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« Servant: saison 1 » de Tony Gaspallop

« SERVANT SAISON 1 » VS PROCRASTINATION 

Il n’y a rien de plus glaçant que d’entendre les pleurs d’un bébé dans un endroit où il n’est pas sensé se trouver. Le lieu en question était la résidence étudiante dans laquelle je travaillais. Donc autant dire que ce n’était pas vraiment la tranche d’âge susceptible d’occuper les lieux. Plus encore en sachant que les habitations étaient inoccupées à ce moment de l’année, puisqu’en pleine période de vacances scolaires. C’est lors de l’une de mes rondes dans les couloirs que les cris d’un bébé me sont parvenus.

Entre-temps, la minuterie de l’éclairage était arrivée à son terme, me plongeant de nouveau dans l’obscurité. Ambiance. À cet instant précis, j’étais prêt à croire que les lieux étaient hantés. Ça aurait pu tout aussi bien être une mauvaise blague, mais sur le moment ça ne m’avait même pas traversé l’esprit. Le timing était juste parfait pour me plonger dans une profonde angoisse le temps que ma main ne presse de nouveau l’interrupteur. Une minute de sursis dans la lumière pour comprendre d’où venait ce bruit qui me faisait froid dans le dos.

Et pour cause, pour les besoins de ma ronde, j’étais muni d’un talkie-walkie que j’avais accroché sur la poche arrière de mon pantalon. C’est de là que provenait ce son et je ne m’en suis aperçu que lorsque le bébé à l’autre bout a réitéré sa plainte. Une voix féminine apaisante s’est alors fait entendre pour calmer sa progéniture, et moi de me rendre compte que je venais de capter la fréquence d’un baby phone dans les alentours. Soulagement et reprise de mon activité, non sans un rire nerveux.

On ne sous-estimera jamais assez ce que ce petit cri strident peut provoquer chez une personne. Pour un parent, cela signifie qu’il va falloir aller changer son enfant ou le bercer. Pour tout autre type de personne étrangère au nourrisson, ce n’est pas le même genre de réaction. Entre l’exaspération et la peur, j’ai opté pour la seconde étant donné les conditions. Ces petits êtres innocents ont un potentiel assez énorme en termes de frisson, et le cinéma l’a bien compris.

En tête Chucky, Annabelle ou encore Brahms du film The Boy, tous jouent avec cette terreur enfantine par l’intermédiaire d’une poupée. Il faudra maintenant compter sur Jéricho de la série Servant. À la différence des précédents exemples, celle-ci porte le nom de Reborn et est à but thérapeutique pour aider les couples à surmonter la perte de leur progéniture. Dorothy et Sean Turner ont eu à vivre cette douloureuse expérience dont ils doivent faire le deuil. 

Pour les aider à surmonter cette épreuve, ils vont faire usage de l’une de ces poupées ultras réalistes. L’un comme l’autre vont alors reprendre leur quotidien là où ils l’avaient laissé, derrière les fourneaux pour Sean le cuistot, et devant la caméra pour Dorothy la journaliste. Cette dernière ne va pas gérer ce traumatisme de la même manière que son mari. Dans le dénie, elle va un peu trop se prendre au jeu au point de faire appel à une jeune fille au pair pour garder son enfant durant son absence.

Leur choix se porte sur Leanne, mais au fur et à mesure on se demande si ce n’est pas plutôt elle qui les a choisis. Incarnée par Nell Tiger Free, elle adopte un comportement pour le moins étrange envers Jéricho qu’elle traite comme si cette poupée était vivante. Jusqu’à ce qu’il le devienne réellement. Pour Dorothy et Leanne, aucune différence, par contre pour Sean, il y a clairement quelque chose d’inexplicable dans cette situation. 

Son beau-frère Julian dans la confidence, ils vont enquêter sur l’identité de cette nouvelle arrivante qui a déclenché cette situation dérangeante. À eux deux, ils ne reculeront devant rien pour découvrir la vérité: placer une caméra dans sa chambre pour l’espionner, engager un détective privé pour déterrer son passé… Un comportement de voyeur qui ne fera qu’amener de nouvelles questions. Dont une qui sort du lot: et si Leanne avait amené le bébé dans ses valises puis l’avait échangé avec la poupée?

Une théorie formulée par Sean qui tient la route, mais ce mystère s’étend à sa propre personne lorsqu’il se retrouve victime de quelques maléfices. Des échardes dans les membres, la perte du gout… Tout indique qu’il est la cible d’une force supérieure qui ne lui veut pas que du bien. Cette superstition est appuyée par le comportement de Leanne, croyante convaincue qui va jusqu’à s’autoflageller avec un fouet avant d’aller se coucher. Bien d’autres phénomènes inexplicables viendront s’ajouter à la liste dès lors qu’elle se trouve dans les parages.

En effet, son influence semble s’étendre sur la demeure du couple et qui sera quasiment le seul décor de cette première saison. Mis à part quelques plans dans la rue, les environnements extérieurs ne sont vus que par le prisme des écrans de télévision, de téléphone… Un choix qui fait de Servant un huis clos sans forcément en être un grâce aux allés et venus des personnages. Cette unité de lieu sur dix épisodes ne souffre pas pour autant d’une monotonie dans la réalisation, notamment grâce à M. Night Shyamalan.

Le cinéaste y fait ici sa deuxième incursion à la télévision après la série très sous-estimée Wayward Pines. Il officie ici en sa qualité de producteur exécutif, mais aussi de réalisateur puisqu’il a mis en scène le pilote, posant ainsi les bases visuelles, mais aussi le neuvième épisode. Ce dernier est un flashback se situant avant le premier épisode et forme donc un tout avec celui-ci. Mais la patte du metteur en scène est tellement identifiable qu’elle s’étend même sur les épisodes qu’il n’a pas réalisés.

Il est toujours difficile de juger la réalisation d’une série quand celle-ci a été confectionnée par différentes personnes. Généralement, il revient au réalisateur du pilote de donner la marche à suivre avant de laisser ses successeurs suivre le cahier des charges qu’il a instauré. Ici, Daniel Sackheim, Nimrod Antal, Alexis Ostrander, Lisa Bruhlmann et John Dahl, tous s’appliquent à singer le style de Shyamalan afin d’assurer une continuité graphique à la série. Tellement que l’on pourrait croire que l’homme derrière Incassable ou encore Split est derrière toute la saison.

Au mieux, on pourrait se dire qu’il a donné ses directives comme un cinéaste peut le faire à un réalisateur de seconde équipe sur une production. Une chose difficilement envisageable puisque M. Night Shyamalan n’a jamais eu recours à personne d’autre pour le seconder derrière la caméra pour la moindre scène de sa filmographie. Même lors de son habituel caméo que l’on retrouve ici. Pourtant on retrouve sa manière de filmer, assez classique et sobre. Beaucoup de plans fixes parfaitement composés grâce à l’architecture de la maison, tout en verticalité comme les barreaux d’une prison.

Les réalisateurs en place rivalisent d’ingéniosité pour explorer les moindres recoins de cette maison, sans pour autant tomber dans la redite. Par contre, on ne retrouve pas le travail sur la couleur de Shyamalan. C’est un aspect qui est propre à son auteur et qu’il est difficile de s’approprier sans en avoir la signification. Ainsi, même si l’on peut relever entre autres un ballon bleu ou une grenouillère jaune, il est difficile d’y voir autre chose qu’un moyen de mettre en avant des éléments clés dans un cadre assez sombre.

Ou alors tout ceci n’est pas innocent, mais en l’absence d’une vue d’ensemble sur la série, il est difficile d’en tirer des conclusions. Et même si Servant s’insère parfaitement dans les thématiques abordées dans la carrière de Shyamalan, il est bon de rappeler qu’il n’en est pas l’auteur. C’est le scénariste Tony Basgallop qui est derrière cette histoire exclusive à la plate-forme Apple TV. Un programme original qui permet à la marque à la pomme de proposer une histoire qui sort des sentiers battus, tout en misant sur un nom vendeur venu du cinéma.

Mais il y a bien d’autres noms devant la caméra qui mériteraient un peu plus d’expositions. En premier lieu, le couple incarné par Lauren Ambrose et Toby Kebbell. Tous deux font des merveilles dans leur registre et donnent à leurs personnages une réelle consistance. Le casting peut également compter sur la présence de Rupert Grint. Il est ici à des lieux de son personnage Ron Weasley dans la saga Harry Potter qui l’a rendu célèbre. L’acteur dispose des meilleures répliques et a toujours le bon mot pour faire face à toutes les situations malsaines.

Et ce n’est pas ce qui manque en l’espace de trente minutes, durée atypique qui permet de ne pas se laisser aller au remplissage. Paradoxalement, chaque épisode prend son temps pour instaurer cette atmosphère pesante. Cela passe aussi par une atmosphère sonore très particulière, avec la classique boite à musique pour le générique, mais aussi des cordes de violon mises à mal pour refléter l’état d’esprit torturer des personnages. Le film éponyme consacré au Joker en faisait une utilisation similaire et c’est ce qui contribue à donner un cachet cinématographique à l’ensemble.

Le binge watching contribue aussi à regarder cette saison 1 d’une traite, comme on le ferait pour un film. Il est difficile de s’arrêter, tout comme il est difficile de patienter en attendant la suite. Surtout avec le nombre d’éléments restés en suspend à l’issue du dernier épisode: la fissure qui se forme dans le sous-sol, cet homme en combinaison que l’on voit furtivement… Des interrogations qui incitent à la théorie, dans une certaine mesure. Servant restant assez sobre dans l’illustration de ces éléments fantastiques, il est compliqué de se projeter sur la deuxième saison.

Pas de grands effets, mais quelques hors champ et une bonne dose de subtilité pour susciter le malaise chez le spectateur. Car oui, la terreur c’est aussi recevoir une carte postale avec marquer au dos « Je t’ai trouvé ». La terreur c’est aussi simple que de rentrer chez soi et de voir une paire de chaussures étrangères sur le tapis. La terreur, c’est l’inconnu qui s’invite à domicile. La terreur, c’est Servant qui s’invite sur l’écran du salon comme un mixe entre American Horror Story, pour l’unité de lieu qu’est la maison, et Hannibal pour le côté nourriture peu ragoutante.

Parmi toutes les recettes que l’on peut voir dans la série Hannibal de Bryan Fuller, même le personnage titre n’avait pas pensé à faire un plat à base de placenta. C’est dire le degré de nausée que l’on peut ressentir à l’énonciation des ingrédients lorsque Sean s’adonne à sa cuisine moléculaire. Cette première fournée d’épisodes aurait pu être la mise en abime de sa propre histoire en subissant le triste sort de Jéricho peu après sa naissance, mais il n’en est rien.

Cette version morbide de Pinocchio, qui devient ici un vrai petit bambin, a trouvé sa place dans le paysage télévisuel comme étant instantanément culte. Toutefois, je doute que parmi les spectateurs se trouvent de futurs / jeunes pères et mères. Devenir parents est une aventure terrifiante en soi, et je doute que Servant fasse office de moment de détente entre un changement de couche et un biberon à préparer.

« SERVANT: SAISON 1 » WINS!

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