« SUPERMAN & LOIS : SAISON 1 » VS PROCRASTINATION
10 ans de mariage : noces d’étain
20 ans de mariage : noces de porcelaine
30 ans de mariage : noces de perle
40 ans de mariage : noces d’émeraude
50 ans de mariage : noces d’or
60 ans de mariage : noces de diamant
C’est après presque 60 années d’existence que Superman s’est laissé passer la bague au doigt. Mais étant donné que le temps s’écoule différemment dans les comics, et que Kal El est un personnage immortel jusqu’à preuve du contraire, il faudrait inventer d’autres noces concernant le mariage de Clark et Loïs. Les noces de Kryptonite me semblent parfaitement convenir pour symboliser cette union. Pour le meilleur, pour les fans qui attendaient cet événement avec impatience, et pour le pire, pour les scénaristes en quête de drama.
Les auteurs de Spider-Man se sont retrouvés dans la même impasse lorsqu’il a fallu faire suite au mariage de Peter Parker et Mary-Jane Watson. Un syndrome à la Mulder et Scully où les personnages se tournent autour sans jamais conclure. Jusqu’à ce que les choses se concrétisent pour créer l’événement, pour faire remonter les audiences. Sauf qu’une fois uni pour la vie, aucun retour en arrière n’est possible. La routine s’installe et le divorce ne ferait que propager un mauvais message. Car en tant que gendre idéal et bien sous tout rapport, il est impossible d’égratigner l’image de Superman.

Mais une histoire se nourrit de conflit et la vie sentimentale de Clark devient alors un long fleuve tranquille. Loin des amours impossibles avec d’autres prétendantes susceptibles d’offrir des rebondissements à ses intrigues. Car sous ses airs d’amoureux transi, Clark a vécu ses premiers émois avec Lana Lang, il a eu une aventure avec Wonder Woman, et bien d’autres liaisons. Mais il demeure l’homme d’une seule femme. Ce qui était déjà le cas d’une certaine manière tant il n’avait d’yeux que pour Loïs, bien avant qu’elle ne daigne s’intéresser à son alter ego.
Mais le concept du mariage représente une sorte d’aboutissement pour ce modèle de vertu. Et donc incompatible avec l’infidélité. Il ne l’était déjà pas lorsqu’il était en couple, il ne le sera pas plus après avoir prononcé ses voeux. Et parmi ces derniers, jusqu’à ce que la mort les sépare n’est même pas une option, puisque l’homme d’acier est déjà mort quelques années plus tôt en 1993. Il faudra attendre Flashpoint, et le reboot de l’univers DC pour retrouver le statu quo. Des errances qui font tout de même partie de la continuité officielle.

Tant et si bien que la série Smallville décidera d’utiliser le mariage dans un de ses arcs narratifs. Une manière de clore la dixième et dernière saison en beauté. Mais la cérémonie sera interrompue par un Oliver Queen démoniaque. Avant elle, Loïs et Clark : les nouvelles aventures de Superman s’est également exposées à cet engagement solennel. Une demande qui débouche sur un cliffhanger en fin de saison 2, et à laquelle les scénaristes ne sauront quelle tournure donner pour conserver ce tango amoureux: un faux mariage avec une clone de Loïs créé par Lex Luthor, une amnésie de la reporter, un retour sur Krypton…
Rien de tout cela n’aura suffi à empêcher l’inévitable. Le mariage a bien eu lieu et les épisodes de la saison 4 peinent à s’en remettre. Même la venue d’un enfant, comme pour sauver leur mariage, n’est guère une solution pour la série qui est annulée. Cette malédiction, Superman & Loïs va en faire une bénédiction. Cette série va tirer parti de cette situation de manière ingénieuse en en faisant son point de départ. Pour autant, ce n’est pas totalement une nouvelle version du célèbre couple puisqu’ils ont déjà fait plusieurs apparitions dans la série Supergirl.

Conséquence du crossover épique que fut Crisis on infinite Earths, cette nouvelle série se désolidarise quelque peu du Arrowverse en choisissant d’évoluer dans une autre continuité de ce multivers. Pour autant, les têtes d’affiche restent les mêmes que celles qui ont été introduites auparavant. À ceci près qu’ils sont maintenant parents. Finalement, c’est quelque chose de similaire au remaniement temporel auquel avait dû faire face John Diggle suite au Flashpoint. Sa fille était alors devenue un garçon. Il n’y a donc rien d’exceptionnel à voir Clark et Loïs avec des jumeaux.
D’ailleurs une apparition de John Diggle sera le seul lien avec les autres productions. Même si dans les coulisses on retrouve Greg Berlanti ou des réalisateurs comme Tom Cavanagh, cette nouvelle itération se passe donc d’explications en ne faisant aucune autre allusion à l’univers étendu. Tant et si bien que l’on pourrait croire qu’elle n’en fait pas partie. En guise d’introduction, on aura le droit à une brève rétrospective de l’origine de Superman (qui sera plus développée dans le onzième épisode), sa rencontre avec Loïs, leur mariage, la naissance des jumeaux pour enfin ancrer l’intrigue dans leur adolescence.

Une manière de zapper les présentations, que tout le monde connait de par la portée universelle de cette icône. Sauf ses propres enfants. Jusqu’à ce qu’ils aillent dans la grange et tombent sur le fameux vaisseau. Son secret est donc révélé à Jonathan et Jordan, suite à l’apparition de pouvoir chez ce dernier. Mais pas chez son frère. Mais ces deux frangins ont beau être des stéréotypes à leur façon, l’un sportif et l’autre taciturne, ils n’agissent pas l’un envers l’autre comme des clichés. Au contraire, ils s’entraident là où l’on s’attend à les voir s’entredéchirer.
On sort donc de la dynamique habituelle entre deux frères dont aurait pu naitre une rivalité, pour une sorte de soutien mutuelle. L’un tient donc plus de sa mère, et l’autre de son père. Mais là où certains s’inquiètent de la possible transmission d’une maladie héréditaire qui affaiblirait leur rejeton, c’est l’inverse pour Superman. Ainsi, il voit Jordan devenir de plus en plus fort au point d’en devenir inquiétant. Un comportement qui n’est pas sans rappeler celui de Brandon Breyer dans Brightburn. Sans que cela ne prenne des proportions apocalyptiques. Quoi qu’il en soit, cette révélation survient à un moment tragique dans la vie de Clark: le décès de sa mère.

Décision est donc prise de récupérer la ferme familiale et de s’installer à Smallville. Une ville calme en apparence, mais qui va permettre à son fils de développer ses dons à l’abri des regards. Cela ne sera pas sans créer quelques tensions dans la fratrie, mais ça sera surtout l’occasion pour Clark Kent de se défaire de son statut de fils, pour embrasser totalement celui de paternel. On peut alors y voir un côté This is us dans ce père qui s’évertue à être exemplaire, mais qui a aussi ses failles. La parentalité se révèle alors comme la thématique dominante de la série.
Moi qui pensais avoir tout vu sur le sujet après 10 saisons de Smallville, on peut dire que je suis allé de surprise en surprise. Même si les rôles sont désormais inversés par rapport à la version teenager de Tom Welling, il y a une continuité avec cette précédente série. Pour autant, cela ne fait pas doublon, puisque les jeunes des années 2000 sont loin de la génération actuelle. Une époque différente, avec des codes différents. Ainsi, non seulement il y a ce changement de point de vue, de Superman qui tire des leçons de son éducation pour élever ses propres enfants, mais aussi une exploration de la mythologie de l’homme d’acier. Pour mieux la réinventer et y apporter de nouvelles idées.

Parmi celles-ci, la notion de multivers est rapidement abordée avec la venue d’un Lex Luthor issu d’une Terre parallèle, et sur laquelle il était en couple avec Loïs Lane. Du moins, jusqu’à ce qu’elle soit tuée par un Superman maléfique. C’est ce qui le motivera à s’en prendre au Superman de cette dimension en mettant en garde ceux qui veulent bien l’entendre. Interprété par Wolé Parks, on croit alors être en présence d’un Luthor dans le camp du bien, jusque dans son armure, tout droit échappé du comics JLA: Terre 2 de Grant Morrison. Et le fait qu’il soit d’une autre couleur de peau ne suscite pas la moindre suspicion puisque ce type de différence est courant dans le multivers.
Alors que l’on croyait avoir affaire à la némésis de Superman, encore, sa véritable identité se révélera être John Henry Irons. Plus connus sous le nom de Steel, c’est un personnage qui avait fait son apparition durant l’évent autour de la mort de l’homme d’acier. Sorte de postulant pour le remplacer, il va ici faire équipe avec lui, non sans se méfier. Finalement, ils partageront tous deux un point commun qui va les rapprocher: ils viennent d’un autre monde. Rien que dans ce point de départ, on sent que les scénaristes s’amusent à disséminer de fausses pistes aux spectateurs pour mieux les surprendre par la suite. Pourtant ce n’est pas faute d’avoir laissé des indices. Notamment à travers des images du jeu vidéo Injustice: gods among us qui met également en scène un Kal El devenu dictateur sous couvert de multivers.

Une influence inattendue, mais plus que bienvenue, qui va permettre à l’intrigue de prendre un tournant inédit. En tant que bon connaisseur du super-héros, j’avoue avoir moi-même été agréablement surpris par la suite des événements. Et surtout par leur ampleur. Une ampleur que l’on retrouve aussi bien sur le fond que sur la forme. Esthétiquement, la réalisation s’inspire clairement du travail de Zack Snyder sur le personnage. Au point de lui emprunter un costume bien meilleur que celui qu’arborait Tyler Hoechlin (convaincant dans le double rôle) auparavant. Une manière de se démarquer du Arrowverse que l’on retrouve également dans la gestion de la lumière ou dans des plans soignés.
Superman & Loïs s’est donnée les moyens de ses ambitions, car même si Smallville est synonyme d’intrigues plus intimistes, Superman reste un personnage dont la mise en valeur ne va pas sans un budget conséquent. C’est une icône difficile à porter sur le petit écran dans le sens où il faut illustrer les pouvoirs de ce surhomme sans que cela ne paraisse ridicule. Techniquement, il est donc clair qu’un nouveau cap a été franchi. Et cette note d’intention se poursuit au-delà du pilote, même s’il y a quelques baisses de régime de temps à autre. À ce propos, cette première saison a également le bon sens de ne s’étaler que sur 15 épisodes.

Une durée qui permet aux personnages de se développer, sans se perdre dans du remplissage (du type monstre de la semaine). L’histoire qui nous est contée y gagne en qualité dans sa narration. Même si l’on peut déplorer une fin qui s’étale sur plus d’épisodes qu’elle n’aurait due. À trois épisodes de la fin, il y avait déjà une forme de dénouement qui aurait pu clore cette première saison. Cela laisse donc place à un long épilogue, là où cette dernière salve aurait pu se réduire pour laisser de la place à d’autres intrigues.
Je pense notamment à la possession de Clark par l’esprit du général Zod. Cela ne dure qu’à peine le temps d’un épisode, ce qui est peu pour un personnage de cette importance. Mais n’étant pas la menace principale, sa brève mention reste logique. Une conclusion en demi-teinte donc, qui pourrait trouver une explication dans le traitement de la scénariste Nadria Tucker par la production. Car bien qu’elle ait écrit la totalité des épisodes, l’auteure n’a été payée que pour 13 d’entre eux. Une réécriture de la conclusion a peut-être eu lieu suite au non-renouvellement de son contrat pour la deuxième saison…

Toujours est-il que son travail reste palpable dans la majorité de celle-ci. En effet, bien que la série situe son action principalement à Smallville, c’est surtout la mythologie Kryptonienne qui est mise à l’honneur. Et pour une personne qui a travaillé sur la série Krypton, on sent une véritable passion et une maitrise de cet univers. Quitte à s’éloigner du Arrowverse, il aurait été judicieux de se rapprocher de cette précédente création en y faisant allusion. C’est un background riche qui est ici exploré. Un terreau fertile qui trouve sa source dans les fondations de Smallville où une pluie de Kryptonite X s’y est abattue lors de la venue de Kal El.
Dès lors, la série n’aurait pu se passer nulle part ailleurs. Car c’est cette exposition prolongée à cette roche qui fait des habitants de la petite bourgade des candidats idéals pour les projets de Morgan Edge. Un nom que l’on retrouve dans les comics, et qui avait précédemment été incarné par Adrian Pasdar dans la série Supergirl. Ici, c’est plus un alias puisqu’en réalité, il s’agit de Tal-Rho. Le frère de Superman. Ou plutôt son demi-frère. Une nuance qui s’explique non seulement par le fait qu’ils n’aient pas le même père, mais ils n’ont surtout pas été conçu de la même manière.

Comme dans les comics, et tel que l’on peut le voir dans la scène d’introduction de Man of steel, les Kryptoniens viennent au monde par le biais de la génétique. Dans cette société utopiste, Lara Lor-Van était prédestinée à être avec Zeta-Rho. Jusqu’à ce qu’elle tombe amoureuse de Jor-El et que de leur union, naturelle cette fois-ci, naisse Kal-El. Ce dernier est donc bien le dernier fils de Krypton, au sens premier où on l’entend, sans pour autant que cela ne soit contradictoire avec le fait d’avoir un frère. De là à s’attendre à un enfant caché, que Jor-El aurait eu avec une autre femme avant d’être en couple avec Lara Lor-Van, dans une prochaine saison, il n’y a qu’un pas.
C’est donc un ajout de taille à cette mythologie déjà foisonnante. Mais c’est surtout en accord avec la thématique de la série. La découverte tardive de ce frère va lui permettre de mieux comprendre la relation qu’entretiennent ses jumeaux. Des fils dont l’héritage est lui-même partagé entre les origines de leur père, et sa terre d’adoption. Ainsi, Jonathan fait bien évidemment écho à la partie humaine, quand Jordan fait plus hommage à Jor-El. Ce dernier est d’ailleurs présent, tout comme Zeta-Rho, sous la forme d’hologramme. Mais cette transparence n’enlève rien à ce piètre choix de casting, anti-charismatique au possible.

On est très loin d’acteur du calibre de Russel Crowe ou de Marlon Brando. Néanmoins, ces deux êtres ne sont qu’un aperçu de la menace qui plane sur les habitants de Smallville. Et pour une fois, ce n’est pas leur ville qui est en danger, ou la planète par extension (comme dans Man of steel où le plan de Zod était de modifier la Terre pour faire renaître Krypton), mais bien leur propre personne. En effet, même s’ils sont surement de bon hôte, au sens premier, ils ne s’imaginaient pas l’être au point de pouvoir recevoir l’esprit de Kryptoniens.
Leur âme et leur conscience ont été sauvegardées dans des cristaux, et Morgan Edge va donc leur offrir une nouvelle enveloppe charnelle par l’intermédiaire d’une machine nommée l’Éradicateur. Un plan qui a le mérite d’apporter de la nouveauté dans l’éternelle prise de pouvoir des Kryptoniens. Ainsi, même s’il y a des références pour se sentir en terrain connu, il y a suffisamment de nouveauté pour ne pas pouvoir deviner la suite des événements. Entre un dark Superman, la possession du corps de Jordan par Zeta-Rho et j’en passe… Il y a de quoi être surpris.

Toute cette réinvention, on la doit à un nouveau statu quo qui permet d’explorer d’autres directions. Ainsi, en lui faisant perdre son emploi, sa mère, son père qui est déjà un souvenir, Clark décide de renouer avec ses racines en devenant agriculteur. Quant à Loïs, elle décide de démissionner du Daily Planet pour travailler à plus petite échelle dans la gazette de Smallville. De quoi donner un tournant inattendu à la suite des événements qui en découle. Moi qui pensais partir en terrain conquis, je n’étais finalement pas si différent d’un habitant de Smallville.
Au fil des ans, les gisements de Kryptonite X ont suffisamment irradié cette population au point de s’y être accoutumés. Il en était de même pour moi avec les oeuvres sur Superman. En tant que fan, j’ai tellement baigné dedans, lu les bandes-dessinées sur le personnage, vu les films et les séries, que je pensais pouvoir tout prévoir. Mais non. Même si j’avais repéré la référence au costume original et la couverture iconique qui va avec, l’allusion à Superman 3 où il soulève un bloc de glace pour refroidir le coeur d’une centrale nucléaire, l’Éradicateur en tant qu’antagoniste et bien d’autres, je n’étais pas prêt pour cette réinvention du mythe.

Et si cette série s’inspire bien évidemment des comics, elle y apporte tellement de nouveaux éléments que je ne serais pas surpris de les voir faire le chemin inverse d’ici peu. Comme quoi, après des années de mariage avec ses fans, l’homme d’acier arrive encore à les surprendre. L’espoir est donc encore permis pour celui dont c’est le symbole. Ça, ça mérite bien un renouvellement des voeux.
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