« LE CHASSEUR ET LA REINE DES GLACES » VS PROCRASTINATION
Libérée, délivrée de ses droits d’auteur, la reine des neiges, malgré son succès chez Disney, n’en est pas pour autant la propriété de la souris aux grandes oreilles. Mickey, Picsou et leurs amis ont beau être plein au as, se permettant de racheter coup sur coup des entités comme Pixar, Marvel, Lucasfilm ou dernièrement la Fox, ce n’est pas pour autant que leurs dessin-animées sont basés sur des licences chèrement acquises. La plupart du temps il s’agit de contes libres de droit comme c’est le cas pour la reine des neiges ce qui permet à Universal de surfer sur la popularité de ce personnage pour l’intégrer à sa franchise Blanche Neige, elle aussi affranchie de son auteur décédé. Tout le monde connait ces deux personnages sous le giron de Disney à tel point qu’on en oublierait presque qu’il s’agit à la base de contes des frères Grimm et de Hans Christian Andersen.
Ce point commun n’en fait pas pour autant une raison valable de mêler ces deux univers imaginés par des auteurs qui plus est différents. Avant que ce film ne voit la jour la seule proximité entre les deux oeuvres étaient leur ordre de production chez Disney qui, après avoir fait de Blanche neige et les 7 nains son premier long-métrage d’animation, souhaitait enchainer avec la reine des neiges dans un projet très différent de celui que l’on verra apparaitre sur les écrans bien des décennies plus tard. Au delà de l’aspect pécunier dans la démarche d’Universal visant à réunir ces deux symboles féminin, on peut au moins leur reconnaitre une certaine cohérence dans la thématique. Blanche neige, la reine des neiges, on peut vite se faire une idée de la réunion pour vendre et valider ce projet. Tout est dans leur dénomination sauf que l’une d’entre elles manque à l’appel.
Impossible donc de revenir sur ce film sans évoqué les coulisses du précédents qui sont loin d’être un conte de fée. Au commencement il y a donc Kristen Stewart choisi pour incarner Blanche neige dans un film dirigé par Rupert Sanders. Une relation de travail qui s’est vite transformée en idylle autant pour l’ancienne vedette de Twilight que pour le metteur en scène dont il s’agissait ici de son premier film. Cette relation n’aurait pas défrayé la chronique, au point de les voir en couverture des tabloïds de supermarché, si les deux tourtereaux n’avaient pas déjà quelqu’un dans leur vie au moment des faits. En couple avec Robert Pattinson depuis leur rencontre sur le tournage de Twilight, la nouvelle incarnation de Blanche Neige prouvera qu’elle n’est pas si blanche dans cette affaire en provoquant un adultère avec un homme marié.
Pour ne rien arranger sa propre femme, le top model Liberty Ross, est également à l’affiche de cette relecture du conte en incarnant ni plus ni moins que la mère de Blanche Neige. Il y a de quoi créer un véritable malaise entre la fiction et la réalité et Hollywood, comme à son habitude, en a bien profité pour en faire la une de ses journaux à scandale. La presse people se chargea d’alimenter la liaison avec des ragots en tout genre menaçant la sortie du film et son potentiel succès. L’Amérique puritaine choquée dans son intégrité, cela portera préjudice au film malgré ses qualités évidentes, sans pour autant les empêcher de faire une suite. Ou une préquelle. Universal se trouve devant la cas de figure casse gueule de faire une suite sans son personnage principal en mettant Kristen Stewart hors jeu afin de ne pas risquer de se mettre à dos une partie du public.
D’ailleurs tout ce qu’il restera de son personnage c’est une scène post-générique avec Blanche neige de dos, justement. Une séquence bien inutile, que l’on imagine bien sûr tourné par une doublure, permettant de justifier ce nouveau titre à rallonge: « Les chroniques de Blanche neige: le chasseur et la reine des glaces ». Le titre original, « The Huntsman: Winter’s War » sonnait tellement mieux que cette énumération de personnages en plus d’être plus clair sur ses intentions. En effet l’histoire est à la fois une séquelle tout en situant certains événements chronologiquement antérieurs au film d’origine, le tout en centrant son intrigue sur le chasseur interprété par Chris Hemsworth. Car c’est bien d’un spin-off dont il s’agit contrairement à ce que l’on essaye de nous vendre comme étant un second opus.
Passant donc de personnage secondaire à principal dans le titre et sur l’affiche, le chasseur profite de cette promotion pour voir son passé s’étoffer. Son rôle dans Thor lui a permis de prouver qu’il était capable de rameuter le public en salle, notamment la gente féminine, sur son seul nom. Au final Chris Hemsworth incarne un personnage pas si éloigné du dieu nordique qui l’a fait connaitre, surtout dans le coté bourrin et son attitude nonchalante. Mais l’acteur dispose d’un tel capital sympathie qu’on lui pardonne volontiers le manque d’épaisseur flagrant de son background, pour preuve il a tendance à éclipser les partenaires avec lesquels il joue. C’était déjà le cas précédemment avec Kristen Stewart tout comme avec Nathalie Portman mais aussi bien bâti qu’il soit, la testostérone est ici en infériorité numérique face à rien de moins que Emily Blunt, Charlize Theron et Jessica Chastain.
Non pas que Blanche Neige avait besoin d’autant de figures féminines pour palier à son absence, leur présence à chacune est justifiée. Pas toujours de façon très subtile mais elles ont le mérite d’apporter chacune une facette différente de l’image de la femme forte. La zone d’ombre qui faisait tout le charme du chasseur trouve donc ici une justification en la personne de Jessica Chastain avec qui elle partage son Origin Story en faisant office de Love Interest. Il est plutôt rare de la voir dans ce genre de production fantastique et elle s’en sort plutôt bien en opposant suffisamment de résistance à son partenaire de jeu. Face à eux donc la reine des glaces, et non la reine des neiges qui se trouve intégrer à cette mythologie sous les traits d’Emily Blunt.
Ceux-ci sont parfois cachés par un masque de hibou du plus bel effet lui permettant de contrôler un rapace à distance pour espionner ses ennemis. En effet ce long-métrage a beau pioché dans le dernier succès en date de Disney, elle en est plutôt l’antithèse de celle-ci. Là où Elsa ramenait les enfants dans les salles pour les émerveiller, cette version préfère les kidnapper pour en faire son armée personnelle. L’élément de prédilection qui caractérise cette reine est omniprésent dans l’imagerie du film et notamment les décors qui se trouve épurer par cette blancheur. Assurant à elle seule le spectacle du film, chaque démonstration de ses pouvoirs fait l’objet d’une débauche d’effets spéciaux tout en gardant une certaine sobriété dans la démesure. Cette retenue se voit dans de petits détails tel que les structures de glace qu’elle bâtie et donne un aspect de porcelaine lorsqu’elles se brisent.
Brisée, Charlize Theron l’était à l’issue du premier film mais elle est de retour en étant avec Chris Hemsworth les seuls rescapés du casting d’origine. Plus diabolique que jamais dans le rôle de Ravenna, elle souffre néanmoins de la ressemblance avec les pubs Dior pour lesquelles elle prête son image associé à des bijoux dorés. Ici son visage et son corps sont littéralement fait d’or ce qui offre des plans vraiment sublimes marquant sa filiation avec le miroir. Pour contraster avec toute cette dorure, son véritable coté obscur se manifeste par l’intermédiaire d’une matière organique tentaculaire rappelant Venom. Bien qu’elle ne partage pas son corps avec un symbiote, elle se voit néanmoins affubler d’une soeur dans un raccourci scénaristique venant mettre à mal le film original.
Ce lien de parenté avec la reine des glaces, qui au passage renvoi à la relation entre Elsa et Anna chez Disney, a du mal à s’insérer dans ce qui restera comme un diptyque. Finn, le frère et l’homme de main de Ravenna que l’on voit dans le premier n’apparait même pas ici lors des flashbacks, pas plus qu’il n’y avait eu de mention de cette soeur dans « Blanche neige et le chasseur ». C’est à ce genre de détail que l’on voit que ce volet à pris une direction différente de celle qu’il devait prendre si l’équipe en place avait pu poursuivre son travail. Un mal pour un bien puisque l’éviction de Kristen Stewart n’aura pas été la seule conséquence, elle aura entrainé dans sa chute Rupert Sanders qui mettra prêt de 5 ans à faire son retour avec Ghost in the Shell. Confirmant par la même son talent, on ne peut pas en dire autant de son remplaçant.
Premier film comme son prédécesseur sur lequel il officiait au poste de réalisateur de seconde équipe, Cédric Nicolas-Troyan se retrouve au premier plan pour les mettre en boite. A croire que Chris Hemsworth n’est pas le seul à avoir eu une promotion et pourtant c’est loin d’être une mauvaise décision de producteur si on se place dans leur logique. Un réalisateur de seconde équipe doit être capable de se fondre dans le style de celui qui est crédité et selon les besoins du réalisateur principal, il est en charge des scènes d’actions, des plans d’inserts, du travail avec les figurants,… En gros presque tout sauf du travail avec la distribution principale. Loin de moi l’idée de minimiser son apport au film original mais en lui octroyant les pleins pouvoirs sur cette suite, ce qui trouver sa place sur quelques séquences lors d’un tournage additionnelle à beaucoup plus de mal à fonctionner l’échelle d’un long-métrage entier.
En effet, afin d’assurer une continuité avec le style mis en place dans « Blanche neige et le chasseur » il est contraint de singer celui de Rupert Sanders à défaut de pouvoir imposer le sien. C’est surement l’une des raisons pour lesquels Frank Darabont fut un temps annoncé sur le projet avant de le quitter pour différends artistiques. Un nom gage de qualité à mettre au crédit du premier film puisqu’il est rare de voir un réalisateur de la trempe de Darabont, à qui l’on doit la ligne verte, The Myst ou encore la série Walking Dead, s’attaquer à une suite dont il n’est pas l’instigateur de l’original. Les intentions du studio étaient belles et biens de livrer un produit conforme à la première production quitte à sacrifier l’aspect artistique au profit du profit.
Profitant de l’opportunité qui lui est offerte de pouvoir passer derrière la caméra, Cédric s’acquitte de cette tache sans grande fantaisie, cherchant un style qu’il mettra surement plusieurs films avant de trouver le sien comme tant d’autre avant lui. Si on lui en laisse l’occasion bien sûr puisque depuis la sortie les propositions ne semblent pas se bousculer ou du moins ne pas se concrétiser comme son remake d’Highlander. Pourtant son coup d’essai avec le court-métrage Carrot Vs Ninja reste une belle carte de visite et ce film de commande une vitrine de son savoir faire dans le domaine des effets spéciaux. Et c’est bien ce qui sauve sa mise en scène puisqu’elle se repose essentiellement sur les CGI et pour cause, il était aussi en charge de ce département sur le film original. Devant tout ces éléments le choix des producteurs se fait d’autant plus logique à défaut d’être risqué.
Une absence de prise de risque qui se retrouve jusque dans l’histoire en préférant capitaliser sur le succès de Disney plutôt que de poursuivre l’histoire de Blanche Neige. Pourtant les deux contes partagent un point commun et pas des moindres puisqu’il s’agit du miroir magique que l’on retrouve aussi dans celui de la reine des neiges. Celui-ci est fabriqué par le diable ce qui aurait pu être une bonne origine à celui que l’on voit dans le film mais il n’en est rien. Cet élément central, car reliant les deux films, qui est ce que l’anneaux unique est à la saga de Tolkien, ne prend jamais l’importance qui lui est du par ce simple raccourci scénaristique. Mais encore une fois la mise en scène à beau être plate, elle se met toujours au service d’une histoire et celle qui nous est contée n’est pas vraiment la meilleure parmi toute les pistes possibles et envisageables.
A défaut de surfer sur un succès et de couler toute une franchise avec, il aurait été préférable de surfer sur un scandale. Cette infidélité qui avait choqué le tout Hollywood aurait surement été présent dans les salles si elle avait été assumée jusqu’au bout. Jusque dans le script quitte à en faire quelque chose de méta. J’aurais préféré un scénario qui me surprenne quitte à faire de Blanche Neige la grande méchante complètement possédé par le miroir et donc méconnaissable puisqu’il était impossible de reprendre Kristen Stewart. Une créature de cendre pour créer une opposition avec la neige et marquer son coté obscur tandis qu’elle aurait eu à son service 7 nains maléfiques remplissant la même fonction que les Nazguls pour Sauron.
De plus cela aurait pu être une façon pour les producteurs de se venger de ce mauvais coup de pub et pourquoi pas pousser le vice jusqu’à engager Robert Pattinson, son ex compagnon, en héros prince charmant. Il a le physique pour ce type de rôle et son implication dans la saga Twilight parle pour lui mais encore aurait-il fallu qu’il joue le jeu de ce scénario qui aurait pu être cathartique pour sa rupture. Ou juste un bon défouloir que je me suis fait plaisir à imaginer. De multiples pistes de lecture bien plus interessantes et alléchantes que ce qui nous a été donné de voir avec cette histoire qui hésite trop entre passé et présent (et qui de par le fait ne lui offre aucun futur / suite), cette perte de repère temporel nuisant à la fluidité du récit.
On reste donc de glace devant les tribulations de cette reine qui est la seule attraction du film mais aura au moins eu le mérite de restaurer le ton mature des contes. Une relecture que l’on pourrait qualifier de sombre, uniquement en comparaison aux dessin animées de Disney que nous connaissons tous, mais il n’en est rien. D’une certaine façon ce dytique se contente de nous ouvrir les yeux sur la noirceur des contes d’origines là où Mickey les avait édulcoré et coloré. Un traitement des personnages qui est depuis ancré dans l’inconscient collectif grâce à cette multinationale qui aura imposé sa vision au grand public au point d’éclipser leurs auteurs respectifs. Ceux-ci étant morts, la fidélité à leur oeuvres, tombées dans le domaine public et dans l’oublie, n’a plus rien d’une priorité. On ne rend des comptes qu’aux vivants.
Oeuvre libre de droit rime donc avec une liberté prise sur le matériaux d’origine, une rime que Disney se garderait bien de mettre dans l’une de leurs chansons entêtantes. Et pourtant c’est toujours le même refrain, cette même langue de bois qui débite les mêmes mensonges vis à vis du public. Celle qui transforme les petits garçons et les petites filles en marionnettes dociles qui consomment. Ce film a tout d’un conte dans ses coulisses et il implique d’en retenir une morale en mettant en scène des personnes qui n’en ont aucune. Il me semble que ce « Il était une fois… » de rigueur en ouverture de tout conte qui se respecte, semble sonner comme une dernière fois. Les faits sont là, il est temps de solder les comptes pour cette franchise. Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants dans la fiction mais dans la réalité ils n’eurent pas de bonnes critiques et aucune suite.
PROCRASTINATION WINS!