
« SUPERMAN VS PREDATOR » VS PROCRASTINATION
Qui dit combat, dit forces et faiblesses. Les premières, Superman n’en manque assurément pas. Entre sa super vitesse, sa vision laser et à rayon X, son imperméabilité aux balles, son souffle glacé, sa capacité à voler, sa force démesurée ou encore sa super ouïe, tout ceci en fait un adversaire redoutable. Voir quasiment invincible. Mais tout aussi puissant soit-il, l’homme d’acier n’en demeure pas moins issu d’une espèce en voie d’extinction.
Même si des Kryptoniens refont surface de temps en temps, Kal El reste l’un des derniers représentants de sa race. À partir de ce fait établi, on pourrait en déduire que chacun de ses adversaires se livre à une sorte de braconnage. Mais les attaques de Lex Luthor, Brainiac ou du Parasite sont généralement motivées par des raisons personnelles. Une rancoeur que ne partage pas le Predator puisqu’il ne chasse que pour le plaisir de la traque.

Même s’il n’appartient pas à sa galerie d’ennemis, ni même au DC Universe, qui est donc ici en collaboration avec Dark Horses, ce crossover n’a rien d’improbable. Contrairement à Batman, Superman a toute la légitimité pour affronter des extraterrestres, puisqu’il en est lui-même un. Mais ce point commun n’est pas pour autant synonyme de combat équitable. Avant toute chose, la base d’un récit autour du dernier fils de Krypton, c’est d’abord de l’affaiblir suffisamment avant de l’affronter.
Une manière d’avoir toutes ses chances avant d’en découdre face à ce personnage cheaté au possible. David Michelinie, le scénariste de Superman VS Predator, misera tout sur un virus. Ainsi, l’homme d’acier sera contaminé tandis qu’il venait prêter assistance à un groupe de scientifiques de chez STAR Labs ayant découvert un OVNI dans la jungle. Un point de départ qui ressemble beaucoup à celui de Batman VS Alien, où le chevalier noir atterrissait lui aussi au beau milieu de la jungle face à la carcasse d’un appareil d’origine extraterrestre.

Un environnement qui rappelle également celui du premier film Predator et dont cette histoire avec Superman ne pourra que souffrir de la comparaison. Mais à l’issue de ce premier numéro sur trois, ce dont souffre réellement Clark c’est de ce qui lui a été inoculé par inadvertance. Cela aura pour effet de diminuer sa puissance, sans pour autant qu’il ne perde totalement ses capacités surhumaines. Fortement affaibli, il ira même jusqu’à se faire capturer par une milice de soldats dirigée par un savant fou.
Ce dernier a pour objectif d’utiliser le virus pour répandre une épidémie ne ciblant que certaines personnes grâce au séquençage génétique. Idée bien mieux exploitée dans la série Fringe, et qui de toute façon n’aura pas le temps d’être mise à exécution avec l’arrivée du Predator. Niveau exécution, il s’y connait en semant derrière lui des cadavres pendus par les pieds. Un mode opératoire en accord avec les événements des films et qui verra Superman assister à ce spectacle morbide.

Une ambiance qui dénote avec celle de Sup’, sans pour autant que le récit ne verse dans le gore à outrance par la suite. Pour preuve, la première confrontation entre l’homme d’acier et le Yautja est bien vite expédiée. Il suffit de quelques pages avant que le Predator ne décide de rester à distance pour observer sa proie. C’est loin de ce qui j’imaginais en ouvrant un comics intitulé Superman VS Predator. Alors oui, les deux personnages sont présents, mais leur affrontement est loin de susciter de l’engouement.
Le second et dernier round sera tout aussi expédié en termes de dramaturgie. Rien ne viendra donner de l’ampleur à cette rencontre entre ces deux icônes. Et le dessin n’arrange rien à l’affaire. Il y a une impression de bâclage dans les traits comme si le dessinateur, Alex Maleev, n’avait pas dépassé l’étape du brouillon. Pourtant, visuellement, il y avait de quoi faire quelques parallèles entre ces deux univers sans forcément faire du rentre-dedans.

Rien que la vision laser de Superman face au triple viseur du Predator aurait dû être considérée. Possibilité aussi d’aller plus loin sur ce point en particulier avec les différents modes de vision que ce soit celle à rayon X ou microscopique pour le Kryptonien, ou celle à infrarouge et thermique pour le chasseur. Les trophées de ce dernier auraient également pu nous gratifier de quelques easter eggs afin d’offrir une connexion supplémentaire entre les deux licences.
Comme Predator 2 en son temps avec la référence à Alien, ce crossover aurait pu mettre en arrière-plan un crâne de Doomsday. Rien de moins que l’ennemi légendaire qui a tué l’homme d’acier. Là, ça aurait pu donner une idée de l’ampleur de la menace que représente le Predator. Même au niveau des couleurs, il y avait quelque chose à tenter à condition d’introduire la Kryptonite dans le récit, qui est de la même couleur que le sang du chasseur. De quoi faire de belles planches.

Mais le coloriste, Matt Hollingsworth, ne peut relever à lui tout seul une histoire sans ambition. C’est vraiment regrettable, car il n’y avait là aucun budget à respecter. Le format bande dessinée permet de donner vie aux idées les plus spectaculaires, sans avoir besoin de se préoccuper d’une quelconque question financière. En l’état, une adaptation live de ce crossover n’aurait rien de problématique à produire. Rien d’attrayant non plus.
La forme est donc en adéquation avec le fond, c’est à dire ennuyeux. L’intrigue est bancale, en plus d’être inutilement compliquée. Cet aspect est appuyé par des planches bavardes qui nous éloignent un peu plus de la promesse du titre. En tant qu’un des derniers représentants de son espèce, j’avais bon espoir que cette chasse représente le saint Graal pour le Predator. Comme une sorte de mythe pour cette civilisation adepte de la traque en guise de mode de vie.
Jamais on ne ressent le caractère exceptionnel de cette rencontre entre les deux maisons d’édition. Et quand bien même on garderait le postulat de base, il y avait tellement mieux à faire. Déjà, concernant le décor, la forteresse de solitude était un terrain de jeu idéal pour une traque. Je pense à celle qui est située dans la forêt amazonienne afin de garder un cadre similaire. C’est un environnement propice aux fortes chaleurs, en plus d’être des conditions climatiques favorables telles que décrites dans Predator 1 et 2.

Et puisque Kal El tire ses pouvoirs du soleil, il était plus logique d’exploiter l’un de ses points faibles à ce niveau-là. En effet, l’homme d’acier est victime de dérèglements de ses pouvoirs lorsque des éruptions solaires se produisent. Une raison bien plus pertinente qu’un virus dont l’aspect scientifique ne concorde pas vraiment avec l’univers de Superman, et encore moins avec celui du Predator. C’est d’ailleurs ce qui rend l’histoire autant hors sujet.
Pourtant, si l’on dresse la liste des faiblesses de Superman, il y avait de quoi piocher dedans pour donner une raison d’être à ce crossover. La Kryptonite bien sûr, mais aussi la magie. Préalablement à cet affrontement, le Predator aurait très bien pu s’être confronté à un être ayant recours à un objet magique, qu’il lui aurait subtilisé après l’avoir tué. Le soleil rouge est également en bonne position puisqu’à son exposition, il enlève les pouvoirs du surhomme.
Alors bien sûr, il aurait fallu délocaliser l’action sur une autre planète exposée à ces rayons rouges, mais rien qui ne dénote avec les deux licences. Predators, le troisième opus, se permettait ce genre de kidnapping vers un autre système solaire pour se livrer à leur safari. Le film est sorti en 2010, soit presque une décennie avant Superman VS Predator, mais le script date tout de même des années 90. Et comme à Hollywood tout circule, le scénariste aurait pu s’en inspirer.

Reste le plomb qui bloque sa vision à rayon X, ainsi que son entourage, comme Lois, qui demeure un moyen de l’atteindre. Si l’on creuse un peu plus dans la mythologie de Superman, son anniversaire Kryptonien aurait permis d’arriver au même résultat que l’intrigue de ce one shot. Lorsque le calendrier concorde avec le jour de sa naissance sur Krypton, Clark est victime de dépression et d’une perte de contrôle de ses pouvoirs. C’est loin d’être commun, c’est très peu connu, mais tout aussi efficace comme justification.
Surtout que David Michelinie n’en est pas à sa première histoire sur le super héros. Il avait même surement toute la latitude pour imaginer de nouveaux talons d’Achille. Mais c’est peut-être prendre le problème à l’envers que de vouloir affaiblir Superman. A contrario, il aurait donc été intéressant d’augmenter la force du Predator. Après tout, Batman a déjà mis à terre Superman avec une armure de son cru dans The Dark Knight Returns.
Avec tout son arsenal, le chasseur aurait pu en faire autant pour faire une mise à jour de son équipement. Et quitte à garder en cohérence, rien n’empêcher que ce Predator soit l’un de ceux que l’on voit à la fin de Batman VS Predator. Ce dernier aurait alors pu tirer des leçons de l’affrontement de l’un des siens avec l’homme chauve-souris, pour se confectionner une armure surpuissante. Ce sont des pistes bien plus palpitantes qu’une balade dans la jungle.

Mais finalement, peu importe les qualités et les défauts de chacun des combattants. L’intérêt d’un tel combat ne réside pas vraiment dans son vainqueur, mais dans la manière dont le héros va surmonter l’adversité. Car oui, il n’y a pas vraiment de suspense sur l’issue de ce choc des titans. Que ce soit Batman ou Superman, ils sont uniques, contrairement au Predator qui est issu d’une tribu dont chaque membre est remplaçable. On connait donc à l’avance les grandes lignes du récit avant même de l’avoir lu.
Ce manque de spontanéité aurait pu être contourné grâce au multivers. Un concept que DC Comics exploite à travers sa gamme Elseworlds et qui contient de nombreuses variantes de leur héros et vilains. Le mieux aurait donc été de situer l’intrigue dans une Terre alternative, et pourquoi pas en faire un twist à part entière lorsque Kal El aurait succombé à son chasseur. Après tout, aucun de ces affrontements n’est canonique, autant pour Superman comme pour le Predator.
PROCRASTINATION WINS!