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« Into The Wild » de Jon Krakauer

« INTO THE WILD » VS PROCRASTINATION

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Si d’aventure il me prenait l’envie d’en entreprendre une et de suivre les traces de ce jeune baroudeur, nul doute que je choisirais avec un peu plus de soin mes maîtres à penser. Et Jon Krakauer n’en ferait indubitablement pas partie. Si le but de cet auteur était d’écoeurer le potentiel futur aventurier qui sommeille en chacun d’entre nous, alors c’est réussi. Mais je ne pense pas que c’était l’idée de départ. Au contraire cet écrivain me donne envie de rester chez moi plutôt que de me confronter au monde qu’il décrit à travers le périple de cet étudiant fraîchement diplômé. Destiné à faire de longues études, Christopher McCandless se réorientera vers l’école de la vie, cruelle et sans pitié là où le film choisira le chemin de l’école buissonnière, bien plus optimiste dans sa façon d’aborder les choses.

Mais peu importe l’ordre dans lequel vous avez découvert Into The Wild, le livre ou le film, l’un va forcement vous faire regretter l’autre. Ceux qui font les choses dans l’ordre ont du se dire que le film était une mauvaise adaptation prenant trop de libertés. Les autres, dont je fais partie et qui ont adoré l’adaptation de Sean Penn, vont vite déchanter au point que l’oeuvre d’origine va démystifier le film en question dans son essence même. Cette sensation de liberté, cette quête d’aventure, cette soif de l’inconnue, cette énergie dévorante sont des inventions du film. La réalité, ou en tout cas la version des faits qui nous est proposée, est très loin de la fiction. Et c’est bien sûr en la défaveur de ce vagabond puisque le roman insiste fortement sur l’état de faiblesse du personnage et sa demande d’aide, chose qu’il ne fait pas par fierté dans le long métrage qui lui est dédié. 

Non seulement l’accent est mis sur les failles du personnage mais les témoignages à l’égard du jeune homme fusent. Des critiques acerbes sur son mode de vie et sa façon de penser de la part des intervenants qui font peine à voir mais montre aussi à quel point il n’était pas préparé et loin d’avoir la maturité nécessaire pour entreprendre un tel voyage. A tel point qu’un passage mentionne le fait que Christopher avait fait une tentative pour retourner chez lui mais s’était retrouvé prisonnier à cause d’une rivière trop agitée pour la traverser. A ce propos contrairement à ce que l’on peut penser, McCandless n’était pas totalement perdu en pleine nature puisqu’à une vingtaine de kilomètres à la ronde se trouvait une autoroute ou encore un parc fréquenté par des touristes,… On est loin de l’évasion promise.

Précédemment publié sous le titre « voyage au bout de la solitude » en français, il s’agit d’une version longue d’un article de Jon Krakauer intitulé « Death of an innocent » et publié dans la magazine Outside. Premier à rapporter la découverte du corps de cet outsider de l’aventure, c’est donc un sujet qui lui revient de droit et est donc tout à fait légitime de s’atteler à l’écriture de ce qui va conduire le bien nommé Alexander Supertramp à la mort. Pour ce faire il a mené une enquête méticuleuse et l’on peut voir ce roman presque comme un recueil de témoignages des personnes qui l’ont côtoyé. Mais pas seulement puisqu’il a poussé sa documentation en s’entourant des objets fétiches qui l’ont accompagné durant son périple. Un chemin que l’on peut suivre sur une carte qui illustre bien son parcours mais aussi une carte mentale pour suivre le cheminement de sa pensée. En effet certains passages des livres de chevet d’Alex, et soulignés par ses soins, ont été mis en ouverture de chaque chapitre. 

Tout ceci aide à cerner sa personnalité de rêveur ainsi que ses idéaux. Dommage de ne pas avoir des reproductions de ses propres bouquins avec ses annotations personnels. Il est également dommageable que l’auteur ne se soit pas plus mis en retrait pour s’effacer face à son histoire. Sous prétexte qu’il est de la même trempe que le personnage dont il raconte les aventures, il se permet de nous conter ses expériences dans le domaine de l’expédition pour nous faire apercevoir ce que Christopher a pu affronter de l’intérieur. Un exercice tout à fait louable, hélas chaque tentative sonne à chaque fois comme de l’opportunisme. Ces passages donnent l’impression qu’il tire la couverture plutôt que de s’attarder sur son sujet et non de faire de lui le sujet.

Le livre comme le film nous offre à voir la schizophrénie de ce personnage, là où cette enquête s’intéresse à Christopher MacCandless le film lui s’attarde sur Alexander Supertramp, son pseudo. Tout est une affaire de point de vue et au fil de la lecture on choisit vite son camp entre un Alex complètement dépité à l’idée de devoir tuer pour se nourrir et un Chris qui fait un véritable festin de tout les instants jusqu’à se prendre en photo et poser fièrement devant sa proie fraichement abattu. La différence se pose là et le nom qu’il choisit de laisser dans le bus, et qui sonne comme une épitaphe, est bien son nom de naissance et non son pseudonyme. On apprend d’ailleurs grâce à des noms, des mots et des dates laissaient dans le « bus magique » que MacCandless n’était pas le seul à avoir occupé ce refuge au cours des dernières années. Il fut un passager comme un autre de ce qu’il conviendrait mieux d’appeler le « bus fantôme ». 

En espérant qu’il ne se limitera pas à hanter la carcasse de cet engin pour continuer son exploration comme ses auteurs de prédilection. En effet d’après le portrait que l’on nous dresse de Christopher on peut en déduire, et c’est peu de le dire, qu’il adorait lire. Mais je ne pense pas qu’il aurait apprécié la lecture de ce roman et qu’après l’avoir fini il soit parti à l’aventure avec celui-ci pour en sur-ligner des passages. Sauf pour savoir ce qu’il ne faut absolument pas faire. Les dernières pages s’attardent à déterminer la cause de sa mort à travers les conditions de vie, la malnutrition ou les plantes non comestibles mais en un sens il ne faut pas chercher très loin. Tolstoi, Thoreau, Mark Twain, Jack London… Autant de suspects pour autant de coupables. Ce sont les auteurs qu’il admirait et dont il désirait suivre l’exemple qui l’ont tué. Dans un futur proche, lui même est amené à se rendre coupable, post-mortem certes, de crime à l’encontre de ceux qui voudront suivre son exemple. 

Poussés par l’élan de liberté que met en scène l’adaptation de Sean Penn, ceux qui partiront en pèlerinage pour lui rendre hommage finiront comme lui. Coïncidence ou non, dans un tout autre lieu, cette dangereuse utopie menacera même des personnes professionnels dans l’art des escapades dans les grands espaces comme l’alpiniste Aron Ralston qui restera immobile, le bras écrasé par un rocher, durant 127 heures. Dans un monde toujours plus industrialisé et pollué, le retour à la nature semble inévitable pour une génération en quête de repères et de repaires loin de tout. Cet autocar n’a rien d’un repaire ou d’une destination, c’est une ligne de bus maudite où le prochain arrêt ne mène nulle part sauf à la mort. En un sens cela permet de fuir la civilisation, c’est un fait. Mais c’est un risque à courir depuis qu’une pensée collective a décrété que faire un tour du monde était devenu quelque chose à faire dans sa vie pour ne pas avoir à admettre qu’on l’a raté. Les voyages forment la jeunesse, à condition d’en revenir.

PROCRASTINATION WINS!

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