candy ou encore 30 jours de nuit, ce qui correspond bien à l’ambiance plutôt sombre de la série. Idem pour Guillermo Navarro dont il s’agit ici de sa première expérience en tant que réalisateur. Il n’est pas pour autant un novice puisqu’il a derrière lui toute une carrière de directeur de la photographie et notamment au service de Guillermo Del Toro. Ce dernier n’étant pas connu pour ses longs-métrages particulièrement joyeux, Navarro ne pouvait que trouver son bonheur en officiant sur Hannibal.

Et lorsque je vois la ligne directrice et le ton adopter pour l’ambiance, je me dis qu’un cinéaste comme Tarsem Singh aurait pu tout à fait s’épanouir dans ce cadre. The Cell, son premier film, avait beaucoup en commun avec la thématique du serial killer, une atmosphère onirique pour explorer sa psyché, une enquête au fin fond des États-Unis… Un rendez-vous manqué pour son imagerie si particulière tout comme c’est le cas pour Nicolas Winding Refn. Le réalisateur, qui a par ailleurs révélé Mads Mikkelsen, aurait été parfaitement à son aise dans ce déferlement de violence stylisée. Cela aurait pu augurer de belles retrouvailles pour les deux complices qui ont fait leurs débuts ensemble avec Pusher 1 et 2 puis Valhalla Rising.

Mais finalement, qu’importe puisqu’ici ce n’est pas Hannibal qui se laisse diriger, malgré les apparences c’est bien lui qui mène la danse. Il est le véritable showrunner de la police, peu importe ce que peut en penser l’agent spécial Jack Crawford incarné par Laurence Fishburne. C’est ce dernier qui sera à l’origine de son recrutement afin de s’assurer que le consultant Will Graham reste opérationnel et sain d’esprit pour enquêter sur des meurtres. Et bien qu’Hannibal ne soit pas très doué pour se faire des amis, nous allons tout de même assister aux prémisses d’une nouvelle relation. Du moins à l’écran, car en coulisses, il s’agit plutôt de retrouvailles.

En effet, les deux acteurs se sont déjà rencontrés dix ans auparavant sur le tournage du Roi Arthur de Antoine Fuqua qui était alors le premier film américain de Mads Mikkelsen. Il y incarnait Tristan tandis que Hugh Dancy était Galahad: des rôles secondaires au regard de celui du rôle titre de cette super production, mais cette fois-ci ils vont se partager l’affiche. Et bien d’autres choses. En effet, Will est ce que l’on pourrait qualifier d’empathique. C’est une véritable éponge émotionnelle capable de se mettre dans la peau d’une autre personne et c’est de cette façon que l’on fait la connaissance avec ce personnage lors du premier épisode.

Ses visions lui permettent de voir les événements sur une scène de crime comme si c’était lui qui avait commis le meurtre, ponctuant invariablement ces moments de transe par la phrase: ceci est mon dessein. Ces moments sont l’occasion de retrouver la patte onirique présente dans American Gods et offrent des plans d’une beauté sidérante. Et si l’adaptation du roman de Neil Gaiman mettait en scène un bison blanc lors de ses séquences hors du temps, ici c’est le cerf qui est à l’honneur. Plus précisément le Wendigo, une créature humanoïde dont le crâne est surmonté de bois de cerf, qui se fait assez récurrent au fur et à mesure pour symboliser l’influence d’Hannibal sur son patient.

Il s’agit là d’une créature mythologique, née du folklore amérindien, se nourrissant de chair humaine et dont la traduction serait « cannibale maudit ». Le rapprochement est donc vite fait et avec tout ça, il est donc aisément compréhensible que Will Graham soit complètement asociale. Les seuls êtres dont il accepte la présence est une meute de chiens abandonnés qu’il recueille et lorsque l’on sait que la race canine est doué pour être en phase avec les émotions de leur propriétaire, on comprend vite son attrait pour l’animal. Cela le force à adopter un comportement semblable à celui de Daniel Faraday dans Lost et ainsi, la moindre de ses interactions sociales se fait en évitant tout contact visuel.

Il s’arrange toujours pour détourner le regard de ses interlocuteurs tout comme le fait le spectateur lorsqu’il est confronté aux visions d’horreur qui submerge l’écran. C’est une véritable boucherie, mais il y a toujours un sens esthétique qui est recherché dans la mise en image des meurtres. La série a beau être axée sur le gout, puisqu’il est question de cannibalisme, quand bien même celui-ci est raffiné, elle s’applique aussi à nous faire endurer un autre sens: l’odorat. Et la puanteur qui découle de ces scènes où les personnages sont pris d’un certain malaise lorsqu’ils font une découverte macabre.

Face à cela, Will Graham sera amené à collaborer avec une équipe médico-légale dont chaque membre bénéficie d’un développement loin de la figuration. Pour une série basée sur une thérapie, et donc un approfondissement psychologique des personnages au centre de l’intrigue, le contraire aurait été un comble. De ce côté-là, on est donc plutôt bien servi. En fin gourmet qu’il est, Hannibal cuisine ses patients comme des policiers cuisineraient un suspect dans une salle d’interrogatoire. Son bureau devient ainsi le lieu privilégié des meilleures scènes qui y trouvent refuge. C’est alors l’occasion d’assister à des échanges riches en dialogues ciselés et en jeu d’acteur tout en nuance.

Lors de ces face-à-face tendus, les masques tombent, de vrais visages se révèlent et l’on se surprend à être happé par ce type de moments comme aurait pu le faire une scène d’action. Ce n’est d’ailleurs pas ce qui prédomine dans la narration, privilégiant plutôt les conversations profondes. Ou plutôt, ce n’est pas ce que l’on retient au premier abord, mais lorsque cela se produit, c’est exécuter avec tout autant de soin. Pas de course poursuite grandiloquente au menu donc, mais une ambiance plus subtile proche de celle de True Détective. Par contre, l’oeuvre de Bryan Fuller prend le contre-pied total de la série Dexter qui à l’époque se termine avec sa huitième saison en 2013 tandis qu’Hannibal le remplace cette même année sur le même terrain.

Serial killer issu lui aussi du paysage littéraire et cédant à ses pulsions lorsque ses collègues policiers ont le dos tourné, c’est presque la seule chose qu’ils ont en commun. Au soleil de Miami, Hannibal évolue plutôt dans la froideur du nord et les voix off de Dexter sont ici remplacées par de longues plages de silence. S’il est de bon ton de fantasmer sur un éventuel crossover entre les deux concurrents, les fans ont porté leur attention sur un tout autre candidat: Sherlock. Nul doute que la version de Bénédict Cumberbatch aurait pris plaisir à traquer un adversaire à sa hauteur. Ou à entretenir une relation ambiguë tout comme Hannibal le fait avec Will Graham. 

Il y a entre eux une forme d’attraction qui ne cesse de croitre à mesure que l’un se livre et que l’autre le lit. Mais pour le docteur Lecter, la frontière est fine entre psychiatre et psychopathe. Sa profession implique de garder ses distances avec son patient, mais sa nature le force à être de plus en plus intime avec lui. La seule règle qu’il est enclin à suivre, on la découvre par le biais d’un meurtrier avec qui il partage le même mode opératoire. Son mantra est alors vu comme un moyen de se déculpabiliser des atrocités qu’il commet: tuer un gibier n’est pas un meurtre si on le mange. Très poétique et surtout pragmatique pour justifier de pareilles motivations. 

On peut rapprocher cela du dicton qui veut que s’il n’y a pas de corps, alors il n’y a pas de crime. D’où l’intérêt du cannibalisme. Cette pratique est non seulement camouflée à travers des plats élégamment travaillés, mais aussi dans les titres des treize épisodes. Chacun d’entre eux vient du vocabulaire culinaire et plus précisément de la cuisine française. Une manière de faire référence au passé qui l’a vu immergé en France avant de reprendre la route vers les États-Unis. Il s’agit donc là d’allusions subtiles aux romans de Thomas Harris que Fuller utilise comme un livre de recettes. 

Il y pioche des ingrédients pour concocter sa propre version du personnage qui rime avec cannibale. Et autant dire que le plat qu’il a élaboré est loin d’être à l’intention des végétariens, le générique minimaliste, dans la lignée de celui de Daredevil, étant là en guise d’avant-gout. Mais pour tous ceux qui désireraient gouter ce qui se fait de mieux dans ce type de cuisine, on a là une très bonne table au guide Michelin. Peut-être même la meilleure dans son domaine. Bryan Fuller mérite amplement de figurer parmi les plus grands chefs, ou showrunners, et sa série est digne d’un restaurant gastronomique trois étoiles.

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