« SANS UN BRUIT 2 » VS PROCRASTINATION
-Silence, ça tourne!
Même avec une réalisation sublime, le son sera toujours plus important que l’image au cinéma. Et pourtant, c’est ce qui passe le plus inaperçu. Je l’ai appris à mes dépens lorsque je tournais des courts-métrages. Un aspect que j’avais négligé au profit du visuel, mais pourtant nécessaire afin de donner une dimension cinématographique à l’ensemble. Qu’il s’agisse de la musique ou des bruitages, ce sont ces pistes audio qui vont permettre d’inviter le spectateur dans un autre monde.
Un monde de faux semblant où l’oeil voit une chose, et l’oreille en entend une autre. Pour preuve ces bruiteurs qui usent d’ustensiles n’ayant rien à voir avec ce qu’ils sont censés faire résonner à l’écran. De quoi faire perdre la raison lorsque l’on en prend conscience. Même dans le chaos le plus total, c’est ce qui permet de donner de l’harmonie au montage. De lier les plans entre eux grâce à une bande originale. De donner du relief à une scène, de la profondeur à des personnages.

Cette suggestion de l’espace passe par différentes astuces, notamment l’écho. Un son qui se propage pour donner plus d’ampleur à un lieu, quand bien même les lois de la physique vont à son encontre. L’espace, frontière de l’infini, a bien entendu eu son lot de batailles spatiales toutes plus bruyantes les unes que les autres. Pourtant, c’est ce lieu où règne l’obscurité qui va apporter un nouvel éclairage aux créatures de Sans un bruit. Si ce premier opus était suffisamment nébuleux pour théoriser sur leur origine, la deuxième partie est beaucoup plus explicite.
En écho à l’ouverture du premier, on retrouve donc ce monde où même les mouches n’osent pas voler. La ville est déserte, comme abandonnée, jusqu’à ce qu’une voiture entre dans le champ sans s’inquiéter d’une quelconque menace. Et pour cause, il n’y a rien à craindre puisque la majorité des habitants sont en train de supporter leur équipe de baseball dans les gradins. Un événement qui coïncide avec le premier jour de l’invasion, et le règne du silence qui en découlera.

La seule balle qui fera un home run ce jour-là, ça sera la météorite qui s’écrasera non loin. Mais pas suffisamment pour être à l’abri de ses occupants. Des visiteurs hostiles que l’on peut donc définir comme étant des extraterrestres. À partir de là, leur sensibilité aux ondes sonores fait sens, pour ces choses qui viennent de l’espace. Et où donc le son est absent. Autant dire que la Terre n’est pas la meilleure des destinations pour être au calme. Mais l’est devenu par la force des choses avec leur intervention.
Une théorie qui en vaut bien une autre pour ces créatures au croisement entre celles de Stranger Things et la silhouette du Slender Man. Et l’interprétation de John Krasinski. En effet, l’acteur / réalisateur avait donné de sa personne lors du premier film pour donner corps à ces envahisseurs à travers la motion capture. Au contraire, il fera tout son possible pour ne pas être capturé lors de la scène d’ouverture. Ça sera la seule fois où l’on apercevra à nouveau son personnage de Lee Abbott, mort à l’issue du premier film.

Ne plus être à la fois devant et derrière la caméra lui permet de se concentrer sur une seule tâche, et il s’en sort avec brio. À ce niveau-là, l’introduction est vraiment magistrale en usant de plans séquences très Spielbergiens. Impossible de ne pas penser à La guerre des mondes dans cet aspect très terre à terre lors d’une invasion extraterrestre. Mais pour pallier à cette absence devant son propre objectif, le réalisateur / scénariste a introduit le personnage de Cillian Murphy, Emmett, dont la famille Abbott va croiser la route.
Pour autant, il ne rentrera pas en concurrence avec cette figure paternelle défunte, puisqu’il incarne un père très différent, et plein de faiblesses. En cela, c’est plus une histoire humaine que fantastique. Le scénario creuse encore un peu plus la psychologie des protagonistes face à ce monde désespéré. On sort d’ailleurs de la maison et de ses environs qui avaient servi de cadre au film original pour explorer ce qu’il se passe en dehors de ces frontières. Une migration symbolisée par ce chemin de sable qu’ils dépassent pour aller vers l’inconnu.

C’est évidemment un environnement hostile où le moindre son, même le plus anodin, alerte les créatures. Et si l’ensemble du casting s’approfondit, on ne peut pas en dire autant de ces prédateurs. Toujours plus nombreux, on ne sait jamais quelles sont leurs intentions puisqu’à aucun moment on ne les voit se repaitre de leurs proies. Ils tuent par nature, comme pour étouffer le son propagé par leurs gibiers avant qu’ils ne trépassent. À croire que ces bestioles ne sont pas seulement attirées par le son, elles le craignent aussi au point de vouloir y mettre un terme.
Il faut dire aussi que les actions de certains personnages sont parfois tellement absurdes que l’on ne peut en vouloir à cette espèce venue d’ailleurs de nous exterminer. À l’image de la décision d’avoir un bébé dans un monde où le moindre bruit est une menace. Une cause qui a ses conséquences ici puisqu’Evelyn Abbott est contrainte de le maintenir enfermé dans une boite avec une réserve d’oxygène. C’est très anxiogène de voir ce nouveau-né avoir déjà un pied dans la tombe. En même temps, ce caisson qui lui sert de landau a tout d’un cercueil.

Son grand frère, Marcus, a lui aussi failli avoir un pied dans la tombe, ou plutôt dans un piège à loups. De quoi mettre à l’épreuve sa résistance à la douleur sous peine de voir ses souffrances abrégées par un des monstres aux alentours. Mais ce piège n’est qu’un aperçu d’à quel point l’homme peut être un loup pour l’homme. Regan Abbott en fera les frais lorsqu’elle décidera de partir à la recherche de la source d’un signal radio. Elle sera rejointe, à contrecœur, par Emmett pour un duo dont l’imagerie évoque The last of us.
Une référence qui n’a rien de gratuit puisque dans ce jeu vidéo, le joueur est également confronté à des créatures à l’ouïe ultra sensible. Celle de Regan est à l’opposé, et la mise en scène s’adapte à sa surdité en se plaçant depuis son point de vue. Ou plutôt son point d’audition. C’est à dire dans le silence tandis que la panique rôde dans les parages. Une menace personnifiée par des sortes de pirates sur le point de la kidnapper, et dont le mode opératoire force Emmett à ne pas intervenir sous peine de déclencher un vacarme.

Néanmoins, ils parviendront à mettre le cap sur une ile à l’abri du danger et dont les baraquements ne sont pas sans rappeler ceux de Lost. C’est de là que vient le titre qu’ils ont réussi à capter à la radio: Beyond the sea. Personnellement, j’aurais choisi It’s oh so quiet de Björk, bien plus adapté à la thématique. Mais peu importe le choix musical, le résultat sera le même puisqu’Emmett et Megan apporteront les problèmes avec eux. Un climax qui vient boucler la boucle avec la séquence d’ouverture dont il reprend la même configuration.
Cet écho, on le retrouve également dans des scènes qui se passent en parallèle, qui se répondent entre les deux intrigues. Une synchronicité dans les événements jusque dans les plans et le montage. Une bien belle manière de doubler les enjeux pour maintenir le suspense sur un peu plus d’une heure et demie. C’est court, mais c’est ce qui permet au long-métrage d’être trépidant de bout en bout. Car les personnages ont beau être en mode ASMR les trois quarts du temps, les adeptes de cette technique de relaxation n’y trouveront rien reposant.

Au contraire, le silence n’est pas seulement synonyme de calme, mais aussi de peur. En cela, A quiet place Part 2 est une belle illustration du poème de T.S. Elliot, intitulé Les hommes creux, qui se conclut par:
C’est ainsi que finit le monde.
C’est ainsi que finit le monde.
C’est ainsi que finit le monde.
Pas sur un boum, sur un murmure.
« SANS UN BRUIT 2 » WINS !
