« MONUMENTS MEN » VS PROCRASTINATION
Lorsque l’on parle d’oeuvre d’art, on pense surtout à quelque chose de noble. Comme la peinture, les symphonies, la sculpture… En somme, tout ce qui est susceptible d’être conservé dans un musée. De par leur appellation de septième art, les films entrent aussi dans cette catégorie, même si tous n’ont pas la prétention de vouloir être autre chose qu’un simple et honnête divertissement. L’art étant totalement subjectif, libre à chacun de voir dans la composition d’un plan une image qui rivalise avec une toile de maitre, ou d’entendre une symphonie à l’évocation des premières notes de la bande originale d’un Blockbuster.
Une oeuvre d’art, au sens où on l’entend dans notre inconscient collectif, est censée être unique et non produite à la chaine. C’est loin d’être le cas pour les films qui bénéficie d’une large diffusion en s’invitant dans tous les foyers. On est alors loin des galeries d’art où l’on se retrouve à admirer une image fixe à la recherche d’une émotion, là où le cinéma nous en balance 24 à la seconde pour un déferlement de sensations. Mais comme pour la peinture, il y a aussi des faussaires dans ce milieu qui plagient des longs-métrages à succès pour grappiller quelques dollars au Box Office.
Heureusement, il est toujours possible de différencier la source d’inspiration de ce qui a été inspiré. Et la bibliothèque du Congrès des États-Unis est un bon moyen pour rendre honneur aux originaux. Au fil du temps, nombre de ces divertissements ont acquis une place de choix dans le temple de l’industrie cinématographique: le National Film Registry. Depuis 1989, cette institution a pour but de sélectionner des productions selon certains critères. Et pour avoir la chance de figurer parmi les 25 films sélectionnés par an, il faut que ceux-ci soient d’une importance culturelle, historique ou esthétique.
Parmi les films d’auteurs et autres classiques intemporels, on retrouve tout de même des oeuvres loin de l’idée reçue de ce que l’on appelle l’art. Star Wars: un nouvel espoir, 2001 l’odyssée de l’espace, Blade Runner, ET l’extraterrestre, Les aventuriers de l’arche perdue, Alien, Toy Story, Un jour sans fin, Retour vers le futur, Terminator, Forrest Gump, Matrix, SOS fantômes, Qui veut la peau de Roger Rabbit, Memento, Superman, Jurassic Park, The Dark Knight… Des exemples parmi tant d’autres qui sont conservés pour une forme de postérité. Avoir l’honneur d’y figurer est peut-être mieux que d’avoir un Oscar ou une quelconque récompense.
C’est l’assurance de voir son film traverser les âges et les générations, surtout lorsque celui-ci a été incompris à son époque ou trop en avance sur son temps. Il est alors permis de se demander si les films se faisant les témoins de notre propre Histoire, d’une manière romancée bien entendu, ont-ils une sorte de priorité à figurer dans cette sélection. Spielberg est l’un des cinéastes dont la filmographie est largement représentée et l’on retrouve Il faut sauver le soldat Ryan comme une sorte de mise en abime, puisque sauvé des outrages du temps en tant qu’objet filmique.
Un parallèle dont pourrait aussi bénéficier The Monuments Men pour son sujet historique, en plus de faire la part belle au sauvetage d’oeuvres d’art. Réalisé par George Clooney, il se met lui-même en scène devant la caméra entouré d’un groupe recruté par ses soins en vue d’une mission pour le moins culturelle. Un passage de l’Histoire dont je ne soupçonnais même pas l’existence et qui a été décrit dans le livre éponyme de Robert M. Edsel avant d’être adapté au cinéma en 2014. Ce passage du papier à l’écran ne figure pas pour autant dans les manuels scolaires, et c’est bien dommage tellement cela ne ferait que les rendre plus attractifs.
La faute à des cours d’Histoire trop rébarbatifs et donnant une vision des événements loin d’être attrayante. Que l’on soit bien d’accord, la guerre n’a rien d’attrayant, c’est un fait, c’est juste que je suis plus attiré par les petites anecdotes qui sortent du lot que par le conflit en lui-même. Le cinéma a plutôt bien réussi cette approche même si la dureté des événements passés reste palpable. La liste de Schindler en est un exemple marquant et pourrait se substituer à un professeur durant ses plus de 3 heures sans que l’on ne trouve le temps long, contrairement à une petite heure de cours dans cette matière.
C’est non seulement une leçon de cinéma, mais aussi une leçon d’Histoire que donne là Steven Spielberg. Ce médium est bien souvent sous estimé lorsqu’il s’agit de visualiser l’inimaginable. Mais ces périodes tristes ne sont pas que des atrocités, elles sont aussi ponctuées de moments pleins de bonté et d’humanité comme en atteste Joyeux Noël de Christian Carion. À l’image de sa thématique et de la période dans laquelle il s’inscrit, c’est une sorte de cadeau emplie d’espoir. Le réalisateur y dépeint la trêve entre deux camps qui ne sera même pas résumé à ne serait-ce qu’une parenthèse dans les livres relatant la Première Guerre mondiale.
Cette paix temporaire permet d’ancrer le conflit dans quelque chose de plus humain que par le biais d’un contexte politique, bien trop loin de nous lorsque l’on est jeune. En cela, Joyeux Noël se rapproche plus du conte pour la forme tout en gardant le fond historique. Si les films cités précédemment se contentent d’avancer sur un terrain balisé, dans le tranchés pourrait-on dire, ne s’écartant que très peu de la réalité historique, il y en a d’autres qui ont fait le choix de s’aventurer hors de ces sentiers battus pour évoluer en plein no man’s land. Sous le feu des tirs ennemis, et donc de la critique, on retrouve ceux qui ont pris le parti de l’uchronie.
Sans pour autant user du voyage dans le temps, l’incontournable Inglorious Basterds a mis tout le monde d’accord malgré pas mal de libertés, Quentin Tarantino oblige. On lui pardonne aisément toutes les trahisons pour s’être offert le luxe de tuer Hitler. Sans pour autant aller jusque là, et toutes proportions gardées, j’étais persuadé que The Monuments Men allait opter pour cette légèreté au regard de la bande-annonce. Le début de celle-ci est monté de telle sorte que l’on croirait avoir affaire à une préquelle d’Ocean’s Eleven en pleine seconde guerre mondiale.
La musique utilisée en fond joue beaucoup dans cette impression puisqu’elle est directement issue du film de Steven Soderbergh. Ce comparatif fait d’office du personnage de George Clooney une sorte d’ancêtre de son rôle de Danny Ocean. La présence de Matt Damon au casting ne fait que renforcer cette impression de groupe constitué pour commettre un braquage. À ceci près qu’ici il n’y a pas de casinos et que l’on pourrait remplacer le grand méchant de la saga Ocean’s, Terry Bénédict, par Hitler en personne. À cette joyeuse bande, il faut également compter sur Jean Dujardin, alors en plein hype à l’époque avec le succès de The Artist.
A lui tout seul, il représente l’un des nombreux points faibles du film. Le moindre sourire de sa part rappel celui d’OSS 117, la moindre tentative de faire du charme aux spectateurs avec un jeu de sourcil évoque ses errances dans Brice de Nice. Cela ne sera surement pas le cas à l’étranger, mais pour le public français il est bien difficile de suspendre son incrédulité lorsque l’acteur apparait à l’écran. Il reste identifier à la sitcom Un gars, une fille, où l’on a pu assister à sa révélation. D’ailleurs, dans certains épisodes de ce format court, il se plaisait à parodier le cinéma américain, c’est donc d’autant plus difficile de le prendre au sérieux dans un film aussi patriotique.
Dans Le loup de Wall Street, autre aventure hollywoodienne, il y trouvait une place de choix tant le film de Martin Scorsese basculait dans un second degré assumé et adapté à son jeu. Là, il n’y a pas sa place et c’est à se demander s’il ne s’agit pas là d’une faveur de George Clooney par rapport à leur amitié que l’on retrouve dans les publicités pour Nespresso. What else? Une interrogation qui n’en est pas vraiment une puisque lors d’une interview, la star américaine a avoué qu’il n’y avait aucun français dans le roman d’origine et qu’il a créé ce rôle sur mesure pour le frenchie.
Mise à part cette erreur de casting, dû à l’internationalisation de Jean Dujardin, le reste des membres de l’équipe est impeccable. Tout comme ce dernier, on retrouve des acteurs taillés pour la comédie comme Bill Murray ou John Goodman, et même s’il est toujours intéressant de donner des rôles à contre-courant, ici ils ne font que renforcer cette impression de légèreté malgré la gravité du contexte. À l’image du trailer, George Clooney semble avoir du mal à trouver un équilibre entre le sérieux de la situation et l’esprit de franche camaraderie qui émane de son sujet.
Que ce soit pour ceux qui s’attendaient à un drame ou pour les autres qui étaient persuadés d’assister à une histoire plus légère, vendu par les images promotionnelles, le montage ne tranchera jamais vraiment en faveur de l’un ou de l’autre. Le récit ne prendra pas non plus parti face à la morale douteuse concernant la valeur d’une vie face à une oeuvre d’art. Une question qui reste ouverte alors que l’histoire y répond clairement avec son postulat de départ. Avec tout ça, on est donc bien loin de l’ambiance du film de Steven Soderbergh que l’on nous promettait, l’histoire ne se permettant qu’en de rares moments de s’éloigner du ton sérieux, tout en étant hors de propos.
Mais ce rythme n’est pas la seule chose à mettre en cause puisque l’on s’attendait à un film de groupe, mais les aléas du récit font que les personnages sont vite répartis par équipe de deux, ce qui limite les interactions entre eux. Et bien qu’il soit le réalisateur ainsi que la tête d’affiche principale en étant le meneur d’hommes, George Clooney a beau ne pas empiéter sur sa prestigieuse distribution, il s’offre tout de même la plus belle scène du film. Celle-ci intervient vers la fin du film pour terminer sur une bonne note après autant de déconvenues. C’est même littéralement ce qui le sauve à mes yeux.
Un simple échange entre le leader des Monuments Men et un nazi. Une main tendue pour proposer une cigarette, histoire d’instaurer un climat de confiance entre les deux partis, qui va finalement s’avérer être plus que ça. À travers des dialogues qui vont vite laisser la place à un monologue, cette convivialité autour du tabac va se faire le témoin du souvenir de ce moment. Chaque mot sonne juste, la mise en scène est au rendez-vous, et c’est là que ce cinquième long-métrage de George Clooney atteint son état de grâce. Il est regrettable que tout le reste n’ait pas été au même niveau.
Pour ma part, il y avait une certaine attente compte tenu de son précédent long-métrage qui m’avait révélé celui que je connaissais surtout en tant qu’acteur, comme un véritable cinéaste. Le chef d’oeuvre qu’est Les marches du pouvoir avait réussi à me captiver de bout en bout alors que les questions politiques qu’il soulève peuvent vite se révéler ennuyeuses si l’on n’a pas d’attrait pour ce domaine. J’en attendais au moins autant de ce Monuments Men avec le parallèle entre la carrière avortée d’artiste d’Hitler et le vol d’oeuvres d’art qu’il a commandité.
Ce qui pouvait apparaitre comme une espèce de rancoeur à l’égard du milieu artistique, qui ne l’a pas jugé apte, n’est qu’à peine effleurer. Tout comme le dictateur que l’on ne verra jamais, mais dont l’ombre plane sur tout le récit à travers la simple évocation de son nom. Il y avait pourtant matière à dresser le portrait psychologique de ce croquemitaine comme avait pu le faire Eric Emmanuel Schmmit dans son roman La part de l’autre. Sous la forme de deux timelines bien distinctes, l’écrivain y narrait d’un côté la réalité telle que nous la connaissons et de l’autre l’acceptation d’Adolf à l’école d’art qu’il convoitait.
Tiré lui aussi d’une oeuvre littéraire, The Monuments Men choisira donc de se concentrer sur son escouade sans plus de fantaisie. Et à l’image de son récit où les oeuvres sont récupérées pour être rendues à leurs propriétaires ou exposées dans des musées, faut-il en faire de même avec ce film? Les places étant limitées pour accéder au National Film Registry, il est bon de se rappeler aux trois critères de sélection requis et que sont l’importance culturelle, historique ou esthétique. À choisir d’autres films de guerre, toutes périodes confondues, d’autres méritent bien plus d’y figurer.
Que ce soit la narration de Dunkerque jouant avec différentes temporalités, le plan séquence incroyable de 1917 ou encore les personnages attachants de Fury, chacune de ces productions pourrait se revendiquer de l’une de ces conditions d’admission. Ils ont tous en commun de retracer la petite histoire dans la grande, de s’éloigner du front pour mieux parler du fond. Mais les films devant avoir un minimum de 10 années d’existence au compteur avant de pouvoir prétendre à cet honneur, l’avenir nous le dira. Cela reste un organisme américain et il leur revient de statuer sur la valeur et la légitimité de chaque oeuvre à apparaitre parmi le panel qui s’est constitué au fil des années depuis 1989.
Je gage que The Monuments Men a été mieux reçu sur son propre sol que dans l’hexagone. Déjà parce qu’il s’agit d’un film qui glorifie encore un peu plus l’Amérique, mais aussi parce que, outre un Jean Dujardin dont la carrière dans notre pays n’aide pas à le voir comme quelqu’un de sérieux, il y a aussi cette musique digne de la 7ème compagnie. Signée par le compositeur français Alexandre Desplat, qui joue ici pour la première fois dans un film, on retrouve bien souvent des accents de cette comédie si chère à notre patrimoine culturel. Et donc synonyme de potache.
PROCRASTINATION WINS!