« ROBOCOP » VS PROCRASTINATION
C’est dingue le nombre d’appareils construits dans les années 80 et qui fonctionnent encore de nos jours. Que ce soit une voiture, de l’électroménager ou encore une simple télévision à tube cathodique, tout ceci est toujours en état de marche pour peu que l’on en prenne soin. Ce constat pourrait tout à fait s’appliquer à l’industrie du cinéma hollywoodien et aux films produits dans les eighties. Hormis la nostalgie que l’on peut porter à cet âge d’or, il faut surtout reconnaitre une certaine recrudescence d’oeuvres intemporelles durant cette période.
Même encore aujourd’hui, nombre d’entre elles continuent d’être d’actualité, que ce soit en termes de thématiques ou tout simplement grâce à une esthétique avant-gardiste. Robocop fait partie de cette catégorie où un auteur pouvait faire une critique de la société sous couvert de divertissement intelligent. Cette dernière n’était pas artificielle malgré l’univers robotique dans lequel elle s’illustrait, il y avait une véritable émotion derrière l’armure. Il n’avait pas la prétention d’être autre chose que ce que son titre vendait, mais ce n’est pas pour autant qu’il se privait d’une réflexion sur la tournure de notre monde.
Maintenant à l’image des flics qui sont en roue libre, de nombreux films sont corrompus par le système hollywoodien. Ce sont des produits qui peinent à rester en mémoire pour être remplacés par les suivants. Tout comme les appareils que nous achetons, ils sont basés sur la technologie de l’obsolescence programmée. Pourvus d’une faible durée de vie, les vendeurs nous font culpabiliser de ne pas prendre une extension de garantie tellement même eux n’ont pas confiance en leur propre produit. Ils sont beaux à l’extérieur, mais peu fiable à l’intérieur, c’est le propre de notre société de consommation.
S’il y avait bien une critique à faire dans ce nouveau Robocop, c’était bien celle-ci. Et au jeu du soit on critique la société soit c’est la société qui te critique, cette nouvelle version du robot flic a opté pour la seconde. Dans le camp adverse, les experts en cinéma se font un peu les garants de cette police des films. Toujours prêts à mettre la peine maximale à qui ne respectera pas la grammaire de la mise en scène, trichera sur les sentiments avec une overdose de violons, à l’affut des mauvais jeux d’acteur, les faux raccords, les incohérences scénaristiques,… Tout est passé par leur grille de notation pour l’évaluation finale.
Pourtant ce n’était pas forcément nécessaire puisque le film de José Palidha s’est chargé lui-même de faire son autocritique. D’entrée de jeu, et après avoir parodié le lion de la MGM, le show de Novak, émission présentée par Samuel L. Jackson, pose la question fatidique: pourquoi l’Amérique est-elle si robophobique? Une question tout à fait adaptée aux résultats du box-office qui ont vu le public américain bouder cette nouvelle version sur ce territoire contrairement au reste du monde. Et c’est de ça dont il est véritablement question à l’état même du script, comme si le film se condamnait lui-même à l’échec avant même de sortir.
Cette prophétie autoréalisatrice est amenée au sein de l’histoire par le fait que les États-Unis, fournisseur de robots à travers le monde par l’intermédiaire de la société Omnicorps, ne peuvent utiliser leurs propres machines pour assurer la sécurité dans leurs rues. En effet, non seulement le peuple américain n’a aucune confiance en cette technologie complètement déshumanisée, mais une loi se charge même de veiller à ce que cela reste interdit sur leur sol. Un postulat de base intéressant et qui n’était pas présent dans le long-métrage de 1987.
Cette valeur ajoutée sous la forme d’un discours de méfiance vis-à-vis des robots dans le récit se manifestera sur le public, tout aussi méfiant depuis les prémices du projet. Le reste de l’intrigue ira dans ce sens avec un PDG d’entreprise que l’on pourrait facilement assimiler à un patron de cinéma voulant à tout prix vendre sa production à ses concitoyens. À ce jeu, Michael Keaton a dû grandement s’inspirer des réunions de production pour incarner le personnage de Raymond Sellars. Même si Peter Weller aurait été tout aussi bien dans le rôle et aurait fait un caméo de choix en guise d’antagoniste.
Physiquement très proche de Keaton, cela aurait assurément rassuré les fans sur les intentions derrière ce projet. En effet, l’acteur, que l’on a depuis revu en méchant dans Star Trek Into Darkness, a été l’incarnation de Robocop durant deux films et ne pas le compter parmi les membres du casting est assez révélateur de sa position vis-à-vis de ce reboot. À l’image du robot auquel il a prêté son image, Peter Weller est resté incorruptible. Malgré cette absence remarquée, l’ancien interprète de Batman s’en sort plutôt bien dans en tant que gérant d’une multinationale prenant tout le monde de haut. Son rôle iconique de Bruce Wayne a dû beaucoup aider pour cela, mais pas que.
Clairement inspiré par Steve Jobs dans sa façon de communiquer, une réplique va même jusqu’à reprendre ses mots: le public ne sait pas ce qu’il veut tant qu’on ne le lui a pas montré. Difficile de faire plus explicite en termes de rapprochement entre la fiction visant à vendre des robots et la réalité du marché consistant à vendre un film sur un robot. Mais dans le cas de l’industrie cinématographique, le public, dont je fais partie, veut sans aucun doute des prises de risque, de l’inédit et non des rediffusions sur grand écran. C’est ça que nous a montré Paul Verhoeven en 1987 et maintenant nous aspirons à autre chose.
Car soyons honnête, pour les vrais fans de cette franchise ce n’est pas la venue d’un remake qui est le plus important, c’est le ressortie de l’original qui viendra l’accompagner. Et quitte à justifier cette consommation d’un produit que l’on a déjà vu en bons pigeons que nous sommes, ça sera avec des bonus supplémentaires (sur le savoir-faire de l’époque et qui s’est visiblement perdu entre temps) et en version remastérisée avec un son et une image au top. Les nouvelles versions d’une oeuvre, qu’il s’agisse d’une suite, d’un reboot, d’un spin-off, d’un remake ou peu importe l’appellation qu’a pu inventer Hollywood pour justifier l’exploitation d’une licence, cela subira toujours la comparaison avec l’original. Et de ce fait, se verra toujours dépourvu d’originalité.
Le pitch de départ ne prendra pas plus de liberté là où le concept de robot flic permettait de mettre une autre personne dans la carcasse de métal. Le déroulement suit donc sensiblement le même parcours tout en le modernisant un tant soit peu. Ainsi après avoir perdu sa couverture lors d’une infiltration chez des marchands d’armes, Alex Murphy subit les représailles de ces derniers sous la forme d’une voiture piégée. Gravement blessé, il est aussitôt sélectionné parmi tout un panel pour rejoindre un programme visant à mettre un homme dans une machine pour faire régner l’ordre dans les rues de Detroit.
C’est le subterfuge qu’a trouvé Omnicorp, Ex-OCP, pour contourner la loi et mettre son produit à disposition. Derrière ce compromis entre l’homme et la machine, on assiste à une quantité de scènes permettant d’aboutir à cette réflexion. Côté coulisses, les choses n’ont pas dû être si différentes lorsqu’il a fallu justifier l’exploitation de la marque Robocop. C’est une véritable campagne marketing similaire à celle d’un long-métrage à laquelle on assiste, ainsi qu’aux petits mensonges coutumiers du genre. Pour preuve, l’accroche scande que lorsqu’il n’y a plus de héros, on les fabrique. Mais c’est faux, on les remake.
Les grands studios hollywoodiens ne prennent plus de risque, ils recyclent toutes leurs franchises afin de leur donner une nouvelle jeunesse. De quoi donner à cette dernière l’occasion de redécouvrir l’original comme le ferait une publicité, a ceci prêt que celle-ci dure deux heures et qu’elle ne reflète ni ne fait honneur au produit de base. La violence y est aseptisée afin de permettre aux enfants de découvrir le mythique robot flic dans tout ce qu’il a de plus politiquement correct. Cet aspect politique, qui faisait le sel de l’original à travers des flashs infos, n’est présent que par le biais du journal de Novak qui questionne le spectateur.
Heureusement, Samuel L. Jackson arrive à captiver son auditoire tant il en impose dans sa fonction de présentateur. C’est loin d’être subversif à l’égard de l’Amérique, comme voudrait nous le faire croire chaque plan agitant le drapeau étoilé en guise de fond, mais c’est ce qui s’en rapproche le plus. Pour l’électrochoc tant attendu, il faudra se tourner du côté du personnage de Gary Oldman en plein syndrome du docteur Frankenstein. Là, niveau moral et éthique, on atteint des sommets. Ce docteur Norton fait tout de même de son mieux pour protéger son patient d’Omnicorp pour s’attirer les faveurs du public.
Mais la conscience de Murphy est mise à rude épreuve lorsqu’il découvre sa famille à travers un corps qui n’est pas le sien et qui n’a plus, ni la fonction de père, ni celle de mari. Ne reste qu’une quête obsessionnelle de justice allant jusqu’à enquêter sur son propre meurtre. Rien de réellement nouveau donc par rapport à l’original, si ce n’est dans le traitement de ce qui a tout l’air d’une Origin story. Beaucoup plus accès sur la psychologie, on se retrouve à de multiples reprises à se demander ce que l’on ferait dans une telle situation. En cela, le scénario nous questionne et la réponse est rarement optimiste.
Du film de Paul Verohven, il ne reste donc que la base du policier blessé dans l’exercice de ses fonctions et qui renait sous les traits de Robocop. Du corps d’Alex Murphy, il ne reste que les principaux systèmes vitaux et son humanité dans une boite de conserve. Cette nouvelle version arrive à nous rendre emphatiques sur le sort de ce héros sélectionné contre son gré pour faire l’objet d’une promotion. À la fois dans le cadre de son métier, mais aussi de sa vie qui se retrouve bradée. Lorsque l’on voit ce qu’il reste de son corps, toute personne sensée préférerait mourir. Une image très brutale similaire à celle de Source Code.
Pour dissimuler les vestiges de son être, l’armure emblématique a subi bien des modifications. Dans un premier temps repensée pour être actualisée, elle abandonne ensuite le gris métal pour passer au noir total. J’ignore les raisons derrière ce changement, mais au sein du film c’est Michael Keaton qui en prend la charge, surement en souvenir de son obscure panoplie d’homme chauve-souris. À l’image de ce dernier, cela ressemble plus à un simple costume ou une vulgaire combinaison de plongée. Cette impression est renforcée par sa seule main valide qui non seulement dénote dans ce look, mais qui trahit aussi l’aspect mécanique.
On perd donc l’identité de Robocop et les dégâts auraient pu être limités en mettant des touches de chromes en guise de négatif de l’armure originale. Cette dernière avait le mérite de donner l’impression d’avoir des articulations comme une figurine géante. Un jouet que Peter Weller pouvait manipuler à sa guise en lui donnant une gestuelle saccadée et avec le concours des bruitages, de son jeu d’acteur, la mise en scène autour du personnage, tout cela participait à rendre ce robot absolument crédible aux yeux du spectateur. Là ce n’est qu’un homme dans une combinaison contrairement au prototype qui était une combinaison entre l’homme et la machine.
Cette sensation est accentuée par une mise à jour, et non des moindres: la vélocité. Tout comme les films de zombies des années 80 dépeignant des morts-vivants d’une lenteur extrême, Robocop était issu de ce même moule. Cela avait tendance à atténuer la menace qu’il représentait, mais c’est désormais de l’histoire ancienne. Sans pour autant que cela n’améliore son charisme, au contraire. Capable de courir à grande vitesse et d’effectuer des sauts sur plusieurs mètres, cela enrichie grandement les possibilités en termes d’action, mais n’aide pas à ressentir l’impression de puissance dans chacun de ses déplacements.
On a vraiment du mal à ressentir le poids que représente un tel alliage de métaux. Une masse qui est inexistante lors des combats où il se déplace de façon extrêmement rapide. Ajoutez à cela une moto lui permettant de traquer ses ennemis où qu’ils se trouvent, pour que ce héros prenne des allures de Dark Knight. Mais pour que toutes ces séquences d’action ne soient pas sous-exploitées, il aurait fallu un ennemi réellement à la mesure de la stature de son héros. Pour le challenger, on retrouve les fameux ED209, sortes de dinosaures robotiques, mais cela ne suffit pas. Pas plus que l’homme qui les contrôle.
On fait la rencontre de cet individu dans les rues de Téhéran tandis qu’il escorte une équipe de journalistes grâce aux robots et autres drones qu’il manipule. Incarné par Jackie Earle Haley, éternel Rorschach dans Watchmen, il fait office de bras droit au PDG de Omnicorp et est chargé de faire passer une batterie de tests avant sa mise en service de celui qu’il appelle l’homme de fer blanc. Ces scènes sont là pour instaurer une animosité entre les deux personnages, mais aussi pour illustrer une certaine démonstration de force. C’est surtout l’occasion pour le réalisateur de montrer son savoir-faire en la matière.
Sa caméra virevolte alors comme un drone pour suivre au mieux la vitesse de pointe de ce nouveau Robocop. Si cela avait été tourné avec un véritable drone, le parti pris aurait pu être en adéquation avec son sujet. En l’état, il ne s’agit que de doublures numériques évoluant dans des décors en images de synthèse. Mais il se permet quand même quelques petites fantaisies pour accompagner ces moments avec de la musique jazz. De manière plus globale, sa mise en scène opte à de nombreuses reprises pour des travellings circulaires, ne faisant que renforcer cette impression de tourner autour du pot. On est donc loin de la mise en scène de Paul Verhoven, beaucoup plus direct.
Pourtant s’il y avait bien une personne à qui confier cette nouvelle version, c’était bien Neil Blompkamp. José Padilha s’est clairement inspiré de son travail en matière de design robotique tel que ceux que l’on retrouve dans Elysium. Avec District 9 et en à peine deux films, le cinéaste sud-africain a imposé toute une imagerie mêlant la technologie à un environnement urbain en guerre. La ressemblance est vraiment flagrante lors de la scène d’introduction dans les rues de Téhéran où les robots imposent non seulement leur présence, mais aussi leurs lois, qu’ils sont chargés de faire respecter.
Une ville sous occupation avec des habitants essayant d’en reprendre le contrôle à coup d’attentat: c’était là la promesse de quelque chose de bien plus excitant que le reste du film. Une direction peut-être trop politisée pour un film tout public. Avec Elysium, le cinéaste avait trouvé un compromis qu’il aurait pu appliquer ici s’il avait été à la barre. Son travail se retrouve également dans l’exosquelette utilisé par le souffre-douleur de Robocop pour compenser son infériorité. José Padilha essaye d’en faire de même pour sa réalisation, mais peine à se hisser au niveau de Blompkamp.
Sa direction d’acteur n’est pas non plus à la hauteur puisque Joël Kinnaman peine à convaincre dans le rôle-titre. Pourtant dans la peau du flic Alex Murphy, il est plutôt bon (même s’il manque la dynamique avec sa co-équipière dans l’original), mais lorsqu’il s’agit de donner corps à un être mécanique c’est une tout autre paire de manches. C’est à ce moment que le scénario sort justement de sa manche un élément permettant de justifier le manque flagrant d’émotion. Sous couvert de contrôle mental prenant le relais sur son raisonnement, afin d’accentuer sa vitesse d’exécution ainsi que ses prises de décision, Robocop devient ainsi un être à la voix monocorde qui marche au pas.
C’est donc la machine qui prend le dessus durant une bonne partie de l’histoire comme si celle-ci était désormais en pilote automatique. Alex Murphy n’est alors plus qu’un passager qui a l’illusion d’être aux commandes alors qu’il n’en est rien. Un peu comme le réalisateur qui a dû se sentir dépossédé de ce blockbuster par la MGM. Ce studio n’est pas vraiment un exemple en la matière dans sa gestion de licences et n’a rien à envier à la fourberie derrière l’entité Omnicorp. Leur logo a eu beau être parodié dès les premières secondes en guise de rébellion, cela ne change à rien au fait qu’ils n’ont pas pris les bonnes décisions lors de la mise en chantier de ce reboot.
Ils ont voulu garder le contrôle sur leur investissement à travers un personnage rendu docile. Comme si les producteurs avaient tellement dénaturé ce qu’est l’essence même de Robocop, qu’ils avaient choisi de s’en dédouaner en faisant porter le chapeau par ce raccourci scénaristique. C’est autant une illusion pour faire croire à Murphy qu’il est un Robocop en pleine possession de ses moyens, qu’un stratagème pour nous faire croire que nous sommes devant un film estampillé Robocop. Il ne suffit pas de réutiliser le thème musical ou d’upgrader ce héros pour lui rendre hommage.
Cette mise en abime entre les deux sociétés est tout autant valable qu’avec bien d’autres pourvoyeurs de machines à l’obsolescence programmée qui pullulent dans notre monde. Ce remake a beau être dans l’air du temps, il n’en restera rien d’ici une dizaine d’années, contrairement à l’original. Et c’est dommage car au demeurant, le film est plutôt bon dans ce qu’il raconte, c’est juste cette filiation avec une licence qui n’est pas respectée. Pour plus de transparence, il aurait été beaucoup plus honnête de retitrer ce film Omnicorp. Le compromis idéal étant Omnicop. Là, ça aurait été un excellent spin-off.
PROCRASTINATION WINS!